Ile Maurice: Sen Ramsamy - "2023 sera l'année de vérité pour notre tourisme"

10 Novembre 2022
interview

Mesurer la performance touristique de Maurice en devises plutôt qu'en arrivées, prendre conscience de l'impact réel de la formule "all inclusive" ou de la campagne "One Mauritius", mieux définir le touriste de demain. Sen Ramsamy analyse avec un réalisme qui fait parfois mal la situation actuelle de Maurice dans le monde du tourisme.

Selon les chiffres publiés par Statistics Mauritius, le pays a accueilli, de janvier à octobre, 755 655 touristes. Pensez-vous que le chiffre d'un million sera atteint comme le prévoit le ministère du Tourisme ?

Effectivement, il reste encore 244 345 visiteurs devant fouler le sol mauricien sur les deux derniers mois de l'année pour atteindre le fameux million que recherchent les autorités. Avec la récente augmentation de la capacité de sièges dans les avions, le nombre d'arrivées des visiteurs a connu une bonne progression, et il est fort probable que l'objectif de 2022 sera atteint, quoi qu'il ne va pas dépasser très largement le chiffre d'un million, comme certains le prévoyaient.

Ceci dit, si nous voulions mesurer la reprise du secteur par rapport à la période pré-Covid, la question à se poser serait pourquoi avoir fixé l'objectif à un million de visiteurs pour 2022, et pourquoi pas 1,2 million ou 1,4 million comme en 2019, d'autant plus que les frontières sont grandes ouvertes depuis plus d'une année ? Il est bon de se rappeler qu'un million de touristes représente seulement 71 % des arrivées de 2019. De janvier à octobre, avec les 755 655 visiteurs, nous ne sommes qu'à 68,5 % de notre performance de 2019, alors que nos concurrents directs ont déjà atteint jusqu'à 97 % de leurs arrivées de 2019, de janvier à ce jour.

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Je reviens donc encore une fois sur la nécessité de mesurer notre performance touristique en devises étrangères plutôt qu'en termes de volume d'arrivées. Les revenus touristiques sont estimés à Rs 36,3 milliards de janvier à août 2022, soit une dépense moyenne Rs 65 127 par visiteur, mais pour une roupie dépréciée par environ 20 %. Pour une meilleure comparaison de notre performance, nous avons récolté environ USD 1 480 sur le séjour de chaque touriste pour une durée moyenne de 12,5 nuitées, soit USD 118 par nuitée. Aux Seychelles, les premières estimations des dépenses touristiques sont de USD 3 040 pour une durée de séjour de 9,9 nuitées, soit de USD 307 par jour. Ces chiffres parlent d'euxmêmes. Je n'ose pas comparer Maurice aux Maldives.

Pour octobre, même l'Association des hôteliers et restaurateurs de l'île Maurice parle d'un "recovery rate" de 90 %. Pourtant, nous sommes en haute saison et nous constatons qu'il n'y a pas une grande affluence de touristes dans les rues. Pourquoi ?

Je préfère analyser la tendance de notre performance touristique sur plusieurs mois plutôt que sur seulement un mois. Du début de l'année à ce jour, nous sommes à seulement 68 % de recovery rate et, sur l'année, avec un million de touristes, nous serions à seulement 71 %. Plusieurs destinations concurrentes sont déjà à plus de 90 % sur l'ensemble et d'autres encore ont dépassé leur niveau pré-Covid. Marchez dans le centre de Grand-Baie durant la journée, vous verrez les rues presque désertes. Cela n'est pas normal.

Le phénomène all-inclusive prend encore plus d'ampleur et les visiteurs sont découragés à sortir de l'hôtel par mesure de précaution et pour ne pas dépenser davantage dans l'île, après avoir tout payé à l'hôtelier. Donc, la croissance des arrivées se fait graduellement, mais seuls les opérateurs du secteur en tirent profit. Le reste de la population ne gagne pas grand-chose du tourisme. Ce sera très néfaste à l'avenir, pire encore quand les hôtels vont recruter de la main-d'œuvre étrangère pour les services.

Face à l'optimisme des autorités, peut-on dire que la campagne "One Mauritius" porte ses fruits ?

Ou d'autres facteurs y ontils contribué ? La campagne One Mauritius ne sert absolument à rien dans la reprise touristique. C'est un non-sens pour les visiteurs, sinon qu'elle leur suggérerait que nous n'étions jamais "one". Par contre, il faut se rendre compte que Maurice n'est pas la seule destination qui attire les touristes en ce moment. Toutes les destinations du monde font le plein de visiteurs et beaucoup font bien mieux que nous. Ce n'est surtout pas le slogan One Mauritius qui les attire, mais plutôt le désir de respirer après deux années pénibles de Covid et de confinement. L'année prochaine sera un plus grand défi pour notre secteur. Espérons que la destination fasse mieux. 2023 sera l'année de vérité pour notre tourisme. w =

Certaines compagnies aériennes ont augmenté leurs fréquences sur Maurice pour décembre. Quel est le rôle et l'apport d'Air Mauritius (MK) ? La flotte actuelle est-elle suffisante ?

MK fait de son mieux avec des moyens limités. Les autres compagnies aériennes ajoutent des vols par rapport à la demande. Malgré les assurances données par MK, les demitours vécus par certains passagers et la situation générale de ses ATR sont sources d'inquiétude pour les voyageurs. La situation par rapport à notre connectivité aérienne se résume ainsi : demande en hausse, sièges limités et prix des billets exorbitants. Un billet Paris-Maurice-Paris en décembre se vend à presque Rs 100 000 en classe économie. Imaginez la somme à dépenser pour une famille de cinq personnes, sans compter les frais de séjour à l'hôtel et les dépenses dans le pays. C'est pour cette raison que j'accueille favorablement la décision du gouvernement de préparer un nouveau business plan pour notre tourisme. D'ailleurs, j'en parle depuis les dix dernières années. J'espère qu'il ne portera pas des visières, mais verra le tourisme de façon plus large et, plus loin, pour l'avancement de notre économie et le bien-être de toute la population.

"Le touriste de demain recherchera un service premium qui favorisera davantage son bien-être."

Dans le secteur on parle de "revenge travel". Ce phénomène va-t-il durer ?

Je déteste le terme "revenge travel" car trop assaillant et négatif. Bien sûr que ce terme ne va pas durer après l'excitation palpable que connaît le monde du voyage actuellement. Par contre, ce qui va durer, c'est le phénomène "expérientiel" du tourisme de demain. Les visiteurs préféreraient aller à la rencontre de la population, partager les valeurs et s'enrichir mutuellement.

C'est exactement ce que Maurice n'encourage pas ses visiteurs à faire avec la politique all inclusive des hôteliers et, bientôt, le recrutement des travailleurs étrangers dans nos hôtels pour ne pas payer cher la main-d'œuvre. Le traitement des stagiaires dans les hôtels est honteux. Je tire la sonnette d'alarme depuis très longtemps. C'est un phénomène qui dure et qu'il faut à tout prix faire sauter pour favoriser plus d'équité et de fairness dans ce secteur

Quel est le profil type du touriste post-Covid-19 ? Que recherche-t-il ?

Ce n'est pas que le paysage qui attire des touristes vers nos rives. Le touriste de demain recherchera un service premium qui favorisera davantage son bien-être. Il ira à la rencontre des locaux pour une plus grande expérience de la vie, sur les plans social, culturel et personnel. Mais il ne fera aucune concession sur la qualité du service, l'hygiène et la propreté dans le pays. Autant nos hôtels offrent une image paradisiaque de Maurice aux étrangers, autant notre arrière-pays, où vivent les Mauriciens, est une poubelle. Tout le monde le constate avec stupeur et honte, sauf les autorités concernées. Le touriste sera aussi très sensible au sort que nous réservons aux animaux. Il sera très attentif au climat politique et social dans le pays.

Sur tous ces aspects, Maurice a du pain sur la planche. Avec les problèmes économiques, politiques et sociaux que connaît notre pays, le Mauricien perd graduellement sa joie de vivre, son sens de l'humour et son sourire. C'est grave. Il faut se ressaisir et redonner confiance à une population déjà écrasée par de multiples douleurs depuis bien avant mais, surtout, après le Covid. Le touriste peut lire la situation de Maurice sur le visage de chaque Mauricien. Au-delà de la beauté naturelle de notre île, il faut que les Mauriciens retrouvent leur joie de vivre et le sourire pour que le secteur du tourisme retrouve enfin ses années de gloire.

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