Madagascar: La loi du silence pour cacher le recrutement forcé

En 1921-1923, la Mission Henri découvre que différentes comptabilités sont inexistantes ou truquées dans le service de construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe, d'où de nombreux gaspillages : le service ne sait, par exemple, où sont passés 20 kilomètres de rails, 3 500 traverses...

Dans la passation et l'exécution des marchés, on constate des appels d'offre de pure forme qui, prévoyant une livraison immédiate, ne peuvent concerner que le seul détenteur momentané des stocks existants. Les marchés de gré à gré, passés en tâches fractionnées, permettent d'éviter l'appel à la concurrence imposé pour les gros travaux. La surveillance très insuffisante des travaux, fait craindre de nombreuses malfaçons... (Jean Fremigacci Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe, 1911-1923, revue d'études historiques Hier et Aujourd'hui, No 1-2, 1975), lire précédentes Notes).

En outre, chargée d'arbitrer le conflit Jaquet-Olivier, la Mission est entrainée à des " découvertes bien gênantes ". Jaquet, directeur technique des travaux de construction du TA, et ses supérieurs ont acquis, depuis longtemps, de vastes terrains autour de la future gare d'Antsirabe. " Pour les faits qui lui auraient valu d'être traduit en Conseil d'enquête pour une rétrogradation certaine ", Jaquet est couvert par la loi d'amnistie, le 29 avril 1921. Mais il est remplacé à la tête du service par un officier du Génie, le commandant Chaniot.

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" Avec ce dernier, collusions et compromissions fructueuses pour les entrepreneurs prennent fin. "

Dans le même temps, les critiques de l'inspection, suivies de contre-enquêtes, ébranlent tout le système édifié sur le travail forcé en provoquant un certain flottement dans l'administration provinciale. Celle-ci continue ses recrutements par voie de contrainte sur les Fokonolona, mais elle le fait " honteusement " en imposant aux subalternes une véritable loi du silence.

En octobre 1922, l'enquête du conducteur des Travaux publics, Douyère, n'obtient auprès des " mpiadidy " et des " raiamandreny" que des réponses " parfaitement conformistes ". Il en aurait été de même de celle du directeur des Affaires indigènes, Berthier, en novembre 1922, si ce dernier n'a incidemment trouvé une preuve écrite de l'emploi de la contrainte, dans une lettre de notables villageois. D'ailleurs, officiellement, les chefs de province et district ne sont pas responsables, car les ordres viennent du gouverneur principal de Betafo

Pour leur part, les chefs de districts continuent à affirmer que tout va pour le mieux, que les Fokonolona " sont animés du désir de voir le rail atteindre Antsirabe ". Et pour cela, ils " ont volontairement consenti à fournir de la main-d'œuvre aux travaux du chemin de fer ", écrit l'administrateur Ambroise, chef du district de Betafo, dans une lettre au chef de la province du Vakinankaratra, Fraud, le 8 novembre 1922. Cette lettre est transmise au gouverneur général.

À Betafo, précisément, " la contrainte s'exerce si peu... " que des Fokonolona demandent à leur gouverneur principal de leur " faire obtenir l'appui moral de l'administrateur pour mener à bonne fin les travaux commencés " (Ambroise au chef de province le 8 novembre 1922, lettre transmise au gouverneur général).

Si le message est assez ambigu, le chef du district d'Antsirabe, lui, n'y voit aucun problème : " Il n'y a pas de murmures dans le district, relatifs aux travaux de chemin de fer ; il y a simplement quelques individus mal intentionnés, comme il s'en trouve parfois, qui conseillent à la masse de ne pas travailler. Mais l'immense majorité de la population reste docile et satisfaite. Elle attend avec impatience l'arrivée du rail qui lui permettra d'écouler ses produits. "

Cependant, les populations ne mettent pas longtemps à percevoir un relâchement de l'autorité. Depuis 1921, les administrateurs ont transféré la contrainte au niveau de leurs subalternes et dans les relations à l'intérieur du Fokonolona. Ils ne peuvent plus alors, sans se contredire, recourir à l'arme routinière de l'indigénat. Dans le Vakinankaratra, le célèbre article 15 n'est plus appliqué aux travailleurs à partir d'avril 1922. Ceci permet au chef du district d'Antsirabe de se retrancher derrière le fait " qu'il n'y a pas eu un seul indigène mis en prison pour ne pas être allé travailler au chemin de fer. "

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