Ile Maurice: Gérald Lincoln - "Il faut une approche ciblée de la TVA sur les produits de luxe"

interview

En pleine lutte inflationniste, l'utilisation du levier fiscal revient sur le tapis. Gérald Lincoln, Managing Partner E&Y, est, lui, en faveur d'un ciblage sur les produits de luxe autant que la pension de vieillesse, tout en évitant la stigmatisation des plus vulnérables dans la redistribution des richesses du pays.

Suite au Covid-19 et à la forte inflation qui mettent en exergue nos faiblesses structurelles, pensez-vous qu'aujourd'hui notre système de gestion de la taxe soit juste et équitable ?

Pour commencer, je ne pense pas qu'il y ait un système fiscal juste et équitable, tout dépend de qui on est, où on vit, combien on gagne... Celui qui gagne bien sa vie trouve que l'État lui prend trop à travers la taxe et celui qui ne gagne pas assez trouve qu'il ne reçoit pas assez de l'État. Maintenant, nous avions l'image d'un pays tax-friendly avec l'impôt sur le revenu, la taxe sur les "corporates", la TVA etc. alignés à 15 %. Mais, il faut savoir qu'il y a eu par la suite une couche additionnelle d'impôt avec la "Solidarity Levy" qui, à la base, devait être temporaire à hauteur de 5 %. Or, elle est à 10 % maintenant. Sommes-nous toujours une destination tax-friendly ? Je ne crois pas, mais l'État a besoin d'utiliser le levier fiscal pour jouer son rôle de fournisseur de services pour la santé, la police et l'éducation.

En parlant d'équité, quid de l'impôt progressif ?

Notre système comprend déjà l'impôt progressif. La taxe applicable sur les revenus peut être de 0 %, 10 % et 15 %. Il faut le dire, une bonne partie des Mauriciens ne paient pas l'impôt sur le revenu. Donc, si on les enlève de l'équation, nous avons ceux qui contribuent à hauteur de 10 %, ensuite ceux qui sont sujets à l'imposition de 15 % et il y a ceux qui gagnent plus de Rs 3 millions par an qui, eux, payent 25 %. Maintenant, il reste à voir où cela s'arrête et la question de la tendance démographique est capitale.

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Finalement, notre système fiscal impacte l'écart entre riches et pauvres ou non ?

On parle ici de redistribution. L'État s'assure que ceux au bas de l'échelle soient aidés, la fiscalité a ce rôle de redistribution des richesses. Ceux en haut de l'échelle contribuent beaucoup, mais utilisent peu ou pas les services de l'État. Un exemple pour illustrer, c'est que ceux qui génèrent plus de revenus opteront pour une scolarité privée plutôt que publique. Ceux qui ont moins de revenus utilisent davantage les services de l'État. C'est une forme de justice sociale, ceux qui ont plus contribué pour aider ceux qui en ont besoin.

La taxe sur le carburant fait beaucoup de bruit. L'argument des autorités est que les fonds récoltés à travers elle sont utilisés pour aider les vulnérables. Or, une taxe élevée sur le carburant impacte la production dans divers secteurs dont le textile, et, par ricochet, impacte notre compétitivité. N'est-ce pas contradictoire ?

C'est contradictoire en effet, mais il faut le dire, une forte taxe sur le carburant n'est pas un phénomène unique à Maurice, tous les pays abusent de la taxe sur le carburant. C'est un choix. Pour plus de revenus, l'État pourrait augmenter la TVA à 16 %, par exemple, ce qui impacterait absolument tout le monde, mais il camoufle cet effet en augmentant la taxe sur le carburant. Cette taxe aide aussi à subventionner le gaz par exemple, qui est un produit de base majoritairement utilisé par les ménages à faible revenu. Aussi, ceux avec un plus fort pouvoir d'achat consomment davantage de carburant. Mais il faut appeler un chat un chat, il faut dire ouvertement que la taxe sur le carburant servira quel but. Inclure une taxe Covid-19 sur le carburant, par exemple, n'a plus de pertinence.

Une approche ciblée serait donc appropriée...

Je suis totalement en faveur d'un bon ciblage, à tous les niveaux, incluant la pension universelle. Mais il faut être prudent dans ce ciblage pour éviter une stigmatisation des démunis. Une méthode serait d'inclure un rabais sur la facture d'électricité, d'eau, etc., de ces foyers vulnérables.

L'aide de l'État aux entreprises avait pour but d'éviter les licenciements. Cela n'a pas été le cas dans tous les secteurs. Ne seraitil pas juste d'imposer, temporairement, une taxe plus élevée aux entreprises et soulager la population en période d'inflation ?

Là, c'est dangereux. Un pays avance avec une bonne croissance et cette croissance est générée par l'investissement privé aussi, que cela soit pour le lancement de nouveaux secteurs d'activité ou pour leur développement. Avoir une approche où l'État prend constamment des entreprises découragerait l'investissement privé, le recrutement ou encore l'entrepreneuriat. Nous avons actuellement un système assez simple à comprendre et à expliquer aux étrangers qui veulent investir ici car, ne l'oublions pas, avoir des investissements directs étrangers est très important pour notre développement économique. Donc, finalement, alourdir la taxe sur les entreprises soulèvera des inquiétudes et de la résistance pour très peu d'effets et ne rapportera pas beaucoup plus de revenus à l'État. Par contre, avoir une approche ciblée de la TVA sur les produits de luxe est une option à ne pas négliger.

Dans ce combat contre l'inflation, une nouvelle politique monétaire ne suffit pas. Il faut aussi cette partie fiscale. Qu'en pensez-vous ?

Notre inflation est majoritairement importée, elle n'est pas due à une économie bouillonnante, donc, il ne s'agit pas de ralentir l'économie. Il n'y a pas de surconsommation donc pas besoin de réduire la demande. Par contre, la hausse des taux d'intérêt a du sens pour protéger la valeur de la roupie.

Notre "CORE2 inflation rate" est de 7,3 % pourtant...

Nous avons une inflation importée avec le coût de nos produits importés qui augmente et notre roupie qui glisse. Donc, avoir une bonne politique monétaire est important, mais il n'y a pas besoin de mesures fiscales additionnelles.

Et le marché de l'emploi alors ?

C'est un sujet qui m'inquiète. Nous aurons de gros problèmes à Maurice, si le brain drain continue. Il faut faire revenir ces talents mauriciens au pays et sur notre marché de l'emploi. Si les entreprises n'arrivent pas à recruter localement, il faut les laisser recruter à l'étranger, qu'importe leur secteur d'activité. Cependant, avec notre lourde bureaucratie, on donne l'impression qu'on ne veut pas de ces étrangers ici. On a besoin d'ouverture et d'encourager les Mauriciens à rentrer. Notre situation actuelle va ralentir l'économie à terme, sans oublier le vieillissement démographique qui augmentera la charge fiscale par habitant économiquement actif.

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