Sénégal: Dominique Sopo, Président De Sos Racisme - " L'extrême droite, un camp ennemi de la République "

7 Novembre 2022
interview

En route pour l'île de Gorée, Dominique Sopo, président de Sos Racisme en visite pour la première fois au Sénégal, a, dans cet entretien, fait l'historique de l'Ong née, dans les années 1980, dans un contexte où le racisme commençait à prendre des proportions inquiétantes en France.

Il manifeste son inquiétude face à la montée en puissance de l'extrême droite. Cependant, M. Sopo accuse une certaine élite et une partie des médias d'avoir contribué à faire rayonner le discours entretenu par l'extrême droite.

Comment est née Sos Racisme ?

Sos Racisme est née en 1984. C'est une organisation qui a été fondée dans un contexte particulier qui était, à l'époque, celui de plusieurs réalités. D'abord, le fait est qu'il y avait l'immigration issue des anciennes colonies ; des immigrations maghrébines, d'Afrique subsaharienne. Pendant longtemps, les migrants eux-mêmes pensaient qu'ils allaient retourner au pays natal, mais la vie a fait que ces migrations ont donné lieu à des mariages, à des enfants.

Au début des années 1980, il devient assez clair qu'en France il y a finalement une forme de redéfinition de ce qu'est être Français puisque tous ces Noirs et Arabes se sont installés ou ont une descendance en France et vont participer pleinement et durablement à la communauté nationale. Cela n'est pas sans entraîner des tensions racistes avec une extrême droite qui, à l'époque, commençait à faire des scores très importants, aidée par la crise économique que vivait notre pays avec un chômage très fort.

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Cette extrême droite, dépassant pour la première fois 10 % des voix aux élections européennes en 1984, crée évidemment une inquiétude, un choc et vient légitimer le racisme par son programme politique. C'est dans ce contexte que Sos Racisme est née, portée notamment par la jeunesse estudiantine qui va faire en sorte de redonner du dynamisme au mouvement antiraciste en montrant que dans notre pays, il y a de nombreuses personnes attachées à l'égalité, à la fraternité, et refusent les crimes racistes qui étaient nombreux à l'époque.

Cela fera bientôt 40 ans que Sos Racisme lutte contre les discriminations, surtout celles basées sur la race en France. Concrètement, qu'est-ce que vous avez réalisé pendant toutes ces années de lutte ?

Les résultats ne sont pas négligeables. D'abord, on peut remarquer, pendant très longtemps, même si cela reste une lutte très importante aujourd'hui et très difficile, l'extrême droite a été tenue à l'écart de l'accès aux responsabilités. Ce qui n'était pas du tout gagné dans les années 1980 parce que beaucoup de partis politiques, notamment à droite, se disaient être prêts à gouverner avec l'extrême droite ; ce qui, au final, n'a globalement pas eu lieu. Le deuxième élément est qu'il y a des combats très importants qui ont été remportés.

Par exemple, dans les premières années de Sos Racisme, il y a eu la tentative de réformer le Code de la nationalité ; le but étant, pour résumer, d'empêcher que les enfants d'Algériens nés en France puissent devenir pleinement Français. Ce combat a été remporté. Ce qui n'est pas négligeable puisque cela aurait entraîné une différence de traitement entre les enfants en raison de leurs origines.

Nous avons aussi participé à faire reculer les crimes racistes qui ont quasiment disparu dans notre pays, même si ces dernières années, nous avons vu des crimes antisémites être commis. On peut penser au crime de Mohamed Mera en 2012. Nous avons également participé, avec beaucoup d'autres, à faire en sorte qu'aujourd'hui, dans notre pays, il y ait l'émergence d'une puissante classe moyenne d'origine maghrébine, d'Afrique subsaharienne.

Nous avons participé à faire en sorte qu'il devienne de plus en plus banal, dans notre société, de considérer que les Noirs et les Arabes sont des Français comme les autres. Nous avons aussi été à la pointe du combat contre les discriminations raciales ; ce qui permet, aujourd'hui, que l'existence des discriminations raciales soit plutôt reconnue dans notre pays. C'est un des grands acquis de Sos Racisme à travers notamment des opérations très médiatisées que nous avons menées depuis maintenant plus de 20 ans.

Le score de l'extrême droite aux élections européennes de 1984 avait créé une " inquiétude " chez vous. Aujourd'hui, elle gagne de plus en plus du terrain. Comment appréhendez-vous sa montée en puissance ?

Cette montée de l'extrême droite est maintenant une réalité très inquiétante. À la dernière présidentielle, l'extrême droite avait 42 % des voix au second tour. Les législatives ont permis l'élection de 80 députés de sa famille politique ; ce qui est extrêmement inquiétant et fait que la victoire de l'extrême droite en France n'est pas quelque chose à totalement exclure ou l'arrivée au pouvoir d'une alliance de la droite et de l'extrême droite comme on le voit ces dernières semaines en Italie et en Suède.

Ce à quoi nous appelons en France, c'est d'abord que les responsables politiques se comportent correctement et arrêtent de jouer avec l'extrême droite. Une partie de la droite est prête à faire des alliances avec l'extrême droite. Certains membres du Gouvernement reprennent aussi des discours et parfois des projets d'extrême droite. Je pense notamment au Ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui, dans son traitement des étrangers, reprend des thématiques de l'extrême droite.

On voit aussi, dans une partie de la gauche, la tentation de faire des alliances de circonstance avec l'extrême droite pour faire chuter le Gouvernement au Parlement. Ces trois attitudes sont irresponsables et contribuent à banaliser l'extrême droite dans le champ politique. Or, il faut continuer à considérer l'extrême droite comme un camp ennemi. Elle n'est pas la République, mais un camp ennemi de la République, de la démocratie, et il faut la traiter comme tel.

Si l'extrême droite monte dans les résultats électoraux ces dernières années, c'est aussi lié à cette banalisation qui a été portée par toute une partie des élites françaises et des médias qui ont beaucoup contribué à rendre acceptable l'extrême droite en critiquant énormément les antiracistes, en les caricaturant, en les privant assez largement de parole dans les débats publics. Finalement, on saute sur l'occasion de l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national (devenu Rassemblement national, Ndlr), en disant qu'elle n'est pas antisémite, qu'elle ne remet pas en cause la démocratie, qu'elle n'est pas comme son père.

Cette stratégie de complaisance d'une partie des élites, de la presse et de la classe politique vis-à-vis de l'extrême droite produit des effets à savoir qu'effectivement, à partir du moment où on dit que l'extrême droite serait une famille politique comme les autres, il n'y a plus aucune raison de ne pas voter pour elle. Pour nous, c'est ce qui explique cette montée de l'extrême droite au niveau électoral. L'extrême droite a monté, mais elle peut redescendre. Tout dépend de notre mobilisation et de celle de la jeunesse.

Vous êtes à Dakar pour la première fois. Quelle est la raison de votre séjour en terre sénégalaise ?

Je suis au Sénégal, plus particulièrement à Dakar, parce que c'est une terre qui parle lorsqu'on est en France. Ce n'est pas la peine que je développe les liens historiques et les liens présents entre la France et le Sénégal. Si je suis ici, c'est parce qu'il me semble que la France est, aujourd'hui, secouée de questions mémorielles très fortes, avec un refus et un blocage de se pencher sur ces passés esclavagistes et coloniaux, en ce sens qu'ils continuent à structurer des imaginaires qui sont à la base de discrimination envers des populations anciennement colonisées.

Je viens ici pour aider à ce que nous puissions, en France, réfléchir à comment être dans une circulation géographique de lieux mémoriels. Dans quelques instants (l'entretien a eu lieu le lundi 31 octobre 2022), je vais à l'île de Gorée voir ce qu'il y a à construire en termes de voyages, de séjours, de déplacements pour faire rentrer dans nos consciences ce qu'a été ce passé, en quoi il a été violent, en quoi il reste toujours agissant. Malgré l'abolition de l'esclavage depuis très longtemps, cette violence extrême, qui a été soutenue par des systèmes de représentation inculqués pendant des générations, continue à produire des effets.

Il ne s'agit pas d'être esclave de l'esclavage, il s'agit, au contraire, de voir comment, en lisant toutes les pages du passé, on peut continuer à tourner les pages du livre de l'avenir. En France, Sos Racisme intervient beaucoup en milieu scolaire autour des questions de discrimination, de stéréotype, de racisme. Au Sénégal, il y a des acteurs qui travaillent sur ces sujets. Nous sommes aussi venus pour échanger avec eux pour voir comment la pédagogie du vivre-ensemble peut être enrichie par les expériences que nous pouvions avoir les uns et les autres dans nos sociétés respectives.

Donc, Sos Racisme souhaite mettre en œuvre des programmes au Sénégal...

Nous allons échanger, je ne sais pas si nous allons mettre en œuvre des programmes au Sénégal. En tout cas, nous comptons mettre en œuvre des espaces d'échanges avec des acteurs qui agissent ici, sur le territoire. S'il faut que nous intervenions de façon utile, il ne s'agit pas de se substituer aux acteurs qui font déjà ce travail et qui le font bien. Nous répondrons présents pour faire en sorte de déployer cette exigence du vivre-ensemble.

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