Ile Maurice: Rita Venkatasawmy - 'Il faut une éducation aux droits humains, aux valeurs humaines'

interview

Il nous revient qu'en début de semaine, Rita Venkatasawmy, l'Ombudsperson for Children, a organisé un atelier interactif avec des membres du Prefect Body du collège Royal de Curepipe (RCC). Nous l'avons interrogée à ce sujet et elle l'a confirmé, acceptant de se laisser interviewer. Ils étaient une quarantaine d'élèves du RCC, âgés de 15 à 18 ans, à y assister et le thème était "Droits et responsabilités des enfants dans une société multiculturelle". Si elle condamne leur chant, qui a fait polémique, elle est persuadée que les élèves n'ont pas réalisé la portée des paroles prononcées car ils ne sont pas suffisamment formés aux droits humains. Maintenant que les sanctions ont été prises par le ministère de l'Éducation, il est tout aussi important de s'assurer que ces enfants soient sensibilisés aux valeurs et aux droits humains, précise-t-elle.

Pourquoi un tel atelier ?

Ce n'est pas une initiative nouvelle. Cela fait deux ans que j'organise des ateliers de ce type et sur ce thème précis avec les élèves du Students' Council de bon nombre d'écoles. C'est un exercice régulier, mené dans le cadre d'un projet financé par l'Union européenne, auprès des enfants qui assument un rôle de leadership dans leurs écoles respectives. L'an dernier, je l'ai fait notamment avec les élèves du collège MEDCO Cassis mais aussi avec les élèves faisant partie du National Forum for Colleges Mauritius, qui regroupe des élèves leaders des collèges confessionnels. Ces ateliers se tiennent hors du cadre scolaire pour valoriser les enfants et les encourager à s'exprimer.

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Pourquoi un tel timing avec les élèves du RCC ?

Parce qu'ils ont fait la une de l'actualité récente et pas forcément pour les bonnes raisons. En tant qu'Ombudsperson for Children, mon rôle est de donner la parole aux mineurs et bon nombre d'élèves du RCC sont des mineurs. Je devais leur rappeler qu'ils ont des droits mais aussi des responsabilités.

Comment s'est déroulé cet atelier ?

Il s'est très bien passé. Tous les élèves que j'ai rencontrés se sont excusés de façon sincère. Ils ont accepté avoir fauté mais ont dit que c'était inconscient de leur part. Mes enquêteurs et moi avons souligné qu'ils ont droit à l'expression, certes, mais on leur a fait comprendre que quand ils s'expriment, ils doivent tenir compte de la culture et de la dignité des uns et des autres. Nous avions demandé au professeur Arnaud Carpooran, président de la Creole Speaking Union, d'intervenir et il l'a fait. Lors de son exposé, il a fait ressortir que ces jeunes peuvent répéter des choses qu'ils croient normales mais qu'ils doivent penser à la façon dont les autres réceptionnent et perçoivent ce qu'ils expriment. Pour lui, utiliser les mots "nasyon", "malbar", "lascar" désigne, de façon péjorative, différents groupes ethnoculturels alors qu'il existe des termes moins péjoratifs et moins blessants pour les désigner et qu'ils auraient pu avoir été employés.

Il estime aussi que ces mots ont une connotation raciste indéniable quand ils sont prononcés haut et fort et collectivement dans le cadre d'une école réputée. Si le terme "lapo fes" ne cadre pas avec une telle institution éducative, le professeur Carpooran a précisé que cette expression familière a différentes significations, dépendant du contexte dans lequel elle est employée, par exemple, la somme coupe-gorge dépensée pour s'offrir quelque chose, du genre ça lui a coûté la peau des fesses; une personne totalement démunie d'un point de vue financier et à qui il ne reste que la peau des fesses ; une personne endettée à tel point qu'il ne lui reste rien, même pas la peau de ses fesses. Associer l'expression, a-t-il dit, au mot "nasyon" et à "vande" était inconscient, immature et maladroit et peut donner un sentiment d'attaque discriminatoire envers la personne qui réceptionne ces propos.

Si l'on est bien conscient de ce que nous faisons et si on est bien averti, on va faire attention à ce que l'on dit et à la manière de le dire. Il leur a signifié que la langue de tous les Mauriciens doit être bien maîtrisée en parlant et en chantant pour ne pas blesser différentes communautés ethnoculturelles.

Comment les élèves du RCC ont-ils réagi à tous ces exposés ?

Je crois que les élèves ont apprécié cet atelier car ils ont dit qu'ils n'étaient pas conscients de l'impact des mots qu'ils avaient chanté et de l'importance des conventions internationales et des lois en vigueur à Maurice. Je crois que le débat a été franc. Ils ont posé des questions intelligentes et ils ont réalisé qu'ils ont fauté, même inconsciemment. Ils ont compris qu'ils doivent faire des efforts pour mieux connaître la culture des différentes composantes de la société mauricienne.

Sur quoi tout cela va-t-il déboucher ?

Quand je défends les droits de l'enfant et que j'analyse la situation en profondeur, je me dis qu'il faut une éducation aux droits humains. J'ai insisté dessus car quand on connaît les droits humains, les valeurs humaines, on respecte les autres. Il faut éveiller les consciences des enfants par rapport à leurs droits et aux droits des uns et des autres. Cela fera avancer le débat de façon plus objective.

Pourquoi le recteur n'a pas signé la lettre d'excuses ?

D'après mon enquête, le recteur leur a interdit cette chanson mais ils ont passé outre à l'interdiction dans l'euphorie de la proclamation des lauréats. Ils ont entonné cette chanson, qui comporte un quatrième couplet qu'ils ont chanté ce jour-là et qui dit ceci : 'Mo pass la rue Royale, mo dimande ki zot vande ek zot dir mwa zot vann zot lorea'. La vidéo s'est arrêtée au troisième couplet. Ce sont là les aléas des réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire que je ne condamne pas les propos car il faut être conscient de ce que l'on dit, même dans l'euphorie. C'est vrai que le recteur est responsable de son institution mais doit-il porter, à lui seul, la responsabilité d'une situation aussi complexe ? Il ne faut pas oublier que le Code pénal sanctionne les délits liés à la discrimination raciale.

Là, c'est le RCC qui est blâmé dans son ensemble. Or, il y a ceux qui font partie du RCC mais qui n'ont pas chanté cette chanson. Il y a ceux qui l'ont chanté et qui ont peur d'être identifiés. Nous sommes dans un État de droit et dans la Children's Act, il est bien spécifié que l'âge de la responsabilité pénale est à partir de 14 ans. Pour ce qui est du recteur, je le crois sincère dans sa tentative d'arrêter la chanson. Je préfère ne pas faire son procès car mon enquête démontre qu'il a eu une approche inclusive envers les enfants, y compris les plus vulnérables. Durant l'atelier avec mon bureau, je le répète que les élèves ont dit haut et fort qu'ils ont fauté et ils se sont excusés. Ils se sont rendus compte qu'ils ont blessé toutes les personnes, qui ont à coeur le 'mauricianisme'.

Au bureau même, nous étions tous choqués et interpellés par cette vidéo. Je n'ai pas voulu faire de déclaration à chaud. Je voulais enquêter et évaluer ce qui s'est passé de façon objective. Nous avons une jeunesse brillante académiquement mais elle doit faire des efforts pour comprendre les droits de l'homme.

Ces excuses ne devraient-elles pas être prononcées publiquement ?

En tenant compte des conventions internationales, notamment celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, je comprends qu'une communauté ait été blessée et cherche réparation. Mais cette situation concerne la société mauricienne dans son ensemble et tous les militants des droits humains. J'ai rappelé également aux élèves que l'État mauricien s'est engagé, devant le comité sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à tout mettre en oeuvre pour que l'harmonie sociale ne soit pas mise en danger et que nous avons tous une responsabilité dans la promotion de la paix sociale. Et cela, ces élèves l'ont bien compris.

Donc, en d'autres termes, on enterre l'affaire ?

Elle est loin d'être enterrée. C'est tout un processus. Un ancien directeur d'école, Jacques Laffitte, a commenté cette affaire en se demandant si elle était une bourde ou une opportunité. Moi, je considère qu'elle est à la fois une bourde et une opportunité pour les adultes comme pour les enfants de se remettre en question. Pour moi, Actions speak louder than words. Le ministère de l'Éducation a déjà sanctionné les élèves du RCC et je pense que c'est une initiative nécessaire et juste. Quant à mon bureau, nous poursuivons nos activités de sensibilisation envers ces élèves. Les élèves, eux, se sont engagés à organiser des activités pour promouvoir la paix dans une société multiculturelle. Grâce à ces actions concrètes et le soutien des adultes bienveillants, je crois que ces jeunes peuvent devenir des citoyens responsables de notre société.

Il faut arrêter de lapider ces jeunes, qui doivent, eux-aussi, arrêter de tenir des propos racistes. Je terminerai en rappelant à tous que la Convention relative aux droits de l'enfant, qui est signée et ratifiée par l'État mauricien, insiste sur le fait que même si un enfant n'a pas respecté les lois d'un pays, il a droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle et qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui.

Allégations de maltraitance à Pure Mind Haven: l'Ombudsperson for Children enquête

Interrogée par rapport aux allégations de maltraitance d'enfants à la maison d'accueil privée Pure Mind Haven, faites par la députée du parti Travailliste Stéphanie Anquetil, Rita Venkatasawmy a rappelé qu'à chaque plainte reçue par son bureau relativement à la situation des enfants dans des maisons d'accueil ou par rapport à des informations portées à sa connaissance à ce sujet, elle et le personnel de son bureau sont habilités à enquêter. "Nous avons le devoir d'enquêter." Et c'est ce qu'elle fait pour Pure Mind Haven.

"L'enquête que nous avons démarrée confirmera ou infirmera les informations avancées", a-t-elle dit en rappelant, comme elle le fait toujours, qu'il est important que les maisons d'accueil d'enfants fassent des efforts pour réduire leur nombre de résidents afin d'améliorer la qualité de vie de ces enfants. Par rapport à l'allégation qu'à Pure Mind Haven, le personnel n'est pas qualifié pour encadrer les enfants, Rita Venkatasawmy indique que cette maison d'accueil n'est pas la seule à employer du personnel non qualifié. "Nous recommandons à ce que le personnel de toutes les maisons d'accueil le soient mais pour employer du personnel qualifié, il faut pouvoir leur donner un salaire décent et plusieurs maisons d'accueil ne sont pas en mesure de le faire.

" Mais les maisons d'accueil reçoivent tout de même une allocation généreuse du gouvernement ? "Il faut reconnaître que ces dernières années, le gouvernement a fait beaucoup d'efforts pour augmenter l'allocation qu'il donne aux maisons d'accueil pour enfants mais il ne faut pas oublier que ce service coûte très cher et que malgré l'allocation gouvernementale, le personnel ne peut recevoir un salaire décent", a dit l'Ombudsperson for Children, qui préfère réserver ses autres commentaires à la fin de son enquête.

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