Une analyse régulière des performances économiques pourrait stimuler la prise de décision en matière d'investissements en Afrique, selon l'économiste en chef de la Banque africaine de développement

23 Janvier 2023
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African Development Bank (Abidjan)
communiqué de presse

L'économiste en chef et vice-président par intérim chargé de la gouvernance économique et de la gestion des connaissances du Groupe de la Banque africaine de développement, Kevin Chika Urama, nous livre son analyse de la première édition du rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique, publié jeudi 19 janvier 2023.

Cette nouvelle publication semestrielle vise à fournir aux décideurs africains, aux investisseurs mondiaux, aux chercheurs et aux autres partenaires au développement une évaluation pointue, opportune et fondée sur des données probantes des récentes performances macroéconomiques du continent et de ses perspectives à court et moyen terme, dans un contexte d'évolution dynamique de l'économie mondiale.

En quoi le rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique est-il important ?

Comme d'autres régions du monde, l'Afrique continue de faire face à des chocs qui se chevauchent, comme la pandémie de Covid-19, les impacts des changements climatiques, la montée des tensions géopolitiques, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement et le resserrement des conditions financières mondiales, qui ont un impact sur les principaux indicateurs macroéconomiques.

Les indicateurs macroéconomiques englobent la croissance économique, le développement du secteur financier, les taux d'intérêt et de change, la situation budgétaire, la situation de la balance courante, les flux financiers et la dynamique de la dette, qui rendent très complexes l'élaboration des politiques et les décisions d'investissement.

Le rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique couvre tous les pays africains et vise à offrir une analyse régulière de l'évolution récente et des perspectives à court et moyen terme de ces indicateurs macroéconomiques clés aux niveaux continental, régional et national. Il propose également des stratégies pour faciliter l'élaboration des politiques et les décisions d'investissement sur le continent.

Ce rapport sera publié deux fois par an - aux premier et troisième trimestres -, afin d'offrir aux décideurs, aux investisseurs et à toutes les parties prenantes des informations en temps réel et fondées sur des données probantes quant aux facteurs qui façonnent le développement de l'Afrique.

Pourquoi la Banque a-t-elle jugé nécessaire de produire ce rapport ? Quels en étaient les principaux objectifs ?

Le rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique répond à un besoin crucial de disposer d'informations en temps voulu pour faciliter la prise de décision dans un contexte d'incertitudes mondiales et régionales accrues.

Les conditions macroéconomiques mondiales sont récemment devenues incertaines, avec des chocs multiples et persistants qui rendent complexes l'élaboration des politiques et les décisions d'investissement. Au vu de ces chocs mondiaux et de leur interaction avec les poches de risques existant à l'échelle nationale et régionale, il est indispensable d'établir un diagnostic régulier et de prendre des mesures politiques ciblées pour faire face à leur impact sur les économies africaines.

Avec la publication du rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique, la Banque - premier courtier du savoir de l'Afrique - réaffirme aux décideurs africains la mission qui est la sienne : façonner le discours africain sur les enjeux cruciaux pour le développement du continent.

Le rapport fait donc office de boussole pour les pays africains sur leur situation économique, en offrant aux parties intéressées et aux parties prenantes une évaluation actualisée, fondée sur des données probantes, des performances macroéconomiques récentes du continent et de ses perspectives à court et moyen terme, dans un contexte d'évolution dynamique de l'économie mondiale.

Qu'est-ce qui distingue ce rapport de Perspectives économiques en Afrique, publié tous les ans par le Groupe de la Banque africaine de développement ?

Ce nouveau rapport vient en complément de Perspectives économiques en Afrique (PEA), publication phare de la Banque et qui se concentre sur les principales questions émergentes pertinentes pour le développement de l'Afrique.

Performances et perspectives macroéconomiques de l'Afrique entend offrir une évaluation actualisée et en temps opportun, fondée sur des données probantes, des performances macroéconomiques de l'Afrique et de ses perspectives à court et moyen terme, tandis que Perspectives économiques en Afrique est à la fois plus général, puisqu'il traite des performances et des perspectives macro et microéconomiques de l'Afrique, et thématique, avec des analyses axées tous les ans sur une question émergente importante pour le développement de l'Afrique, dans la droite ligne des " High 5 " de la Banque : éclairer l'Afrique et l'alimenter en énergie, nourrir l'Afrique, industrialiser l'Afrique, intégrer l'Afrique et améliorer la qualité de vie des populations en Afrique.

Quels ont été les résultats des pays africains en 2022 ? Quelles sont les projections économiques pour l'Afrique en 2023-2024 ?

En dépit de conditions macroéconomiques mondiales de plus en plus incertaines et difficiles, les performances économiques de l'Afrique se sont avérées résilientes. Sur ses 54 pays, 53 ont maintenu une croissance positive en 2022, assurant au continent un taux de croissance stable de 3,8 % sur cette période.

La performance économique stable de l'Afrique devrait se poursuivre à moyen terme, avec une projection de croissance de 4 % en 2023 et 2024, supérieure aux prévisions mondiales de 2,7 % et 3,2 % en moyenne, respectivement.

Les perspectives stables prévues pour 2023-2024 sont le reflet de la poursuite du soutien politique en Afrique, des efforts déployés à l'échelle mondiale pour atténuer l'impact des chocs extérieurs et de l'incertitude croissante dans l'économie mondiale, de la croissance attendue de la demande de produits de base et de minéraux verts de l'Afrique, alors que les pays cherchent des sources alternatives de nourriture et d'énergie pour contrer les effets de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et de minéraux verts pour soutenir les transitions vertes mondiales.

La hausse des prix des denrées alimentaires et de l'énergie provoquée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et les effets de la sécheresse et des inondations dans certains pays ont alimenté les pressions inflationnistes, faisant croître le taux d'inflation moyen de l'Afrique de 0,9 point de pourcentage pour atteindre 13,8 % en 2022, le taux le plus élevé depuis plus de dix ans. L'inflation devrait toutefois baisser à 13,5 % en 2023 et atteindre le taux à un chiffre de 8,8 % en 2024.

Le resserrement des conditions financières mondiales en 2022 a déstabilisé les marchés des changes dans de nombreux pays africains, entraînant des dépréciations des monnaies nationales et une hausse des coûts des emprunts souverains, qui pourraient exacerber les vulnérabilités de la dette en 2023 et 2024.

Sur la base des conclusions du rapport, quel est votre pronostic pour l'économie africaine à moyen terme ? Quels sont les risques à surveiller ?

La reprise bienvenue et la résilience économique des pays africains à court et moyen terme s'accompagnent d'un optimisme prudent, compte tenu des incertitudes et risques mondiaux, considérables.

Les risques de défaut de paiement de la dette pourraient augmenter dans certains pays africains, compte tenu du niveau déjà élevé de cumul et de la structure modifiée de la dette publique au cours de la dernière décennie, des pressions financières supplémentaires créées par l'appréciation du dollar américain et du resserrement des conditions monétaires au niveau mondial.

Les changements climatiques pourraient accroître les pertes et les dommages dus à des phénomènes météorologiques extrêmes et exacerber les risques budgétaires des pays. La forte dépendance à l'égard des exportations de matières premières à faible valeur ajoutée expose les pays à la volatilité des cours des matières premières et pourrait retarder la transformation structurelle que représente la transition verte.

Compte tenu du faible taux de vaccination contre la Covid-19 en Afrique, de 26 % actuellement, il existe un risque modéré d'émergence de nouveaux variants, qui pourrait être amplifié par une réouverture totale de l'économie mondiale.

Nous avons aussi des conflits régionaux dans des foyers de tension clés, comme au Burkina Faso, en République démocratique du Congo, en Éthiopie, au Mali et au Mozambique, qui pourraient exercer des pressions supplémentaires sur la situation budgétaire des pays en raison de l'augmentation des dépenses de sécurité et de l'inversion des flux d'investissement.

En outre, les risques politiques pourraient augmenter dans 30 pays africains. Des élections nationales sont prévues en 2023 ou 2024 en Afrique du Sud, en Algérie, en Égypte, en Éthiopie, en Libye, à Madagascar, au Nigeria, en République démocratique du Congo et au Zimbabwe.

Enfin, il existe un risque faible à modéré de tensions géopolitiques durables et d'une escalade de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui pourrait perturber davantage les chaînes d'approvisionnement mondiales et les marchés des matières premières.

Quelles mesures les pays doivent-ils prendre pour atténuer ces risques ?

Il y a plusieurs mesures que les pays africains pourraient déployer à court, moyen et long terme pour faire face aux menaces existantes et émergentes qui pèsent sur le développement inclusif et durable.

Ces mesures englobent un resserrement rapide et agressif de la politique monétaire, en particulier dans les pays où l'inflation est élevée, et un resserrement modéré dans les pays où les pressions inflationnistes sont faibles.

Une coordination efficace des actions budgétaires et monétaires pour optimiser les résultats d'une intervention politique ciblée est nécessaire pour maîtriser l'inflation et les pressions budgétaires, ainsi que pour stimuler le commerce intra-africain, en particulier dans le domaine des produits manufacturés, afin de protéger les économies de la volatilité des cours des matières premières.

Une autre action importante serait d'accélérer les réformes structurelles pour renforcer les capacités de l'administration fiscale et les investissements dans la numérisation et la gouvernance électronique. Cela permettrait d'améliorer la transparence, de réduire les flux financiers illicites et d'accroître la mobilisation des ressources nationales.

L'Afrique doit également adopter une gouvernance institutionnelle et mettre en œuvre des politiques à même de tirer parti des financements privés - en particulier dans des projets entièrement nouveaux, qui résistent au climat et aux pandémies - et de mobiliser les ressources de l'Afrique pour un développement inclusif et durable.

Il est tout aussi important de viser la réduction du déficit budgétaire structurel et l'accumulation de la dette publique dans les pays confrontés à un risque élevé de surendettement ou déjà en situation de surendettement.

La gestion des réserves de change pour réduire la volatilité des taux de change et renforcer la compétitivité des exportations pourrait faire partie des facteurs efficaces de réduction des risques.

Les pays doivent également mettre en œuvre des politiques de développement du contenu local et de franchisage pour développer les chaînes de valeur et tirer davantage de valeur des ressources naturelles, en particulier dans les pays disposant de minéraux, pour le développement vert.

Les pays africains doivent stimuler le commerce régional afin de mieux résister aux répercussions du ralentissement économique mondial et de réduire les déficits commerciaux persistants. La mise en œuvre de réformes structurelles visant à stimuler le commerce régional peut conduire à un marché régional plus dynamique à moyen et long terme.

Quels sont les principaux enseignements à tirer de ce rapport, selon vous ?

Le rapport offre des informations fondamentales que les décideurs africains, les investisseurs mondiaux, les chercheurs et les autres partenaires au développement trouveront pratiques et dont ils pourront se servir comme outil de référence essentiel. Il laisse espérer une résilience économique continue dans un contexte de risque accru de récession mondiale. Il est important de noter que la croissance économique a été positive dans les cinq régions africaines et que 53 des 54 pays africains ont, en 2022, des perspectives stables à moyen terme face à des chocs multiples.

Toutefois, la reprise et la résilience économiques des pays africains à court et à moyen terme s'accompagnent d'un optimisme prudent, compte tenu des incertitudes mondiales considérables. Aussi, les actions politiques audacieuses décrites ci-dessus doivent être mises en œuvre pour faire face aux effets de la hausse de l'inflation et soutenir la croissance vers une trajectoire plus élevée, nécessaire pour réduire la pauvreté. Pour combler l'important déficit de financement en Afrique, il est impératif d'adopter des politiques susceptibles de mobiliser et de tirer parti des financements privés pour le développement en Afrique.

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