Ile Maurice: Parler vrai - À quel jeu Navin Ramgoolam joue-t-il ?

La présence de Navin Ramgoolam au rassemblement de Bruneau Laurette samedi, à Port-Louis, et le "soutien indéfectible" qu'Arvin Boolell dit apporter à "l'activisme citoyen" de ce dernier amplifient l'extrême méfiance qui s'installe progressivement dans les rapports entre les différentes factions de l'opposition.

Ramgoolam sait parfaitement que ses principaux alliés potentiels, le Mouvement militant mauricien (MMM) et le Parti mauricien social démocrate (PMSD), ne veulent "rien avoir à faire avec Laurette", qui pêche dans le même bassin électoral qu'eux. En marquant de sa présence personnelle le rassemblement de l'activiste, Ramgoolam fait un pied de nez à Paul Bérenger et à Xavier Duval. Pourquoi choisit-il d'alimenter ainsi la colère et la méfiance de ses alliés les plus probables ?

En même temps, le leader du Parti travailliste (PTr) sait parfaitement que Laurette passe très mal auprès de l'électorat rural et, qu'en se rapprochant de celui-ci, il donne effectivement au Mouvement socialiste militant (MSM) un bâton pour se faire battre. Pourquoi, dès lors, prend-il ce risque considérable ?

À quel jeu Navin Ramgoolam joue-t-il donc ? Il joue à désorienter, confondre et affaiblir tout le monde pour mieux s'imposer, malgré tout, comme le seul candidat de l'opposition ayant quelque chance raisonnable de battre Pravind Jugnauth en 2024. Devenir le centre autour duquel, bon gré mal gré, tourneront toutes les autres formations, petites ou grandes, sous peine de se voir électoralement annihilées. La stratégie pourrait, à terme, être payante, mais elle est périlleuse pour tout le monde.

%

Il apparaît de plus en plus évident que Navin Ramgoolam ne croit plus du tout en L'Espoir MMM/PMSD/RM (NdlR : RM, Rassemblement mauricien), et ne veut pas négocier avec cette entité en tant que telle. Il travaillera activement à la mort rapide de L'Espoir pour pouvoir, demain, négocier individuellement avec chacune de ses composantes, à partir d'une position de plus grande force.

Il y a plusieurs raisons pour que Ramgoolam veuille diversifier ses interlocuteurs et voir la disparition, pure et simple, de L'Espoir. Tout comme Bérenger et Duval ne veulent "rien avoir à faire" avec Laurette, Ramgoolam, lui, ne veut pas de Nando Bodha entre ses pattes. Il ne veut deal, dans un premier temps, qu'avec Bérenger et Duval. En même temps, il estime ces derniers "gourmands" en termes de tickets électoraux distribuables (60).

Dans le cadre de toute négociation, Navin Ramgoolam souhaite en distribuer le moins possible à ses deux alliés, à la fois pour assurer une prédominance travailliste certaine, mais aussi pour conserver quelques tickets pour d'autres alliés potentiels de dernière heure : Linion Pep Morisien (LPM), si ce parti l'acceptait comme shadow Prime Minister, ou pour Bruneau Laurette ou autres Sherry Singh. Ramgoolam n'exclut plus personne de ses calculs. C'est sur la représentation des uns et des autres que se jouera l'unité de l'opposition, certainement pas sur les programmes.

Pour cela, Navin Ramgoolam veillera inévitablement à : (i) rabaisser les prétentions MMM/PMSD ; (ii) garder les mains libres pour brasser le plus large possible ; (iii) conserver des lignes de communication avec le LPM et Laurette, et (iv) enfin menacer Bérenger et le MMM de les laisser sans option crédible, en brandissant la double crainte d'un rapprochement du PTr avec les extra-parlementaires, et de la reconstitution d'un accord PTr/PMSD, excluant le MMM. Beaucoup pensent, en effet, que le PMSD ne résistera pas très longtemps aux chants des sirènes travaillistes.

Navin Ramgoolam a eu tout le temps du monde pour peaufiner ses tactiques à venir face aux électorats hindous et musulmans, en vue de reconstituer sa base partisane de 2005 et revenir, si nécessaire, à l'ère Beebeejaun. Le PTr est, en effet, bien implanté en milieu musulman : au N° 2 Port-Louis-Sud/Central (où ce milieu constitue 47 % de l'électorat), au N° 3 Port-Louis-Est/Maritime (61 %), à La-Caverne-Phoenix (27 %), à Rivière-des-Anguilles/Souillac (22 %), à Moka/Quartier-Militaire (16 %), et à Rose-Hill, Vacoas, Montagne-Blanche et Triolet (13 à 15 %), lui assurant d'importants renforts, dont le MSM ne bénéficie pas a priori.

Ce que Navin Ramgoolam maîtrise moins, c'est comment véritablement regagner le cœur de la Population générale (PG), deuxième groupe du corps électoral du pays (30 %), qui lui est très hostile depuis 2014, pour un supplément de renforts, en villes mais surtout dans certaines circonscriptions-clés en régions rurales : Rivière-Noire/Savanne (37 % d'électeurs venant de la Population générale), Montagne-Longue (34 %), Mahébourg (27 %), Vieux-Grand-Port/Rose-Belle (26 %), Triolet/Pamplemousses (23 %), Grand-Baie/ Poudre-d'Or (22 %), Rivière-des-Anguilles (18 %), Moka/Quartier-Militaire (15 %), ou encore Flacq et Montagne-Blanche (14 %).

Pour atteindre cet objectif, Ramgoolam doit tout à la fois ménager les susceptibilités et concilier plusieurs intérêts : (a) élargir l'aile PG du PTr (Assirvaden, David, Anquetil et autres) ; (b) conserver à ses côtés un MMM, à forte implantation urbaine ; (c) retenir le PMSD et sa forte valeur symbolique ; (d) rester proche de Bruneau Laurette, très populaire en milieu ouvrier, et (e) attirer certains des autres petits partis extraparlementaires. À la différence de Bérenger, Ramgoolam n'estime pas, lui, que ces intérêts s'excluent mutuellement.

Le déplacement et l'éparpillement actuel des loyautés politiques dans la Population générale, comme illustrés par de récents sondages, n'ont d'égal que le réalignement musulman, vécu à l'ère Beebeejaun. Laurette n'en est pas le seul catalyseur. Cet éparpillement témoigne non seulement d'une fatigue certaine devant la stérilité de l'action dans l'opposition, mais aussi la déception face au manque d'énergie du MMM, la difficulté de Xavier Duval à aller jusqu'au bout du "PMSD Revival" promis, l'action en sous-marin de Grégoire, les difficultés croissantes du quotidien frappant les plus pauvres, et le manque de vision de l'opposition. Le désintérêt ou la radicalisation Bour li deor (BLD) qui s'ensuivent accentuent le malaise politique et la nervosité qui saisissent ce segment de l'électorat.

La politique n'aime pas le vide. Navin Ramgoolam en est pleinement conscient. Il décèle une brèche. Il fonce dedans. Et tant pis pour les autres !

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.