Ile Maurice: Éclairage - Redressement économique périlleux malgré la reprise du tourisme

14 Décembre 2022

Entendons-nous bien, la crise pandémique de 2020 entraînant une récession, couplée aux effets économiques et sociaux de la guerre russo-ukrainienne, est venue plonger le monde entier dans une phase d'instabilité. Avec pour conséquence, une nouvelle distribution des cartes et un repositionnement des puissants de ce monde.

Sans doute, les risques d'une nouvelle récession demeurent réels en 2023 sur fond d'une pire crise énergétique jamais connue depuis 1970. Celle-ci est venue porter l'inflation à des sommets qu'elle n'a pas connus depuis des décennies, ce qui pèse dans la foulée sur la croissance mondiale, estimée à 2,2 % l'année prochaine avant de rebondir à 2,7 % en 2024.

Tous les spécialistes sont catégoriques : l'Asie devrait être le principal moteur de la croissance en 2023 avec un taux de 4,1 % tandis qu'en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, les taux de croissance seront très faibles, avoisinant respectivement 0,5 %, 1,7 % et 1,2 %.

Maurice, petit État insulaire tributaire des échanges commerciaux avec les grands marchés pour sa survie, subit toujours les effets de la crise. Avec un taux de croissance de 7,2 % cette année - abondamment relayé ces jours-ci par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy qui se réjouit de la gestion économique de son gouvernement - il y a nécessairement un début de reprise tirée essentiellement par le tourisme qui reprend visiblement des couleurs depuis l'ouverture des frontières en octobre 2021. Avec à la clé, la réalisation de l'objectif d'un million de touristes fixé par les autorités d'ici la fin de l'année. Mais il n'y a pas lieu de pavoiser car 2023 s'annonce compliqué pour ce secteur avec un ralentissement économique susceptible de frapper nos principaux marchés émetteurs en Europe. Nommément la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande Bretagne.

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Cela alors même que l'AHRIM tablait déjà sur 1,4 million d'arrivées touristiques pour l'année fiscale se terminant en juin 2023.

Encore faut-il rappeler que la croissance de 7,2 % (6,2 % selon MCB Focus et 6,1 % estimée par le FMI) est comparée à 2021 quand le taux de 3,7 % était relativement faible, toujours tributaire d'une année sous l'effet de la crise et 2022 qui témoignent d'un début de reprise de l'industrie touristique.

Faire un bilan de l'année 2022 implique forcément une meilleure compréhension des défis qui se profilent à l'horizon de 2023. Or, les experts invitent à la prudence car il y a des indicateurs qui interpellent et qui peuvent être de potentielles sources de dangers.

En premier lieu, l'inflation qui aura marqué les esprits des décideurs économiques, mis sous pression les responsables des banques centrales et qui est forcément à l'origine des agitations sociales des populations. L'envolée des prix des commodités sur les marchés internationaux avec le début des hostilités en Ukraine a fait chuter lourdement les salaires réels et amputé fortement le pouvoir d'achat.

À Maurice, la flambée des prix découlant de la crise inflationniste a provoqué en mai dernier pour la première fois la colère populaire d'une frange de la population, des familles à faibles revenus qui n'ont pas hésité à descendre dans la rue face à l'incompréhension des dirigeants politiques qui étaient dans l'incapacité dans un premier temps de comprendre leur détresse. Certes, des mesures sociales ciblées prises dans le dernier budget ont soulagé dans une grande mesure ces familles confrontées à un déclassement social.

Taxes sur les ménages

L'inflation, importée comme celle liée à la dépréciation de la roupie, donc entraînant la perte du pouvoir d'achat, demeure une taxe sur les ménages précaires, explique plus loin l'économiste Rajeev Hasnah, rappelant que l'intervention de la Banque centrale pour "bail out" l'État dans le sillage de la crise pandémique a été l'effet déclencheur de cette montée inflationniste. Aujourd'hui, la Banque de Maurice comme les autres banques centrales à l'échelle mondiale ont recours à la politique monétaire pour juguler l'inflation. Mais la question qui se pose est jusqu'où iront de telles interventions pour ramener l'inflation à un seuil contrôlable. Alors même que des voix autorisées dans la sphère de politique monétaire évoquent les limites de l'efficacité de l'outil monétaire visant à réajuster systématiquement le taux directeur pour calmer les ardeurs inflationnistes du marché.

Comment le gouvernement compte s'y prendre pour lutter efficacement contre la spirale inflationniste alors même que le renchérissement du loyer de l'argent a commencé à impacter négativement l'endettement des ménages et des entreprises ? Il faut noter aussi que la hausse du taux repo à 4 % n'aura pas incité a fortiori la population à économiser avec un taux réel de seulement 2 % ; sans compter que le taux d'épargne national demeure historiquement bas à 10,5 % depuis 2014. De plus, il faut s'attendre à ce que le gonflement de la masse monétaire - d'environ Rs 2 milliards à Rs 3 milliards - pour décembre, en raison notamment du paiement des boni de fin d'année, relance l'inflation avec la consommation de fin d'année.

À une année de l'échéance électorale, 2023 sera à bien des égards une année où des largesses pourraient être permises. D'ores et déjà, la pension universelle, déjà annoncée, sera portée à Rs 13 500 en juillet prochain. La tentation sera certainement forte pour amadouer et cibler une certaine clientèle politique à l'approche des élections mais faut-il encore ne pas occulter le fait que des institutions internationales comme Moody's, la Banque mondiale et le FMI veillent au grain la gestion économique ou encore sa capacité financière à honorer ses engagements et que tout dérapage sera sanctionné par des notes d'information négatives. D'ailleurs, en passant de Baa2 à Baa3 en juillet dernier, l'agence de notation Moody's a revu à la baisse la note de Maurice qui se classe désormais au dernier rang de la catégorie investissement.

Aujourd'hui, force est de constater que certains indicateurs sont loin d'être rassurants et qu'il ne faut pas hélas tout mettre sur le compte de la crise pandémique ou de la guerre en Ukraine. Une détérioration de ces indicateurs fragiliserait davantage Maurice aux yeux de l'opinion publique internationale. Déjà, un de ces indicateurs, qui en dit long sur le train de vie de l'État est la dette publique. Elle s'élève aujourd'hui à plus de 85 % du PIB et tout laisse croire qu'elle se filera à l'approche de l'année électorale. Mais il y aussi le déficit commercial qui dépassera pour la première fois 35 % du PIB.

Tout compte fait, la prudence est de mise et si le bilan économique de 2022 peut donner une source de satisfaction sur certains fronts, l'année 2023 sera décisive face à de nouveaux chocs économiques en perspective...

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