Madagascar: Tromelin, l'île aux 'esclaves libérés'

C'est de Tamatave, le 26 avril 1954 à 23 h 30, qu'appareilla le "Marius Moutet", avec les 32 tonnes de matériels destinés à la construction de la station météo de Tromelin. Pour donner une idée des conditions de navigation dans l'Océan Indien, même deux siècles après le naufrage de "L'Utile", et même avec des instruments modernes, la position de l'île de Tromelin ne fut découverte que le 30 avril à 9 heures du matin.

La mission de mai 1954 comprenait un commis principal malgache du nom de Rapiera et dix manoeuvres malgaches que Max Guérout qualifie d'autres "oubliés de Tromelin" dans la mesure où il fut impossible de retrouver le nom d'un seul d'entre eux. Une pirogue à balancier vezo avait été également embarquée avec le marin vezo qui devait la piloter : pour la petite histoire, le "lakam-piara" fut retourné tandis qu'un youyou ("petite embarcation courte et large, manoeuvrant à la voile ou à l'aviron") put franchir les déferlantes et atteindre la plage. Reparti le 5 mai à 18 h 30, le Marius Moutet ralliera Tamatave après deux jours, le 7 mai à 1 heure du matin.

C'est de la base aérienne d'Ivato que, le 23 juillet 1954, partit un Junker-52 (version française du célèbre avion allemand, construite après la guerre par les usines Amiot à Colombes, précise Max Guérout), baptisé AAC 1 Toucan, n°372, immatriculé F-SCLL, avant de se poser sur l'ancienne île de sable, après un périple Ivato-Antalaha-Tromelin.

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La construction de cette station météo fit peu de cas des vestiges archéologiques du XVIIIème siècle. Le sommet des murs avait été épierré pour "récupérer" les blocs de la partie supérieure en guise de matière première pour la station météo. Des destructions furent également causées par les fouilles intempestives à la recherche d'un trésor supposé.

L'habitat laissé par les naufragés du XVIIIème siècle comptait une douzaine de bâtiments, dont les deux tiers ont pu être étudiés par les fouilles archéologiques de 2006, 2008, 2010 et 2013 : "les parements internes des murs rappellent les parements externes des tombeaux malgaches", "l'épaisseur des murs, souvent supérieure à 1,5 m, leur confère une grande robustesse afin de résister aux vents et à la mer", "contrastant avec l'épaisseur des murs de ces constructions en pierres sèches, on est frappé par l'exiguïté de l'espace intérieur des pièces. L'étroitesse des bâtiments est sans doute liée à la difficulté rencontrée pour réaliser un toit avec les matériaux qui étaient disponibles" (cf. Max Guérout, Mémoire d'une île, Paris, CNRS Éditions, 2015 ; Max Guérout & Thomas Romon, Tromelin l'île aux esclaves oubliés, Paris, CNRS Éditions/INRAP, 2010).

L'archéologue Bako Rasoarifetra, qui participa aux fouilles de 2010, préfère la formule "esclaves libérés"*. Si l'exposition "Tromelin, l'île des esclaves oubliés" a déjà fait escale au musée de l'Homme, à Paris (13 février au 3 juin 2019), voudrions-nous "réveiller la boue qui dort" en lui faisant faire le périple Antananarivo-Ampamoizankova-Foulpointe? Les survivants de Tromelin ne demandèrent pas à revenir à Madagascar : les Malgaches de 2023 sont-ils fondés à les revendiquer "compatriotes" après que les Malgaches de 1761 les eurent razziés, asservis et vendus ?

Le 7 juin 2010, les ministres français et mauriciens signaient l'accord-cadre qui devait organiser la co-gestion de Tromelin. Le lendemain, Christian Chadefaux, du haut de ses 55 ans d'attaches malgaches, ne put s'empêcher de crier "Tromelin : aux voleurs !" dans le Journal de l'île de La Réunion. Pas de panique : 33 ans après les premiers entretiens franco-mauriciens de juin 1990, l'Assemblée nationale française ne semble toujours pas encline à inscrire la ratification du projet de loi à son ordre du jour.

Le 1er avril 1960, intervint le décret n°60-555 : le fameux "acte réglementaire qui dérogea aux principes généraux de la succession d'États, au mépris de l'intangibilité des frontières coloniale", et rattacha Tromelin et les îles éparses du Canal de Mozambique au ministère français chargé des départements d'outre-mer.

À la revendication posée par l'île Maurice le 2 avril 1976, Madagascar, ou plutôt le Président de la République d'alors, "offrit" sa renonciation sans qu'il y eut débat sur le principe ni discussions sur la licéité.

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