Cote d'Ivoire: Tchologo, Bagoué, Poro - Comment l'Etat et ses partenaires s'emploient à éloigner le spectre terroriste

9 Décembre 2022

La solution au terrorisme n'est pas que militaire. Les autorités ivoiriennes qui l'ont si bien compris mettent un point d'honneur à offrir un mieux-être aux populations des régions du Tchologo, de la Bagoué, du Poro, du Kabadougou, du Folon et du Bounkani, au nord de la Côte d'Ivoire, qui étaient sur le point de mordre à l'hameçon.

Car certains fils de ces régions avaient commencé à s'ouvrir aux mouvements extrémistes contre des motos et parfois des sommes d'argent allant de 400 à 500 mille francs CFA. La riposte sociale apportée par l'Etat et ses partenaires commence déjà à porter leurs fruits.

Depuis la dernière attaque terroriste qui remonte au 19 octobre 2021 au cours de laquelle des assaillants ont visé les forces de défense et de sécurité à Téhini, le gouvernement de Côte d'Ivoire et ses partenaires techniques et financiers, pour contrer les velléités djihadistes, ont décidé de réaliser des investissements importants dans le nord contigu au Mali et au Burkina Faso, deux pays voisins en proie au terrorisme.

Pour matérialiser cette volonté du gouvernement, le Premier ministre Patrick Achi s'est rendu le 22 janvier 2022 à Tougbo (Téhini) pour lancer le plan social du gouvernement (PS-Gouv2) d'un coût de 3200 milliards de francs CFA dont une partie est destinée à l'insertion socio-professionnelle des jeunes et au développement des localités du nord aux prises avec le terrorisme depuis quelques années.

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Neuf mois après ce lancement, les populations semblent retrouver la sérénité grâce au déploiement militaire. Et aussi aux différents programmes spéciaux de prise en charge de la jeunesse afin qu'elle ne cède pas au charme terroriste. Kafolo, dans le département de Kong, est un exemple patent de ce retour à la vie normale. Par deux fois, en 2020 et 2021, la localité a été la cible d'assaillants.

En arrivant à Kafolo, ce jeudi 10 novembre 2022, nous avons été frappés, par les nouvelles infrastructures construites ou réhabilitées depuis la dernière attaque et le passage du Premier ministre dans la zone. Les habitants bénéficient désormais de l'eau courante : le conseil régional y a fait construire trois pompes hydrauliques. Un collège de proximité est en construction et les travaux du dispensaire ont été achevés par l'Etat. En matière de communication, de nouvelles routes ont été ouvertes et le village est dorénavant couvert par le réseau téléphonique national.

Ce qui n'était pas le cas au moment de l'attaque. Du fait de cette difficulté, explique un habitant, les renforts sont arrivés 3 heures après les évènements. Selon le député de Sikolo dont dépend administrativement Kafolo, Diomandé Abdoulaye, la sécurité est désormais de mise dans la zone. "Kafolo, c'est désormais la paix. Je peux même affirmer qu'ici on est plus sécurisé qu'à Abjdian ", fait-t-il savoir.

Le village martyr, c'est peu dire, renaît de ses cendres. Les habitants, pour leur part, renouent peu à peu avec leur quiétude d'antan. Ceux-ci, selon le président des jeunes, Traoré M., ont même repris le chemin des champs qu'ils avaient délaissé par crainte. " Maintenant, on arrive à aller au champ. Il y a deux ans, nous ne pouvions le faire ", témoigne-t-il.

Plusieurs jeunes, pour leur part, se sont vu octroyer des projets ou ont été inscrits dans des programmes d'aide à l'emploi. Comme les THIMO (travaux à haute intensité de main d'œuvre) qui permettent aux bénéficiaires de gagner 60 milles francs CFA/mois. Afin de les sortir de l'oisiveté pour qu'elle ne serve pas d'appât aux groupes extrémistes.

Toutefois l'activité touristique qui constituait une seconde source de revenus pour de nombreux jeunes du village, jouxtant le parc de la Comoé, reste encore au point mort. " Les blancs (touristes) ne manquaient pas ici. Ce qui aidait beaucoup de jeunes qui s'improvisaient guides touristiques", soutient le président Traoré.

En lieu et place des touristes, fait-il savoir, ce sont de nombreuses Ong qui ont pris le relais sur le terrain. Qui pour aider à la réhabilitation des infrastructures de base. Qui pour assister les populations en vivres et non vivres. S'agissant des projets gouvernementaux, il estime que le rythme est " lent " et que plusieurs jeunes attendent impatiemment d'en bénéficier.

A 150 km de Kafolo, précisément à Ferkessédougou, toujours dans la région du Tchologo, ce sont 40 jeunes réunis au sein de la coopérative Fonoungo, qui sont les heureux bénéficiaires d'un prêt de 43 millions de francs CFA obtenus dans le cadre du programme "Jeune agriculteur". Les membres font à la fois du maraicher et des cultures céréalières. Le prêt obtenu leur a permis, selon le président de la coopérative, Koné Moumine, de développer leurs activités agricoles. " Grâce à ce financement, tous les producteurs membres ont une motopompe et un jardin (pour les cultures maraichères).

Nous avons aussi produit 10 ha de maïs à raison de 5 t/ha ", confie M. Koné. Et d'ajouter que chaque membre réalise au moins 400 000 FCFA de revenu mensuel. Ce qui était impensable il y a peu pour plusieurs d'entre eux qui se retrouvaient endettés en fin de récolte. C'est donc avec beaucoup d'espoir qu'ils envisagent désormais l'avenir. Portés par cet élan, ils ont entrepris d'accroitre leur production de maïs en passant à 30 ha. Mais leur difficulté se situe au niveau du prix de l'engrais qui connait une flambée. Le prix du sac d'engrais est passé de 13.000 à 30000 FCFA, selon le président.

S'il y a un projet qui est très attendu par la jeunesse du Tchologo, et qui offrira des opportunités d'insertion durable, c'est bien le futur port sec.

L'objectif de ce projet d'un coût de 254 milliards FCFA est de désengorger le port autonome d'Abidjan et de le rapprocher de ses débouchés régionaux que sont le Burkina, le Mali et le Niger. Sa mise en service, selon le ministre des Transports Amadou Koné qui effectuait une visite sur le chantier le 16 septembre dernier, créera 2000 emplois directs dans la région. Ce sont donc des jeunes très enthousiastes qui ont manifesté leur intérêt vis-à-vis de ce projet d'envergure face à leur ministre de tutelle le jeudi 10 novembre lors d'une visite de ce dernier. Ils ont plaidé auprès de la tutelle afin qu'ils soient formés aux métiers du port sec.

Le conseil régional du Tchologo, pour sa part, a anticipé en lançant la formation de 90 jeunes à la conduite d'engins lourds au centre de formation professionnelle de Ferkessédougou. Cette formation de pointe permettra à une frange de la jeunesse de la région d'obtenir une qualification professionnelle et d'aspirer ainsi à un emploi décent en prévision des activités du port sec.

Cette formation assurée par le Centre de formation professionnelle de Côte d'Ivoire (CEFPRO-CI) va durer trois mois. Les participants seront instruits à la conduite d'engins lourds, en mécanique d'engins, en énergies renouvelables, en agriculture intelligente et en ouvrier BTP polyvalent, avec des technologies modernes de pointe dont l'utilisation de simulateurs intelligents.

La doléance des jeunes de voir les actions de l'Etat être amplifiées en leur faveur a trouvé une oreille attentive. Depuis le 10 novembre 2022, Ferkessédougou, chef-lieu de région, a son agence régionale Emploi jeune inaugurée par le ministre Touré Mamadou en présence des partenaires techniques, pour apporter un appui à la mobilisation et à la coordination des initiatives régionales de promotion de l'emploi des jeunes, selon Jean-Louis Kouadio, administrateur de l'agence.

Cependant de nombreux jeunes pourraient passer à côté de ces initiatives. Car, comme le révèle Silué Maïmouna, jeune de Ferkessédougou, beaucoup parmi eux n'ont pas les documents administratifs exigés pour bénéficier de ces opportunités. Notamment la CNI et l'extrait de naissance.

A l'instar du Tchologo, des initiatives sont également déployées dans la région voisine de la Bagoué. La ville de Tengrela vit au rythme du bitumage de sa voirie. Les travaux qui étaient à l'arrêt ont repris depuis peu. Les jeunes de la localité n'ont pas été oubliés. Traoré Klowi Marius est l'heureux bénéficiaire du FASI (Fonds d'appui au secteur informel). Il exerce le métier de rebobineur et a reçu 200 000 FCFA pour développer ses activités. Ce qui, selon lui, lui a permis d'acheter des pièces de rechange et des appareils de seconde main qu'il a recyclés et revendus.

Grâce à ses économies, il s'est acheté un tricycle qui lui rapporte 3000 FCFA/jour. " Avant je faisais seulement de la réparation ", dit-il fièrement. A l'en croire, en dehors de l'orpaillage clandestin, il n'y a pratiquement pas d'activité pour la jeunesse à Tengrela. Les projets gouvernementaux se présentent donc à ses yeux comme le salut pour de nombreux jeunes partagés entre les mines et l'oisiveté.

" Le gouvernement fait beaucoup. Mais nous pensons qu'il faille accélérer la cadence et multiplier par 5 voire 10 ce qui a déjà été fait ", soutient-il. Aussi parlant des infrastructures sociales de base, il souhaite que l'Etat jette un regard bienveillant sur l'hôpital général. " Nous avons un hôpital sous équipé et qui manque de personnel. A cause de la pauvreté du plateau technique, beaucoup de nos compatriotes se soignent au Mali ", rapporte-t-il.

Selon le ministre Mamadou Touré qui faisait le point, le 7 novembre dernier, aux partenaires techniques et financiers, sur le nombre des jeunes bénéficiaires du programme spécial de prise en charge dans l'ensemble des zones de fragilité des six régions du nord sous menace terroriste, 16 785 jeunes ont été traités à ce jour sur 22 912 attendus. Ce qui, selon lui, représente un taux d'exécution de 73%.

Au regard du contexte actuel, la jeunesse désœuvrée et sans éducation représente une bombe à retardement si elle n'est pas prise en charge. Dans ces conditions, créer des emplois devient une " urgence " pour le gouvernement ivoirien et ses partenaires comme l'AFD dont la représentante Céline G.et le ministre de la Promotion de la jeunesse ont lancé récemment, dans la Bagoué, le C2D II emploi qui va permettre de prendre en charge 1220 jeunes de cette région. Il vise à donner directement les moyens aux régions qui sont à même de créer des emplois spécifiques aux besoins qui leur sont propres.

Pour les partenaires et techniques, la jeunesse est la " solution " à tous les défis qui se présentent à la Côte d'Ivoire dont, entre autres, la lutte contre le terrorisme, explique Frédérique Lapeyre, représentant du Bureau International du Travail (BIT). Pour lui, il est important de lui offrir des "opportunités ". " Lorsque des personnes n'arrivent pas à réaliser leurs rêves, elles sont frustrées. Ce qui les rends sensibles aux discours de haine ", souligne-t-il.

Les autorités ivoiriennes qui en sont plus que conscientes ont décidé de non seulement travailler au relèvement des infrastructures des régions du nord délaissées depuis l'indépendance, selon le ministre de la Promotion de la jeunesse, Mamadou Touré, mais de se tenir aux côtés des jeunes. Afin que le terrorisme ne trouve pas de terreau fertile dans cette partie du pays.

Rahoul Sainfort, envoyé spécial dans le Tchologo et la Bagoué

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