Madagascar: Pascal Boniface - " Madagascar doit être consciente que les solutions du type Wagner ne sont pas des solutions pérennes "

interview

La Russie fait une percée dans certains pays africains qui ont longtemps développé des relations bilatérales intenses avec la France. La guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine vient aussi bouleverser la donne dans les relations internationales. A Madagascar, la Russie revient de loin et fait parler d'elle depuis quelques années. Pourtant, face à la diplomatie offensive russe dans le pays, les relations avec la France restent fluides et nourries, selon Pascal Boniface, éminent spécialiste de la géopolitique et directeur de l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) à Paris. Entretien.

Est-ce que la position de neutralité défendue par le gouvernement est la meilleure des stratégies pour un pays comme Madagascar ?

Ce n'est pas à moi d'en juger. C'est aux malgaches de déterminer quelle peut être la position par rapport à leurs intérêts. La France n'a pas à dicter aux autres pays la position qu'ils ont à prendre et les français n'ont pas à dire ce que les malgaches doivent faire. Vous avez décidé en souveraineté de prendre une position et c'est votre choix souverain. Je le constate. Je n'ai ni à l'approuver ni à le déplorer. Vous le faites en fonction de la définition de votre intérêt national. C'est en fonction de différents paramètres que les autorités malgaches ont décidé de prendre cette position qui est la leur.

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Les pays soutiens de l'Ukraine ont souhaité que Madagascar prennent position en faveur d'une condamnation ferme de la Russie dans cette guerre. Pourtant ce n'est pas le cas, du moins jusqu'à présent. Concrètement quelles pourraient être les répercussions de ce positionnement sur les relations de Madagascar avec ces pays occidentaux qui soutiennent l'Ukraine ?

Les pays européens ne sont pas alliés avec l'Ukraine parce que l'Ukraine ne fait pas partie de l'OTAN. Nous estimons que l'Ukraine est en état de légitime défense puisqu'elle a été attaquée militairement par la Russie. Et que la guerre est interdite dans le droit international. Et qu'au-delà de la guerre, et du recours à la force dans les relations internationales, la Russie a, par ailleurs, commis de crime de guerre. Puisqu'on n'a pas le droit de faire la guerre. Et quand on fait la guerre, on doit respecter certaines règles notamment ne pas bombarder les populations civiles. Ce que ne fait pas la Russie. La Russie bombarde les populations civiles. C'est pour cela que les pays européens et occidentaux ont décidé de prendre des sanctions contre la Russie. Et quand on regarde sur la carte, tous les pays non occidentaux, tous les pays africains, tous les pays latino-américains, il y a deux attitudes différentes. Certains pays africains, latino-américains ou asiatiques, ont condamné l'agression, mais ont refusé de prendre des sanctions contre la Russie, environ 130 pays. Et d'autres pays, dont Madagascar, n'ont pas voulu condamner l'agression et n'ont pas pris de sanctions. C'est votre choix souverain. Nous ne sommes pas d'accord avec cela. Vous n'êtes pas d'accord avec le nôtre. Puisque vous avez fait un choix différent. On ne va pas sanctionner un pays puisqu'il a pris un choix différent. Et je crois que ce désaccord qui existe sur une question importante entre l'Union européenne et Madagascar n'aura pas de répercussions négatives. Il n'y aura pas de sanctions de l'Union européenne envers Madagascar. Il n'y aura pas de mesures de rétorsions de Madagascar envers les pays de l'Union européenne.

Comment un pays comme Madagascar pourrait-il tirer son épingle du jeu dans un conflit de cette envergure ?

Le conflit est quand même loin pour Madagascar. Vous n'êtes pas situé en Europe. Il y a bien sûr des répercussions indirectes du fait de l'augmentation du prix de l'énergie, du fait de la difficulté d'approvisionnement en graines, en blé, en céréales. Disons que Madagascar n'est pas au premier plan comme le sont les pays qui sont sur le continent européen. Madagascar n'accueille pas de réfugiés ukrainiens, par exemple, alors que les pays européens en accueillent en masse. Disons que vous n'allez pas changer vos circuits d'approvisionnement énergétique alors que nous devons le faire. Effectivement, comme nous sommes dans un monde globalisé, ce qui se passe au loin intéresse Madagascar quand même. Mais de façon nettement moindre. Et une fois encore, Madagascar fait des choix souverains qu'elle fait en fonction de ce qu'elle croit être meilleur pour l'avenir de ce pays. Et nous ne pouvons que le constater.

M-M : Peut-on dire que cette neutralité est une manière pour Madagascar de se rapprocher davantage à la Russie ?

P-B : Non. Si vous vouliez vous rapprocher davantage de la Russie, vous auriez approuvé cette guerre. Ce que vous n'avez pas fait. Quelques pays qui ne sont pas des plus sympathiques comme la Syrie, la Corée du Nord ou la Biélorussie ont approuvé la guerre. Ce n'est pas le cas pour Madagascar. Il y a, à peu près, une quarantaine de pays qui n'ont pas voulu prendre partie directement et qui n'ont pas voté à l'ONU pour une condamnation de cette agression. C'est donc un choix de Madagascar car vous avez des relations anciennes avec Moscou, du temps de l'Union soviétique, qui continue du temps de la Russie. Et que vous n'avez voulu mettre en jeu, malgré les évènements qui se passent, ces relations.

M-M : Pourquoi Madagascar intéressera-t-elle la Russie dans sa stratégie en Afrique ?

P-B : Il y a un retour de la Russie en Afrique. Après l'implosion de l'URSS, Moscou avait disparu du paysage. Le président Poutine a organisé un sommet Russie-Afrique en octobre 2019 à Sotchi. On voit que, principalement sur le plan sécuritaire, la Russie essaie de faire un retour en Afrique. Je ne suis pas sûr qu'elle ait grand-chose à offrir en termes de développement. Puisqu' elle-même n'est pas un pays extrêmement riche et que dans le passé elle avait une offre sécuritaire du temps de l'Union soviétique. Le modèle de développement que l'Union soviétique offrait à l'Afrique a échoué à peu près partout. Aujourd'hui, lorsque la Russie vient coopérer, c'est plus une coopération dans le domaine sécuritaire que dans le domaine de la culture, de l'éducation ou du développement. C'est l'offre que la Russie fait pour le moment.

M-M : Peut-on s'attendre à un cas similaire à celui du Mali ou de la Centrafrique ici à Madagascar ?

P-B : L'histoire est différente. Il n'y a pas de terrorisme à Madagascar. Il n'y a pas une zone vide dans laquelle des groupes armés peuvent s'introduire. Les questions sécuritaires peuvent se poser tout à fait différentes à Madagascar que celles qui se posent en Afrique de l'Ouest. Ce qui se passe en Afrique de l'Ouest est que l'intervention française a été accueillie dans la liesse par la population du Mali en 2013 et que peut-être que la France est restée trop longtemps qu'elle aurait dû partir un peu plus vite. Et qu'elle a été mise en accusation puisque les groupes djihadistes n'ont pas été éliminés. Et je ne crois pas que Wagner les élimine puisqu'on voit bien que Wagner commet des exactions à l'encontre de la population civile et que très rapidement la population malienne va se rendre compte que Wagner est plus un problème qu'une solution pour sa sécurité.

M-M : Les enjeux de ces relations avec la Russie peuvent-ils interférer dans la prochaine élection présidentielle ?

P-B : Je ne crois pas. Bien sûr, tous les pays qui ont une relation bilatérale développée avec Madagascar, dont font partie la Russie, la Chine, les Etats-Unis, la France, l'Inde, l'Allemagne, ou de nombreux pays, suivent avec attention cette élection. S'il y avait une tentative d'interférence de la Russie dans ces élections, ça se saurait assez vite. Cela ne pourrait pas rester secret et cela se retournerait contre la Russie. Je pense que par rapport à cela, il ne faut être ni paranoïaque ni naïf. Il y a des stratégies d'influence. Et la Russie développe des stratégies d'influence. Madagascar doit se méfier de cela aussi et être conscient que les solutions du type Wagner ne sont pas réellement des solutions pérennes ni des solutions qui peuvent s'inscrire dans une perspective de développement à long terme.

M-M : Existe-t-il une ligne rouge que Madagascar ne peut pas franchir dans ses relations avec la Russie ou la Chine ?

P-B : Disons que si Madagascar disait que si le parti communiste chinois ne devait pas gérer la Chine ou que Poutine doit quitter le pouvoir. Je pense que ni les russes ni les chinois n'apprécieront cela. Le fait que ces pays s'intéressent à Madagascar peut être une opportunité pour développer des contacts, pour multipolariser ses relations. Il faut faire attention parce que de nombreux pays africains se sont plaints du piège de la dette à l'égard de la Chine qui du fait du programme de " la route de la soie " fait des prêts extrêmement nombreux mais, ensuite, exige des remboursements. S'il n'y a pas remboursement, c'est la saisie des biens qui ont été construits. Et je pense que là aussi, les lignes rouges à ne pas dépasser c'est faire attention jusqu'où les attentions russes ou chinoises sont dans l'intérêt de Madagascar. Et à partir de quand, il n'y aura pas des relations bilatérales qui pourraient être déséquilibrées au détriment de Madagascar et au profit de ces deux pays puissants qui défendent quand même leurs intérêts et dont le but n'est pas forcément le développement des pays dans lesquels ils sont.

M-M : Face à l'avancée russe et l'expansion chinoise, quel rôle joue actuellement la France au niveau de la zone Sud-Ouest de l'océan Indien ? Et particulièrement pour le cas Madagascar ?

P-B : La France est présente dans l'ensemble de l'océan Indien de façon immémoriale. Elle est présente même territorialement. La France est un pays de la région. Elle n'est pas un pays extérieur qui vient faire des tours dans la région. Elle est de plain pied dans cette région. Elle développe une stratégie indopacifique parce qu'elle voit que cette région monte en puissance en tant que telle. Mais la présence de la France n'a rien de nouveau. La France est présente depuis fort longtemps. La France n'est pas une puissance extérieure dans l'océan Indien.

M-M : La France est-elle en passe de perdre son influence dans la zone et à Madagascar ?

P-B : Je vous laisse juge de cela. Je crois que les relations bilatérales sont fluides et nourries. Il faut sortir du schéma où Madagascar n'aurait qu'un seul partenaire. Je sais si ce schéma, d'ailleurs, existe dans l'histoire. Il y a eu une période où il avait un partenaire principal, c'était plutôt l'Union soviétique que la France. On est dans un monde globalisé aujourd'hui. Tous les pays ont des relations multiples avec d'autres pays. Il n'y a pas de relations bilatérales exclusives. La France et Madagascar ont des relations économiques, humaines, sociales, historiques, extrêmement fluides et qui sont certainement les plus importantes entre les deux. Mais cela n'empêche pas la France d'avoir d'autres partenaires, ou Madagascar d'avoir d'autres partenaires. Je ne pense pas que la France vive le fait que Madagascar ait d'autres partenaires avec d'autres pays comme un cas de perte d'influence. C'est juste le reflet de la globalisation où tout le monde est partout.

M-M : Les négociations sur la revendication des îles éparses traînent actuellement. Est-ce un échec pour la partie malgache ?

P-B : Non. Il y a une commission bilatérale qui a été mise en place. Donc c'est un succès pour les deux. Les travaux de cette commission avançaient. Dans une commission bilatérale, il faut être deux pour avancer. Je pense que, très honnêtement, la France a fait preuve d'ouverture en acceptant la création de cette commission bilatérale. Il faut laisser les membres de cette commission travailler. Je pense que par rapport à cela, le travail très discret est plus utile que les coups d'éclats ou les déclarations tonitruantes. La diplomatie n'est pas forcément une diplomatie d'éclat de déclaration publique à l'emporte-pièce. Et très souvent, la diplomatie avance très rapidement, non pas dans le secret, mais dans une ambiance plus discrète où l'on peut dire les choses très franchement.

M-M : La France propose un " développement en commun " des îles. Madagascar maintient, quant à elle, sa position pour une restitution. Quelle sera, d'après vous, l'issue des négociations entre les deux pays sur ce sujet qui divise autant ?

P-B : J'ai pas de boule de cristal. Il s'agit d'une négociation. Il y a pour l'instant des points qui sont convergents et d'autres qui sont divergents. Je pense qu'on est entre partenaires intelligents et qu'on trouvera le point d'équilibre entre les positions des uns et des autres.

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