Madagascar: L'année 1923 sonne le glas pour l'oligarchie locale

Si le premier train entre à la gare d'Antsirabe, le 15 octobre 1923, l'entreprise du Tananarive-Antsirabe doit être fatale à la carrière de ses principaux protagonistes, affirme Jean Fremigacci (Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe 1911-1923, revue d'études historiques Hier et Aujourd'hui N°1-2, 1975).

En premier, Jaquet n'échappe pas à un jugement féroce de l'inspecteur général Henri, ancien collaborateur et ami de Picquié. Il trouve là " une excellente occasion de régler ses comptes" (lire précédentes Notes). Dans son rapport N°21, la Mission Henri écrit : " Jaquet : un mauvais administrateur et un très médiocre technicien, qui n'a dû sa brillante carrière qu'à l'intrigue et à de hautes protections, avouées ou occultes, mais qui n'aurait jamais dû dépasser le grade de conducteur. " Et son rapport N°114 met nommément en cause " La France australe ", dont le gouverneur général Hubert Garbit, le directeur général des Travaux publics Girod, le magistrat Camo, le directeur des finances Vally sont membres.

De ce fait, Jaquet ne peut plus revenir à Madagascar. Il est alors affecté en Afrique de l'Est française (AEF) sur la demande pressante du gouverneur général de cette Colonie qui n'est autre que Victor Augagneur. Et ce, malgré les réserves formulées par l'inspecteur des travaux publics coloniaux qui craint " que l'affectation de ce fonctionnaire à un service embryonnaire, quoique chargé d'intérêts considérables comme celui de l'AEF, ne produise des effets encore plus fâcheux (qu'à Madagascar) pour les finances de la Colonie ".

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Le supérieur hiérarchique de Jaquet, Girod, n'est pas non plus épargné. " C'est la fin de sa carrière à Madagascar après seize années de règne sur les Travaux publics. " Selon la Mission Henri, c'est lui " qui a poussé Jaquet dans sa carrière et l'a toujours couvert. En outre, il s'est par trop désintéressé de la construction du TA. Il a sa large part de responsabilité dans la déplorable situation dénoncée par l'inspection". Les ambitions de Girod, concernant un véritable " gouvernement technique " sont également " exécutées " dans le rapport sur

L' " Inutilité d'une direction générale des Travaux publics ".

La Mission Henri fait aussi le procès de l'Administration générale de la Colonie. Il lui faut démontrer qu'une bonne colonisation, comme le proclame à l'époque Albert Sarraut, est possible et que " s'il y a abus, ils sont le fait des individus ". Dans cette perspective, l'inspecteur Demongin rédige un rapport qui, en principe, condamne tout recrutement de main-d'œuvre par la contrainte, " qu'elle qu'en soit la forme ".

Pourtant, indique Jean Fremigacci, son postulat de base selon lequel il est possible d'offrir " un salaire décent aux travailleurs et des profits normaux aux entrepreneurs"- le tout avec un prix de revient acceptable pour les finances de la Colonie-, " était singulièrement irréaliste ". C'est pourquoi les critiques adressés au chef de la province du Vakinankaratra, Fraud, ne sont guère convaincantes, " dans la mesure où elles le font plutôt apparaitre comme un simple bouc-émissaire ".

En effet, selon l'auteur de l'étude, il aurait fallu incriminer l'organisation administrative. Le découpage territorial juxtaposant des provinces de dimensions réduites sans lien entre elles, se conjugue avec la déconcentration du pouvoir colonial. Et l'objectif est de faire peser sur une population limitée " l'écrasante charge des travaux de mise

en valeur ". À l'époque, Madagascar compte vingt et une provinces dont le Vakinankaratra, qui a 190 000 habitants sur 13 500 km². Le problème se pose en termes identiques à la même époque, dans la province de Moramanga, victime du chemin de fer Moramanga-Lac Alaotra. Il faudra attendre le regroupement des provinces en grandes régions, après 1927, " pour réaliser une adéquation partielle entre le cadre administratif et les entreprises économiques d'envergure ".

Finalement, le dossier du TA apparait comme un élément dans le vaste contentieux qui oppose l'oligarchie locale, gouverneur général en tête, aux Missions venues de Paris ou initiées par Paris. À Antananarivo, les bénéfices réalisés par Gallois dans l'entreprise du TA servent à financer un nouveau journal, en novembre 1922, qui déchaine une campagne contre la mission Henri. Après le départ d'Hubert Garbit en mars 1923, le conflit se transporte à Paris. Il se termine par la mise à la retraite forcée de l'ancien gouverneur général de Madagascar au début de 1924. On lui reproche surtout " le coût humain trop élevé de la construction des chemins de fer. "

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