Ile Maurice: Vassen Kauppaymuthoo - "La pluie a diminué de 8 % depuis 1950 mais tombe de façon plus localisée et intense"

Le pays connaît depuis quelques années des périodes de sécheresse extrême et de pluies intenses qui causent des inondations en quelques heures, comme hier. Le changement climatique se fait donc durement sentir. Quelles mesurent devrons-nous prendre afin de minimiser ses effets et mieux sauvegarder la nature et notre zone maritime ? Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur environnemental, nous parle des enjeux environnementaux auxquels fera face le pays dans les années à venir.

2022 s'est achevée. Quel bilan le militant de la nature que vous êtes, fait-il sur la santé environnementale de Maurice ?

La population a pris conscience des enjeux environnementaux, surtout les jeunes, et on compte désormais de nombreuses initiatives citoyennes pour nettoyer les plages ou les villes. Cependant, on a trop tendance à considérer que protéger l'environnement, c'est nettoyer. La notion de développement durable est essentielle quand on parle d'environnement, c'est-à-dire qu'il faut trouver cet équilibre entre développement social et développement économique.

Si on regarde l'environnement de façon globale, malheureusement, notre île fait toujours l'objet de projets destructeurs qui défigurent la nature et qui ne sont pas forcément positifs pour la société. Par exemple, quand on regarde les constructions sur les flancs de montagne abruptes, ou la pression immobilière sur la zone de Roches-Noires.

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Pour Rodrigues, la situation semble différente avec un développement plus durable et planifié, alors que pour nos îles éparses, Tromelin, Diego Garcia, Saint-Bran- don et Agaléga, la situation est inquiétante de par la quantité de déchets plastiques qui sont en train d'affecter la chaîne alimentaire des océans.

Maurice est déficitaire en pluie depuis des mois. Le "Summer Outlook" mentionne des conditions torrides pendant les mois de janvier à mars et des événements météorologiques extrêmes tels que les orages violents et de fortes averses entre janvier et avril. De fortes précipitations de courte durée provoqueront des crues soudaines localisées. Est-ce que ces extrêmes sont dus uniquement au changement climatique ?

Le dérèglement climatique, comme son nom l'indique, crée des extrêmes, c'est-à-dire des périodes de pluies torrentielles entrecoupées de périodes de sécheresse. À Maurice, la pluviométrie a diminué de 8 % depuis 1950, mais la pluie tombe de façon plus localisée et intense. Les cyclones, bien qu'aussi nombreux que dans le passé, sont beaucoup plus puissants, comme Fantala, qui a été le cyclone le plus intense jamais enregistré dans notre région avec des vents soutenus de 250 km/h pendant une période de 10 minutes. Notre île, ainsi que Rodrigues et les autres îles de notre République, seront soumises à de dures épreuves dans les décennies à venir, à cause des impacts liés au changement climatique.

Si nous faisons actuellement face à un débalancement du climat, la situation se calmera avec le temps où s'aggravera de plus en plus ?

Malheureusement, selon les dernières previsions émises par l'IPCC (International Panel on Climate Change) des Nations unies qui regroupe des scientifiques à travers le monde, les impacts du changement climatique sont encore plus importants que prévu, et l'objectif de 1,5 degrés Celsius sera dépassé. Face à cela, la fonte des glaciers dans l'Antarctique et l'Arctique s'accélère, et si le Glacier Thwaites venait à s'effondrer, le niveau des mers à travers le monde s'élèverait rapidement de plusieurs dizaines de mètres. Les canicules humides (wet bulb effect) causent déjà des décès à travers le monde et on sait aujourd'hui que, malgré les grands discours, la situation ne va que s'empirer en s'accélérant avec les années.

Notre petit État insulaire, est vulnérable au changement climatique. Est-ce que nous avons finalement pris conscience de ce phénomène ? Voyez-vous des changements concrets ? Ou la route est-elle longue ?

Les décideurs politiques ainsi que les investisseurs sont trop axés sur l'aspect financier et qu'ils ont oublié les aspects sociaux et environnementaux. Les gestionnaires cherchent à économiser de l'argent, sans réfléchir à la valeur du patrimoine environnemental et aux services écosystémiques. Par exemple, qu'un hectare de lagon en bonne santé procure plus de 100 millions de roupies par hectare en termes de protection contre les effets de l'érosion ou des houles, ou encore des ondes de marée cycloniques.

Il nous manque une génération d'investisseurs avant-gardistes qui savent intégrer l'économique (nous avons quand même besoin d'emplois et de croissance), le social (une économie en bonne santé depend d'une société heureuse) tout en rentrant dans l'équation la valeur financière de l'environnement et des services écosystémiques. Pour convaincre les financiers et les gestionnaires ainsi que les politiciens, il faut parler le language de l'argent pour protéger l'environnement et la société. C'est vers cette voie que nous devrons aller pour accélérer la transition verte et bleue qui sera porteuse, selon moi, de croissance et qui constituera les prochains piliers de notre économie. Mais pour l'instant, il y a encore du chemin à faire.

"Nous ferons également face, d'après les économistes, à une crise économique mondiale qui mettra à terre les développements immobiliers et qui permettra peut-être à la nature de souffler un peu."

Avec la saturation du site d'enfouissement de Mare-Chicose et l'incendie qui s'est déclaré le 22 novembre, une question primordiale mérite d'être posée. Comment diminuer les déchets à la source ? Est-ce que le tri et le recyclage peuvent vraiment aider, ou est-ce un mythe ?

Mare-Chicose est une catastrophe écologique pour le pays, une catastrophe qui dure depuis des décennies, avec un empoisonnement lent de la terre, des eaux souterraines avec des métaux lourds, de l'air avec des gaz toxiques, le déplacement des populations, les incendies réguliers liés à la fermentation et à la production de méthane. Les autorités ont décidé d'aller vers une verticalisation, mais c'est une erreur, car certaines cellules qui ont été construites ne possèdent même pas de membrane imperméable, alors que d'autres débordent quand il pleut dans cette zone humide. On a fermé les yeux sur ce "cancer" qui ronge notre pays, ce drame qui a forcé de nombreuses familles à quitter leur terre natale, et les effets de la pollution par les métaux lourds se feront sentir encore de nombreuses années.

Il faut fermer Mare-Chicose, mais pour cela, il faut aussi trouver des alternatives, dont la réduction des déchets à la source, le recyclage, le compostage, le tri pour pouvoir valoriser aujourd'hui ce qu'on appelle l'urban mining. Une tonne de PET peut se vendre jusqu'à Rs 35 000, alors que nous n'avons toujours pas de consigne sur les bouteilles en plastique qui traînent dans la nature avec les cannettes de bière en aluminium. Il y a de très forts lobbies pour ne pas avancer dans ce domaine, et nous sommes en 2023 !

Il faut comprendre et valoriser nos déchets, composter les déchets verts qui représentent presque deux tiers de nos ordures, récupérer les métaux, le plastique, tout cela peut créer un potentiel économique énorme dans tout le pays, les villages, les zones reculées, créer de l'emploi et aller dans le sens de la croissance verte. Il faut casser les lobbies et ce n'est pas la production de bouteilles en plastique plus fines qui résoudra le problème, mais le passage aux bouteilles recyclées et au tri sélectif à la source, dans les maisons.

En 2022, Maurice a été le théâtre de trois naufrages avec le plus récent à Saint-Brandon, qui se trouve dans nos eaux territoriales. Dans certains cas, il y a eu des déversements d'hydrocarbures. Quelles sont les conséquences à court et à long termes sur la biodiversité marine, déjà que le plastique est une des causes majeures de pollution ?

La pollution marine représente un défi majeur pour notre République, car il ne faut pas oublier notre histoire, celle d'une île située sur la route maritime stratégique des Indes, aujourd'hui à proximité de l'autoroute maritime Asie-Afrique du Sud-Amérique du Sud. Il faut ajouter à cela les pressions exercées par les flottes de pêche étrangères sur nos océans, avec des bateaux hors normes, qui ont des peintures toxiques, et où se pose la question des droits de ceux qui y travaillent.

Par rapport à cela, nous avons été chanceux, malgré l'événement du Wakashio, que la situation n'ait pas été plus grave, et il nous faudra nous préparer, surveiller et protéger nos côtes, car nous risquons un déversement majeur dans les années à venir, accidentel ou intentionnel. Il faut nous mobiliser, au niveau régional, pour nous protéger, car la catastrophe qui en résulterait mettrait à terre les communautés côtières, le tourisme et l'économie de notre pays.

J'ai peur malheureusement que nous n'ayons déjà oublié les souffrances causées par ces naufrages, et que nous nous endormions sur nos lauriers. Il faut redoubler de vigilance et nous préparer, quitte à refuser l'accès à notre ZEE (NdlR : Zone économique exclusive) aux bateaux qui risquent de représenter un danger environnemental majeur et aux bateaux de pêche des pays asiatiques qui ne respectent pas les normes internationales. La valeur de nos océans à long terme, leur productivité et la valeur de leur biodiversité dépassent largement les revenus liés aux licences de pêche et le risque économique d'un futur naufrage.

Est-ce que la pollution cause un déplacement de nos espèces marines ? Quel impact peut-elle avoir sur notre biodiversité marine ainsi que le secteur de la pêche dont nous dépendons ?

Le réchauffement climatique a causé une augmentation de la température des couches supérieures des océans, un changement des routes migratoires des poissons pélagiques comme les thons, ainsi que la formation de zones mortes sans oxygène et dénuées de toute vie. Les impacts du changement climatique sur les océans ne font que commencer à être compris, mais le climat global ainsi que les ressources marines en dépendent pleinement. À cela il faut ajouter la pollution par les plastiques qui continuent à rentrer dans les océans, à se fragmenter en micro et en nano plastiques qui passent la barrière des cellules et rentrent dans tous les organismes marins que nous consommons, et cela est très inquiétant.

Même si nous avons fait beaucoup d'efforts à Maurice, beaucoup de pays asiatiques déversent des quantités phénoménales de plastique dans les océans, plastiques qui finissent dans nos eaux à cause du courant sud-équatorial. Cette problématique est globale et elle doit être prise à un haut niveau, tout comme le réchauffement climatique, car nous partageons les océans.

Des polluants comme des pesticides, des herbicides, de l'engrais, du plastique et d'autres déchets finissent dans nos eaux. La cause principale de la pollution marine provient-elle de la terre ?

Définitivement, la pollution terrestre cause la dégradation de l'écosystème marin, mais il ne faut pas oublier aussi la quantité de nylon (filets et systèmes de pêche) qui rentre dans les océans à cause des activités de pêche. Nous appelons cela la pêche fantôme, qui affecte les tortues marines et les cétacés à travers le monde. Mais la majorité de la pollution qui rentre dans les océans est humaine et terrestre, à travers les ruisseaux qui se jettent dans la mer, l'eau souterraine, le ruissellement, les tuyaux de décharge du tout-à-l'égoût qui ne sont pas toujours aux normes.

On a souvent considéré les océans comme une vaste poubelle, capable d'absorber de manière infinie le fruit de nos excès. À Maurice, par exemple, on constate la mort lente et inexorable de nos récifs coralliens et on veut faire des projets de plantation de corail sans penser au fait que l'eau souterraine polluée des zones côtières non-traitée rentre dans des fosses septiques et finit à la mer. Il faut avoir une vision intégrée et globale des problèmes, au lieu d'une approche parcellaire. Il faut comprendre les interactions complexes pour trouver des solutions.

Pensez-vous que Maurice exploite suffisamment ses océans pour qu'ils deviennent le prochain pilier de l'économie ?

Le terme exploitation porte à confusion, car il faut définir une relation différente avec les océans que celle que nous avons développée avec les terres. Il y a quelques siècles, la terre et ses fruits appartenaient à tous, elle constituait cette mère nourricière et personne n'aurait pensé pouvoir la diviser, la vendre et s'en approprier. Pourtant, c'est ce qui s'est passé. Aujourd'hui, les océans font partie du domaine publique maritime, cet espace commun partagé par tous, qui fait que si l'on a faim, on peut pêcher un poisson pour se nourrir sans payer.

Mais cela est en train de changer, et il faut développer une économie bleue durable et respectueuse des coutumes locales et des communautés côtières qui en dépendent (pêcheurs, lieux de prière, loisirs... ) tout en comprenant que l'avenir de notre pays sera basé sur cette vaste zone de 2,3 millions de kilometres carrés (plus de quatre fois la taille de la France) qui regorge de richesses autres que les poissons : biotechnologie, nutraceutique, médicaments et anti-cancéreux, biodiversité, puits carbone, et pour cela il nous faudra être innovant en redéfinissant notre relation avec les océans, en comprenant par exemple que le tourisme se transforme en un tourisme respectueux de la nature.

C'est cela l'eldorado bleu, un nouveau monde où les possibilités sont quasiment infinies, mais il ne faudra pas répéter les erreurs du passé, celles que nous avons faites sur terre. Je suis convaincu que l'économie bleue sera le prochain pilier de notre économie si nous savons l'approcher de façon innovante et respectueuse, de façon durable.

Pourrons-nous le faire en sachant que nous collectionnons des naufrages ? Outre la pêche, quels sont les autres secteurs qui seront affectés ?

Il nous faut commencer par protéger notre espace maritime, qui est aujourd'hui en proie à toutes sortes d'abus et de trafics, faute de quoi nous n'arriverons jamais à concrétiser ce rêve bleu. En effet, nous devons avoir une politique stricte d'accès et de contrôle de notre ZEE, pour éviter que des épaves flottantes ne viennent menacer nos îles. Il nous faut également arrêter toute cette destruction de nos ressources marines par des pays peu scrupuleux, empêcher la pêche par dragage comme nous l'avons fait durant de nombreuses années, et assoir à nouveau notre souveraineté maritime.

J'ai quelques fois l'impression que nous sommes portés par les volontés de certaines puissances étrangères qui nous dictent notre conduite, et qui nous empêchent de ce fait de réaliser notre indépendance politique et économique pour laquelle nos ancêtres se sont si longuement battus. Pour l'océan Indien, une guerre se prépare, entre la Chine et l'Inde, entre l'Occident et l'hégémonie de certains pays qui ont compris que le contrôle des océans sera critique dans les décennies à venir. Ce contexte géopolitique devra démontrer notre neutralité et la défense de nos intérêts nationaux pour que nous puissions continuer à nous développer comme une République.

Quels sont les défis/attentes auxquels nous ferons face cette année pour l'environnement terrestre et marin ?

Le changement climatique continuera à s'accélérer, nous aurons sûrement à faire face à une sécheresse suivie de pluies torrentielles, un cyclone très puissant, une érosion accentuée de nos plages qui causera sûrement une pression accrue sur notre sécurité alimentaire. Nous ferons également face, d'après les économistes, à une crise économique mondiale qui mettra à terre les développements immobiliers et qui permettra peut-être à la nature de souffler un peu, comme elle l'a fait durant les quelques mois de confinement du Covid-19.

Les défis principaux seront de prendre des décisions draconiennes par rapport à notre environnement et nos océans, car notre futur en dépendra. Il faudra développer l'économie bleue et l'économie verte, aller vers une transition énergétique durable, une sécurité alimentaire accrue et une reconnaissance de la richesse de notre biodiversité marine.

En termes de crise économique, de dévaluation de notre roupie, d'une flambée des prix quand nous importons plus de 80 % de notre nourriture, il ne faut jamais oublier que les océans ont toujours été là, comme une mère nourricière, riche en poissons, stockant d'énormes quantités d'énergie renouvelable, source d'inspirations pour les jeunes générations, avec un potentiel écotouristique énorme.

Il nous faudra en 2023 avoir le courage de prendre des décisions, d'enlever nos chaînes et nos contraintes liées aux pressions externes pour rallumer la flamme dans les yeux de nos concitoyens, spécialement des jeunes et des femmes, en créant un espoir et un défi nouveau, celui de faire renaître une République respectueuse de son environnement et de ses océans, étoile de l'océan Indien, qui saura faire face à l'adversité, au changement climatique et a l'effondrement des écosystèmes marins avant qu'il ne soit trop tard. Nous avons la capacité de le faire, et il nous faudra pour cela nous engager pour notre avenir.

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