Cote d'Ivoire: Dhou Elfakar Ibn Ahmed - "Un appel a été lancé aux autorités locales, aux forces de sécurité de respecter leurs frères africains subsahariens"

interview

Dans cette interview, le premier secrétaire des Affaires étrangères chargé d'affaires à l'ambassade de Tunisie en Côte d'Ivoire situe les faits, parle des Ivoiriens et explique le discours du Président de la République de la Tunisie.

On assiste, depuis un certain moment, à des scènes insoutenables en Tunisie. Des Africains qui sont agressés par leurs frères tunisiens. Qu'est-ce qui se passe exactement en Tunisie ?

Les choses se sont véritablement déclenchées, il y a dix jours, à la suite d'un incident dont les Tunisiens n'étaient pas à la base. C'était le décès constaté d'une restauratrice ivoirienne dans son appartement dans une banlieue de l'Arianna, dans le grand Tunis, la capitale de la Tunisie. Cette dame a été agressée, son époux ou compagnon qui vivait dans la maison avec elle et leur enfant ont été ligotés par leurs frères de l'Afrique subsaharienne. Après cet incident, la Police a lancé une opération de ratissage pour mettre la main sur ces personnes. C'est suite à cette opération de la Police que nous avons commencé à entendre, à tort et à travers, les populations subsahariennes dire qu'elles sont victimes d'une chasse aux sorcières, etc.

Pour vous, il n'y a pas eu d'abus au cours de cette opération policière ?

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En fait, nous étions un peu sidérés par la réaction des internautes sur les réseaux sociaux ; par l'interprétation et la manière dont a été présenté cet évènement par certaines associations basées en Tunisie et se disant représentants des étudiants de la diaspora ivoirienne. Ces personnes qui se donnent des casquettes n'ont pas pris le soin de relater les faits en rappelant les origines dont j'ai parlé tout à l'heure ; à savoir, la découverte du corps d'un des leurs dans son appartement. Ils se sont contentés de faire des commentaires superficiels en blâmant les autorités tunisiennes parce qu'elles ont mis aux arrêts l'époux de la dame pour nécessité d'enquête.

Ces personnes ont tout simplement oublié que l'époux ou compagnon qui arguait avoir été ligoté par près de 7 personnes, sans porter de traces suffisantes pour corroborer son argumentaire, était le premier suspect. C'est une fois placé en garde à vue au commissariat, qu'après les interrogatoires des voisins, son argument a été confirmé. Sur le champ, les actions de la Police ont permis de mettre la main sur une dizaine de personnes.

Ce sont donc les Africains subsahariens qui ont fait monter le mercure ?

Il y avait des feux croisés. D'un côté, les Subsahariens faisaient leurs publications et, de l'autre côté, les Tunisiens aussi. Entre ces deux catégories de personnes, il y avait des gens sur place qui étaient choqués et traumatisés parce que ce n'était pas le premier incident. C'est dans cette dynamique qu'une guerre médiatique s'est engagée jusqu'au mardi 21 février, date à laquelle le Président Kaïs Saïed s'est largement exprimé sur toute cette affaire.

Qu'est-ce que le Président Kaïs Saïed a dit concrètement ?

Son message était réellement adressé aux populations tunisiennes pour leur faire comprendre que l'État est présent et à l'oeuvre pour que cette vague de migrations irrégulières prenne fin. A aucun moment, il n'a appelé à identifier les migrants subsahariens comme les personnes à la base de la délinquance et de la criminalité, comme on veut le faire croire. Les gens parlent d'immigration clandestine alors qu'il n'en est rien. Il s'agit ici de la migration irrégulière et cela a été mentionné plus de cinq fois dans le communiqué publié par la présidence de la République, suite à la réunion du Conseil de sécurité.

Dans toute cette affaire, il y a un grand malentendu à chaque fois que les gens interprètent cette déclaration du Président. On met une croix sur le mot irrégulier et on met en avant la clandestinité. Pourtant en Tunisie, l'immigration clandestine n'est que l'affaire des Subsahariens. Ils sont plutôt dans l'aspect irrégulier. Outre ces personnes, il y a un petit pourcentage de personnes d'autres nationalités dont les Syriens pour qui le monde entier sait comment ils sont arrivés en Tunisie.

Excellence, ces propos : " l'immigration clandestine relève d'un complot pour modifier la démographie de la Tunisie, afin qu'elle soit considérée comme un pays africain uniquement et non un pays arabe et musulman " sont attribués au Président Kaïs Saïed lors de son adresse du 21 février. Est-ce vrai ?

Ce qu'il faut retenir de ce passage est que le Chef de l'État dénonçait cette situation qui est anormale. Il faisait cas d'un flux de personnes incroyables. Lorsque vous avez des colonnes humaines sur plus de 1 km et qui traversent le pays d'une ville à une autre, nous pouvons dire que nous sommes face à un exode. C'est cet exode que le Président dénonçait dans son adresse.

Oui mais de tels propos du Chef de l'État ne sont-ils pas le ferment de ce qui se passe actuellement en Tunisie ?

En vérité, le Chef de l'État a relevé, dans son adresse, un complot criminel monté pour changer la composition démographique de la Tunisie. Un complot impliquant des acteurs vivant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, depuis 2011. Il a même donné une date clé sur le sujet. Ce qui est intéressant, c'est que les échos de cette déclaration du Chef de l'État se trouvaient déjà chez des Africains subsahariens. Des vidéos publiées et des déclarations, les différents moyens utilisés par ces groupes sont confirmés. Et je puis vous informer qu'aujourd'hui, la situation en Tunisie commence à se faire sentir au Maroc. Nous avons la même réaction sauf que les officiels n'ont pas encore évoqué cette question d'acteurs influents qui sont derrière ce phénomène criminel.

Qu'en est-il exactement des complots criminels dont parle le Président ?

Lorsqu'il évoque la question de complot criminel, ce n'est pas à dessein mais en connaissance de cause et sur la base de tractations qui ont été faites depuis l'extérieur du pays, grâce à la complicité de personnes vivant en Tunisie. En le disant, le Président de la République ne cite pas de nationalité. Il s'est contenté de rassurer la population en lui rappelant que si elle fait face à ce genre de cas, l'État sera là pour la protéger et freiner le phénomène. Le Président Saïed attire, ici, l'attention sur le fait que des réseaux opèrent dans la traite humaine depuis l'Afrique subsaharienne jusqu'en Europe. Et les témoignages faits par les migrants sur leur périple dans les zones arides et semi-arides le confirment. Dans cette affaire, il y a des abus sexuels, du travail forcé, etc.

Mais c'est pourtant prouvé que c'est la race noire qui est pourchassée en Tunisie. Des images même confirment cela.

...Non ! Non ! Non ! Jamais ! Aucune déclaration n'a mis à l'index des personnes d'une couleur de peau, ni appartenant à une religion, ni à un sexe... Ce n'est que l'appartenance géographique qui a été mise en avant. Ce sont ces personnes qui sont dans l'irrégularité dans notre pays.

Vous êtes tout de même d'accord que c'est cette race de personnes qui est en situation irrégulière...

Non ! Nous sommes tous des personnes de couleur. Et prendre les choses de cette façon, c'est faire des amalgames. Parce que la Tunisie, la Libye, l'Algérie, la Mauritanie, le Maroc, l'Égypte, sont des pays de l'Afrique et se considèrent comme des personnes de couleur.

Mais dans leurs commentaires, les Tunisiens traitent les Subsahariens d'Africains et eux du monde arabe islamique. Ont-ils honte d'assumer, selon vous, leur africanité ?

Ce sont des interprétations arbitraires. Vous n'allez trouver aucun commentaire, aucune vidéo, aucune publication qui dit que la Tunisie n'est pas un pays africain. Je vous mets au défi. Si vous trouvez quelqu'un qui tient de tels propos dans une quelconque publication ou un commentaire, faites-les parvenir à nos services. Vous ne trouverez aucun Tunisien qui vous dira cela parce que même dans la Constitution, la Tunisie se considère comme un pays africain.

Et pourtant, nous avons appris que des Subsahariens sont expulsés de leurs appartements et de leur travail. Quatre étudiantes ivoiriennes boursières de la coopération tunisio-ivoirienne inscrites à l'université d'El Manar ont été agressées à la sortie de leur foyer universitaire...

Sur la question des travailleurs en situation irrégulière, l'État a été clair en mettant fin au travail irrégulier et vulnérable. Même dans son discours, le Président a indiqué que cette situation d'irrégularité est à l'origine de la criminalité et de pratiques inacceptables passives de sanctions pénales. Si l'État remarque, et c'est d'ailleurs le cas avec les nationalités vivant en Tunisie, que la situation est devenue difficile, il prend ses responsabilités.

C'est donc parce que les comportements de nos frères subsahariens ont changé que des milices se constituent en leur sein. Si tel est le cas, la loi doit s'appliquer. Parlant des milices, elles sont bien connues des autres nationalités. Je peux vous faire visionner la vidéo d'un jeune ivoirien vivant en Côte d'Ivoire. Ce dernier va jusqu'à citer les noms des milices en question.

Face à cela, qu'avez-vous fait en lien avec les autorités ivoiriennes pour avoir de plus amples informations sur cet Ivoirien ? Vous savez que la Côte d'Ivoire ne peut pas tolérer ce genre d'agissements !

Il n'a fait que critiquer ses frères originaires du Cameroun, du Togo, du Mali, de la Côte d'Ivoire, etc., vivant en Tunisie en ces termes : " Les mamans tunisiennes sont fatiguées de votre comportement ". Il est allé jusqu'à dénoncer le processus de location des maisons par ces personnes. Il révèle comment ces gens disent louer la maison pour trois alors que c'est pour une quinzaine de personnes. Il explique comment le comportement de ces frères inquiète les voisins à cause de la montée de la criminalité, de la prostitution, du commerce des stupéfiants et autres, de l'arnaque, etc.

Nous devons nous focaliser sur cela que de tomber dans l'amalgame en nous fiant aux propos, commentaires et vidéos de personnes malsaines positionnées derrière leurs téléphones portables. La preuve, il y a eu des manifestations du peuple tunisien contre les agressions de nos frères africains et contre toute atteinte à leurs personnes.

C'était le samedi 25 février ! Malgré cette manifestation, les agressions se sont poursuivies dimanche et lundi.

Si nous parlons d'agressions, nous devons situer leurs contextes. Hier (Ndlr), j'ai reçu le coup de fil d'une femme de la médecine du Togo qui me parlait de sa patiente à qui j'ai autorisé le visa pour se soigner et qui a été agressée sur place. Lorsque je lui ai demandé les circonstances, elle m'a dit que la patiente aurait été agressée par deux individus pendant qu'elle retirait de l'argent au distributeur. Ce qui est sûr, il y a des agressions et il y en aura malheureusement, mais les actes ne sont pas impunis.

Pouvez-vous nous parler des relations entre la Tunisie et la Côte d'Ivoire à ce jour ?

Les relations entre les deux pays ont toujours été au beau fixe. Le premier partenaire commercial de la Tunisie de la zone subsaharienne est la Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, la première destination des compétences tunisiennes, notamment les techniciens supérieurs, les ingénieurs, les experts-comptables, les architectes, est la Côte d'Ivoire. Et ce, depuis le premier Président Félix Houphouët-Boigny et Habib Bourguiba. La plus grande diaspora tunisienne en Afrique subsaharienne est en Côte d'Ivoire.

Au niveau de la coordination et des échanges d'appui, il y a une forte présence de ressortissants tunisiens en Côte d'Ivoire. Nous avons un nombre de plus en plus croissant d'étudiants ivoiriens qui bénéficient de bourses tunisiennes. Concernant la santé, nous recevons de nombreux ivoiriens chaque année. Je peux donc dire que nous n'avons jamais enregistré de crise de quelque forme que ce soit entre nos deux pays.

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