Afrique: Le sport, un enjeu de puissance - Qatar, au centre du jeu

9 Décembre 2022

L'émirat du Qatar accueille la coupe du monde de football 2022. Une compétition internationale qui se tient pour la première fois dans un pays arabe. Le Qatar a su user de son influence économique et diplomatique pour se voir attribuer l'organisation de ce prestigieux tournoi qui le place aujourd'hui parmi les grands pays de ce monde.

Situé sur la côte orientale de la péninsule arabique, le Qatar occupe un petit territoire désertique au milieu du golfe persique. Avec une superficie de 11.500 km², il est presque 200 fois plus petit que l'Arabie Saoudite, son unique voisin terrestre. Ce qui n'en fait pas un " petit État ", le pays détient les troisièmes plus grandes réserves de gaz au monde derrière celles de la Russie et de l'Iran son autre voisin, par la mer.

D'abord contrôlé par l'Empire ottoman, il passe, ensuite, sous protectorat britannique durant la Première Guerre mondiale. En 1971, le Qatar obtient son indépendance, mais refuse d'intégrer les Émirats arabes unis. Seulement, son développement se heurte à une absence de pluies, d'eaux douces et d'une excessive chaleur. Coup de grâce, il est découvert des gisements de pétrole dans les années 1940 à Dukhan, puis en 1960 au large de la côte orientale et surtout du gaz en 1971 dans les eaux du golfe persique.

La modernisation du pays s'engage avec les revenues tirées de l'exploitation des hydrocarbures. Ainsi, le richissime État entreprend de vastes chantiers pour booster le développement, mais surtout, il s'engage dans une diplomatie active ayant pour finalité de se forger une image de prestige et une renommée internationale. Dans cette optique, le Qatar se lance dans une politique de séduction et d'ouverture passant par divers canaux tels que sa compagnie aérienne Qatar airais, sa chaine de télévision Al Jazeera, mais aussi et surtout une forte implication dans le domaine sportif.

%

Riche pays, il mène, depuis plus de 10 ans, une diplomatie active du sport et ne compte pas l'investissement. Il sponsorise le maillot du Fc Barcelone en Espagne, rachète le Paris Saint Germain en France, fait venir des stars comme Neymar et Messi. Le mondial qui se tient du 20 novembre au 18 décembre 2022 est le point d'orgue de cette stratégie de soft Power qatari. Il permet de nouer des alliances internationales et de peser face à l'Arabie saoudite qui possède le club anglais Newcastle et les Émirats arabes unis, Manchester City.

Le sport, une stratégie de soft Power

Avec cette démarche, le Qatar a voulu donner l'image d'un pays moderne, ouvert et prêt à recevoir. Désormais, le monde arabe, plutôt que d'être un théâtre d'affrontements armés, devient le lieu où le monde s'affronte autour du ballon rond. Avec l'audience qu'a le football, les droits de diffusion, le sponsoring, ce sport est devenu un business et l'organisation de la coupe du monde résume des enjeux diplomatiques et financiers. D'abord l'apanage des grandes nations d'Europe et d'Amérique, cette compétition est sortie de son aire géographique pour conquérir de nouveaux marchés. États-Unis en 1994, la Corée du sud et le Japon en 2002, l'Afrique du Sud en 2010, la Russie 2018 et le Qatar 2022.

Depuis le début de cette 22e édition, le monde entier a les yeux braqués sur ce petit pays du golfe. L'aéroport de Doha, la capitale, vit au rythme d'un ballet incessant d'avions qui se posent par centaines. Pari réussi, l'objectif atteint, le Qatar à l'attention du monde entier, accueillant, en même temps, les délégations de 32 pays participants, des célébrités comme Morgan Freeman, d'anciens footballeurs, des artistes et supporteurs venus des quatre coins du monde.

Le Qatar semble comprendre que le sport est un instrument diplomatique, bien que non officiel. Il permet à une Nation d'améliorer son image, de promouvoir sa culture et en quelque sorte de réintégrer le pays dans la scène internationale. Considérant la vision parfois négative de l'Occident sur le monde arabo-musulman, le Qatar brise les idées reçues sur un monde oriental fermé, dictatorial, non respectueux des droits humains et en proie à des conflits internes. Désormais, le monde arabe, le Qatar en tête d'affiche, joue un rôle central sur la scène internationale et rejoint le concert des nations capables d'accueillir des évènements d'envergure mondiale.

D'après Pascal Boniface, dans son article, " Le sport : une fonction géopolitique " publié en 2017, dans la revue Défense nationale, " le sport est un espace social global qui se joue des frontières, mais aussi des clivages politiques, ethniques ou religieux. Il est le stade ultime de la mondialisation. C'est sa phase heureuse ". Contrairement à la puissance militaire qui suscite l'hostilité, la puissance du sport suscite l'admiration.

Mondial 2022, la toute-puissance du Qatar dévoilée

Il faut dire que le Qatar a réussi à susciter fascination, respect, envie et curiosité chez beaucoup de personnes. Pour cette coupe du monde, l'émirat a sorti les gros moyens. S'il est le plus petit pays, par sa superficie, à organiser une coupe du monde, il est aussi celui qui a le plus investi d'argent.

220 milliards d'euros, c'est le prix total de l'organisation du mondial, selon une enquête menée par Front Office Sport, soit cinq fois plus que les budgets additionnés des 7 dernières éditions. Six stades flambant neufs, dotés d'un système de climatisation moderne, trois lignes de métro, un aéroport, une ville neuve (Lusail), hôtels de luxe, terrains de golf, 974 conteneurs démontables pour un stade, des navettes quotidiennes tellement nombreuses que les aéroports des pays voisins (Dubaï, Oman, Arabie Saoudite, Koweït) sont sollicités.

Seulement, l'image d'un pays moderne et respectueux des droits humains prônée par le Qatar a été ternie par les scandales de corruption et d'exploitation des étrangers pour la construction des stades. Les appels au boycott se sont multipliés, mais l'émirat a su aller au bout de ses ambitions et la coupe du monde 2022 se tient sans grand incident.

MASSATA DIACK, EXPERT EN MARKETING SPORTIF

"Le sport est devenu un important élément diplomatique"

Les évènements sportifs permettent à un pays de montrer la densité de son économie et de participer au grand concert des Nations. C'est l'avis de l'expert en marketing sportif Massata Diack. Il pense que le sport, notamment le football, est devenu un enjeu géopolitique et un outil diplomatique.

Le Qatar est le premier pays arabe à organiser la Coupe du monde de football. Que peut représenter cet évènement pour l'émirat ?

Il faut d'abord préciser que le Qatar est le premier pays arabe à avoir organisé un évènement de la Fifa, en dehors de la Tunisie en 1977. Le Qatar a organisé le championnat du monde junior en avril-mai 1995. La Fifa a aussi reçu les bonnes faveurs de l'émirat en 1998 avec l'appui à l'élection de Sepp Blatter à la présidence. La Fifa connaît ce pays qui s'est très tôt impliqué dans son environnement pour le développement du football avec cette compétition en 1995 en assistant aussi en 2001, lors de la faillite de Isl Marketing, à ce que la Fifa ne connaisse pas les mêmes destinées en renflouant, avec le Crédit suisse, par une émission obligataire à laquelle le Qatar a largement contribué. C'est un pays qui s'est depuis longtemps positionné comme un acteur du sport mondial.

Donc cette Coupe du monde est la continuité d'une politique sportive qatarie d'influence et de visibilité ?

Ça fait partie des stratégies de positionnement pour une visibilité internationale. C'est ce qu'on appelle le soft power. Les évènements sportifs permettent à un pays de montrer la densité de son économie et de participer au grand concert des Nations. Aujourd'hui, pour être une grande puissance, il faut non seulement avoir un armement militaire, être une puissance technologique ou industrielle mais il faut aussi être parmi les pays qui organisent soit les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football, soit les Championnats du monde d'athlétisme, de basket, de natation ou les Jeux universitaires.

Ces six grands évènements déterminent aujourd'hui la puissance des grandes Nations. Il y avait au moins 15 parmi les plus grandes Nations qui étaient en lice pour se voir attribuer les compétitions de la Fifa en 2018 et en 2022. On peut citer la Russie, l'Angleterre, les Pays-Bas avec la Belgique, l'Espagne avec le Portugal ou l'Australie. Ce qui montre que le sport est devenu un important élément diplomatique et socioéconomique.

Vous parlez de soft power et de positionnement. Peut-on alors dire que le Qatar fait partie des grands de ce monde ?

Absolument ! Le Qatar fait partie du top 15 des pays les plus influents. Et c'est dû à quoi ? (Il observe un silence). C'est d'abord grâce à sa diplomatie parce qu'en dehors du sport, le pays est engagé comme médiateur dans beaucoup de conflits comme en Afghanistan, au Soudan, en Ethiopie ou encore au Tchad. Doha est devenue un lieu de rencontres où tout le monde converge pour des médiations. Donc je pense que le Qatar est un élément très important de la diplomatie mondiale.

Le Qatar est éliminé de cette compétition sans avoir obtenu le moindre point. Est-ce qu'ils n'ont pas plus misé sur le plan de l'organisation et les retombées politico-économiques que sur l'aspect sportif ?

Le Qatar n'était pas naïf. Il ne s'attendait pas, en organisant la Coupe du monde, à arriver en finale. Les Qataris ont organisé pour montrer l'importance qu'ils accordent au sport mondial. Et il faut, au moins, les remercier pour avoir mis autant d'argent et d'infrastructures à la disposition du monde pour que le sport s'épanouisse. Sur le plan sportif, c'est un pays en construction. Il a la plus grande académie de football au monde, Aspire, créée en 2005, mais aussi la plus grande clinique de médecine sportive au monde, Aspetar. Le pays est en train de se positionner pour au moins attirer les plus grands sportifs et à l'horizon 2030. Il faudra peut-être compter sur le Qatar parmi les grandes Nations sportives.

Beaucoup de pays, notamment ceux du Golfe, s'investissent dans le sport, avec des Etats qui accueillent les grandes compétitions internationales. Est-ce là une preuve de la redistribution du jeu politique international ?

Mais tout à fait ! Il faut savoir qu'il y a eu 22 éditions de la Coupe du monde, et pour le moment, seuls six pays, en dehors de l'Europe et de l'Amérique du Sud, l'ont accueillie. Tout le reste s'est fait entre ces deux continents. Ce n'est qu'en 1994 qu'on est allée aux Etats-Unis qui étaient une nouvelle frontière pour la Fifa. En 2002, la compétition est allée en Corée-Japon et en 2010 en Afrique du Sud.

D'ailleurs, Mandela avait donné à cet évènement une envergure géopolitique en faisant le tour du monde pour quémander les voix des membres du Comité exécutif de la Fifa et amener la compétition en Afrique. Et aujourd'hui, d'autres se préparent à l'instar de l'Arabie Saoudite avec l'Egypte et la Grèce, la Chine, le Maroc, l'Espagne et même l'Algérie. Mais l'organisation est devenue plus lourde maintenant avec l'augmentation du nombre de pays qualifiés (la Fifa a augmenté le nombre de qualifiés en phase finale de 32 à 48, à partir de l'édition de 2026, N dlr). Il y a une ouverture certaine du jeu.

Les joueurs iraniens ont refusé de chanter leur hymne national en soutien au mouvement de protestation interne, le Qatar a interdit le port du brassard aux couleurs arc-en-ciel, les joueurs allemands se sont couvert la bouche en signe de protestation. Cette Coupe du monde n'est-elle pas plus politique que sportive finalement ?

(Catégorique) Ce sont les Occidentaux qui ont voulu en faire un évènement politique en mettant toutes ces campagnes contre le Qatar alors qu'ils ont des choses à se reprocher. En 1978, on a organisé le tournoi en Argentine sous un régime militaire dictatorial et personne n'a boycotté. Cette forme de protestation dans les évènements sportifs a commencé depuis longtemps. En 1968, nos frères noirs d'Amérique ont porté le gant noir pour protester contre la discrimination raciale aux Etats-Unis. Ce sont des choses qui existent mais il ne faut pas qu'on utilise le sport pour des divergences politiques.

Le sport doit unir, mais aujourd'hui certains cherchent une visibilité en utilisant la Coupe du monde qui est suivie par plus de cinq milliards de personnes pour leur promotion. Je pense que si la Fifa prévoit des sanctions contre les équipes qui font la promotion de certaines idéologies, beaucoup ne le feraient plus. La majorité des personnes qui le font sont issues de pays très croyants qui n'accepteraient pas le diktat de ces Ong ou mouvements de la société civile qui cherchent à s'imposer dans le monde sportif alors qu'ils n'y contribuent pour rien du tout. La Fifa ne reçoit pas de contribution de leur part mais dépend de ses sponsors, de ses droits télé et de la cotisation de ses membres. Le Qatar a réussi le pari de son organisation.

La Fifa pourra-t-elle aller dans ce sens si on voit l'interdiction faite à la Russie de participer à cette compétition ?

La Russie est un grand pays de sport. Sauf que depuis 2014, on cherchait à atteindre Moscou. Peut-être que l'erreur a été de déclencher la guerre en Ukraine à l'approche de la Coupe du monde. La Russie et le Qatar ont beaucoup contribué au sport. Donc ces pays qu'on cherche à bannir méritent le respect. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'à chaque fois qu'un pays non-européen organise, on crie au scandale.

Mais comment ont-ils fait pour organiser la Coupe du monde 2006 en Allemagne ? France 1998 ? Personne n'en parle mais dès qu'un autre pays qui ne fait pas partie de leur sphère d'influence organise, on parle de corruption, de scandales. L'Occident n'a plus les moyens d'organiser à lui seul les compétitions. D'ailleurs, à l'interne, même les populations objectent parce que c'est l'argent du contribuable qui est utilisé. Hambourg, Budapest et Rome se sont retirés de l'organisation des Jeux olympiques 2024 à cause de ça, ce qui a permis à Paris et Los Angeles de trouver un arrangement pour 2024 et 2028.

L'Afrique a un bilan mitigé au Qatar avec des pays qualifiés et d'autres éliminés dès le premier tour. Les performances sportives peuvent-elles avoir un impact sur la place du continent dans le monde ?

Le 21ème siècle sera celui de l'Afrique. Notre potentiel sportif n'est pas encore exploité dans sa globalité et nous avons de vaillants joueurs dans tous les championnats. Sadio Mané est deuxième du Ballon d'Or 2022. En 2002, la victoire sur la France nous a permis de faire un bond diplomatique de 50 ans (rire). La génération 2002 nous a donné une grande visibilité, mais il faut que nos gouvernants investissent sérieusement dans le sport.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.