Madagascar: 29 mars 1947 - Les témoignages du Pr Henri Rasamoelina

Le texte ci-après se base sur des témoignages écrits laissés par des protagonistes des événements de 1947 pour donner une autre vision sur la connaissance de ceux qui ont réellement déclenché l'insurrection en exploitant les mécontentements déjà existants dans la population à l'époque. Cela pour pouvoir liquider les dirigeants du M.D.RM qui ont commencé par gagner les élections effectuées dans le pays déjà en 1946. Vision qui accuse très clairement les autorités coloniales utilisant des Malgaches eux-mêmes pour exécuter leur sinistre dessein.

Qu'on le veuille ou non : on peut dire que l'insurrection de 1947 ne cesse de provoquer de controverses jusqu'à récemment encore . Il est vrai que d'un côté les événements ont fait l'objet de beaucoup de manipulations politico-historiques par les pouvoirs successifs à Madagascar et que de l'autre les historiens eux-mêmes ne sont pas encore arrivés à se mettre d'accord sur les explications des faits. En effet, malgré les publications qui existent déjà sur le sujet , de nombreux documents ne sont pas encore entre les mains des chercheurs.

Sur le plan politique par exemple, n'a-t-on pas justifié le choix de la Révolution Socialiste de 1975, en son temps dans la Grande île, et l'intransigeance sur la défense de la souveraineté nationale, à cette époque et même sous la Transition

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Les deux premiers témoignages ci-après sont des récits du déclenchement des événements à Moramanga effectués par Rabetrena et Ralaizokiny deux frères adjoints de Razafindrabe Victorien considéré comme le chef des insurgés dans le dit secteur ; et, à Vatomandry, par un autre détenu, un boulanger appelé Barijonah Moïse.

Les deux frères ont été arrêtés et jetés en prison le 12 novembre 1947 à Antanimora à Antananarivo mais on ne connaît rien de la troisième personne. Leur révélation a été recueillie par Rakotozafy Emile un codétenu condamné à mort par le tribunal militaire du 8 et 9 juillet 1948, fusillé le 31 mars 1949 et dont le corps n'a pas été retrouvé par sa famille mais qui a laissé derrière lui des écrits conservés par ses descendants depuis.

Si ce qui concerne Rabetrena et Ralaizokiny peut être connu dans le premier texte même et dans de nombreux autres ouvrages et qu'on n'a rien à dire sur le boulanger en question, il faut savoir que Rakotozafy Emile, né le 29 mai 1917 à Ambohimanatrika - Ambohimahasoa - Fianarantsoa, est le Vice-président de la section M.D.R.M de Sahasinaka arrêté par les gardes-indigènes chez lui le 2 avril 1947. D'après ces écrits, il s'est fait piéger car on lui a fait croire que des dirigeants du M.D.R.M viendront là-bas pour donner des conférences afin d'éclaircir la situation ; et c'est dans l'attente de ses hôtes qu'il s'est fait arrêter par les militaires venus par train ce 2 avril.

Il sera d'abord incarcéré à Manakara où plusieurs personnes sont déjà détenues et battues à mort , avant d'être transféré par avion à Tananarive le 1er mai avec comme motifs d'inculpation : « Pillage, incendie, assassinat, complicité ». Enseignant, avant de devenir cultivateur et commerçant, il va écrire ce qu'il a vécu lui-même et tout ce qu'il sait et a entendu sur les événements à travers ses codétenus, dont Rabetrena et Ralaizokiny, plus le boulanger Barijonah Moïse cités ci-dessus et d'autres encore.

Les textes présentés ci-après, sont en grande partie tirés, avons-nous dit plus haut, des cahiers que les enfants des descendants de Rakotozafy Emile ont décidé de conserver . Ceux-ci sont des récits du déclenchement des événements tout d'abord à Moramanga et puis à Vatomandry pour le second.

Le récit de Rabetrena et Ralaizokiny insiste sur l'utilisation par les autorités coloniales de Razafindrabe Victorien pour préparer la dite insurrection dans le secteur de Moramanga et la participation d'étrangers dans le déclenchement des événements avec des noms précis pour ceux qu'ils ont connus. Celui du boulanger par contre parle de la « fabrication » d'une insurrection à Vatomandry par les forces coloniales en forçant les paysans incrédules à s'enfuir dans la forêt avant de tirer sur eux, piller et brûler leur maison.

Ce que l'on voit très clairement à travers ces documents, c'est que bien avant le 29 mars 1947 le mécontentement populaire est déjà tel que l'éclatement d'un mouvement populaire n'est plus à écarter. Et au lieu de trouver des solutions, l'administration coloniale et les membres du PADESM n'ont fait qu'aiguiser les contradictions entre la population. Des bruits ont donc été lancés presque partout, officiellement même du côté de Moramanga, qu'un soulèvement va éclater à la date du 29 mars 1947. Et dès le début des événements, les membres du M.D.R.M. sont arrêtés non pas les armes à la main, mais un à un à leur domicile pour être accusés d'être derrière le soulèvement et d'être membres de l'organisation secrète JINA, dont ils n'ont jamais entendu le nom. Certains seront exécutés et d'autres emprisonnés à vie ou pendant des années.

Il ressort des documents que le soulèvement est le fruit d'une manipulation savamment préparée pour, premièrement liquider le M.D.R.M. qui n'a cessé de gagner les élections organisées des mois auparavant; et deuxièmement, avec une répression terrible, pour mettre hors d'état de nuire les éventuels chefs insurgés qui ont agi de bonne foi pour leur patrie.

Nous publierons à titre d'annexe une pétition signée par des grands intellectuels français en faveur des cinq parlementaires malgaches M.D.R.M après leur procès avec les noms de ces signataires. Il n'y a pas que les Malgaches seulement, en effet, mais que sûrement des étrangers ont encore aussi des choses à dire ou des manuscrits à faire connaître sur ces malheureux événements.

« I°-MORAMANGA

Un coin du voile est levé : les quelques lignes ci-dessous apportent un peu de lumière sur cette émeute au cours de laquelle des milliers de victimes sont à déplorer.

Rabetrena et Ralaizokiny viennent d'être arrêtés et jetés à la prison civile d'Antananarivo, mercredi 12 novembre 1947 vers 19h. Ce sont deux individus qui jusqu'alors ont été indiqués comme étant des généraux parmi ceux qui étaient à la tête de la rébellion. Ils sont frères âgés respectivement de 67 et 48 ans et domiciliés à Fiadanana, canton de Beparasy, District de Moramanga. Rabetrena planteur est un ancien combattant de 1914-18 et Ralaizokiny un boucher. Fiadanana, se trouvant à 5km de l'Ouest de Beparasy et 48km de Moramanga, est un village de 50 toits et d'environ 400 habitants dont une cinquantaine des hommes. Ils déclarent tous deux avoir été recrutés pour le M.D.R.M. en Février 1947 par Razafindrabe Victorien de Moramanga., Conseiller Provincial. Les renseignements recueillis auprès de ces deux « généraux » peuvent se scinder en deux parties.

Avant le 29 Mars 1947

Au début du mois de mars 1947, M. D.Herissart, chef du District de Moramanga, y tint un kabary (Discours public officiel). Razafindrabe Victorien assumait les fonctions d'interprète. Il a tant loué le M.D.R.M. et voulant que son appréciation soit portée à la connaissance de tous ses administrés a ajouté que Razafindrabe Victorien irait de village en village et parlerait en son nom, nanti d'une autorisation pour cette fin.

En effet, Razafindrabe visitait notamment les villages ci-après : Ambodinifody, Anosibe, Vodiriana, Ambohimanatrika, Ambodi-akondro, Andavakely, Ambohitrabango, Beparasy. Il y tenait des discours incitant la masse à une rébellion qui, a-t-il précisé, éclaterait à Moramanga le 29 Mars 1947. Dans tous ses propos, il n'a pas omis d'inviter la population à se procurer de sagaies de haches et de couteaux. La masse y croyait étant donné la qualité de l'orateur, meneur, un élu du peuple parlant au nom du Chef de District.

Le 26 mars 1947, Razafindrabe Victorien nommait ministre du Ravitaillement, Rabetrena, qu'il chargeait d'une active propagande en vue d'avoir des « soldats ». Son rayon d'action prévu englobait les villages d'Andapa, Antanambaon'i Fasana, Ampasimaneva, Maronitety, Antandrokomby et Ambalahomby, Rabetrena avait en outre la mission de rechercher des vivres et de trouver des armes, telles que sagaies, haches, couteaux, etc. Il a, a-t-il déclaré, tout bien fait au point avant d'aller en tenir informer son chef Razafindrabe.

Par ailleurs, Rabelahy de Moramanga menait aussi une campagne sérieuse en faveur de la rébellion. Mais chose curieuse !... il encourageait l'extermination des Hovas qui répétait-il, voudraient restaurer la défunte monarchie fondée sur l'asservissement des autres tribus. Les événements ayant éclaté, Rabelahy arriva à Antananarivo et, en compagnie de quelques personnes dont le journaliste Razafintsalama Gabriel, alla trouver M. le Haut Commissaire : il a été question, paraît-il de l'utiliser comme intermédiaire entre Gouvernement et rebelles en vue du retour au calme. Rabelahy, sans avoir été inquiété, fut ensuite parmi ceux qui se sont offerts pour la répartition journalière des vivres aux sinistrés de la rébellion hébergés à l'immeuble Rasalama, quartier d'Andravoahangy Antanana-rivo-Ville.

Après le 29 Mars 1947

Le 29 Mars 1947, Razafindraibe Victorien, Gaston Ramparivo, Razafimahandry, Rajaona et Rakotobe dirigèrent l'opération contre Moramanga. Des victimes, M. D. Herissart fut épargné, bien que la résidence soit à l'écart de la ville, c'est-à-dire dans un endroit sujet à une attaque à l'improviste, Rabetrena, cependant se disait absent lors de cette attaque.

Une troupe de milliers d'hommes avait à sa tête « un Vazaha » (un Blanc ou un Européen); en général, tout étranger est « Vazaha », M. Menzol (?) et Razafindrabe Victorien ainsi que Gaston Ramparivo. Elle campait successivement à Mangabe et Tadina en Avril 1947, à Ambodimanga en Mai, à Beparasy en Juin-Juillet à Manarintsoa et à Anosibe en tout. Une autre troupe menée par M. Martin (?), un colon planteur de Belambafotsy - Manjanarivo, Razafimahandry Arthur instituteur, Rajaona et Rakotovao, se dirigea vers l'Est aux environs de Lakato. Ce M. Martin est marié à une Malgache. Sa belle-mère était la sorcière du camp. Les armes se composaient de mitrailleuses, de mousquetons, de fusil modèle 86, de sagaies, de haches et de couteaux.

Une dizaine de « Vazaha » secondaient en outre, les dirigeants de la rébellion, Rabetrena et Ralaizokiny ignorent leurs noms, mais affirment avoir en leur mémoire et reconnaître leur figure, si un jour ils les rencontrent. Les seuls noms qu'ils aient pu retenir sont Menzol et Martin (?).

Ralaizokiny précisait, par ailleurs, pour expliquer son immixtion dans la rébellion. Fait prisonnier le 6 Mai 1947, il a été nommé « général » par Razafindrabe Victorien et chargé, étant boucher, de la distribution de viande au camp de Beparasy.

Ces renseignements font ressortir que la bonne foi de plusieurs membres du M.D.R.M. ainsi que celle de la population malgache a été trompée par des gens malintentionnés et que l'étiquette de ce parti a été brandie dans un mauvais dessein.

II°- VATOMANDRY

Renseignements recueillis auprès de M. Barjonah Moïse, boulanger.

Le 2 Avril 1947 au matin le calme régnait. C'était un mercredi. Aucun incident. Vers 6h, le Chef de Canton Rafilipo faisait appeler par le mpiambina « celui qui garde ou qui assure la sécurité » les notables et les chefs des quartiers de la ville de Vatomandry dont Rajaonary Tandra, Sabotsy, Tamena, Lefandiditra. Le mpiambina est un homme, presque souvent de la campagne, montant la garde sans rémunération, à tour de rôle, jour et nuit. La garde de bureau du canton c'est la survivance grâce à la routine de la corvée obligatoire.

Ces gens arrivaient un à un dans son bureau. A chacun d'eux, Rafilipo a dit d'inviter la population à quitter la ville pour chercher un refuge sûr dans la brousse et ce le plus tôt possible. Il a dit que des étrangers (« Vahiny » en terme local) suspects, d'apparence sénégalaise, un bandeau blanc au front, viendraient par camion. Vers 7h, évacuation de la ville.

Vers 9h, trois policiers comoriens et deux gendarmes arrivèrent par camion. Les fusils brandis du haut du camion semblaient menacer les passants. Fait étrange à la population, jusqu'alors paisible. Ces gens en direction de Mahanoro, quittèrent Vatomandry aussitôt après le dîner. Au calme du matin succédait l'émoi.

Vers fin Avril 1947, arrivèrent les agents de la garde mobile de Tamatave. Ils battaient la campagne en compagnie de M. l'Administrateur Pont, chef de District et du Gendarme Grenier. Dans un village à 2km de là, la troupe s'est d'abord arrêtée. Un homme y est envoyé pour avertir les habitants de devoir s'enfuir : cet homme avait toujours soin de persuader ces pauvres paysans que des coups de feu annonceraient l'attaque de leur village. En effet, des coups de feu. Les habitants se sauvaient affolés, les agents tiraient sur eux. Venaient aussitôt les arrestations de ceux qui n'avaient pu s'en échapper.

Toutes les maisons sont fouillées et les sagaies ainsi que les couteaux ramassés (les gens de cet endroit sont autorisés au port de sagaies en vue de la chasse aux sangliers). Les prisonniers transportaient ces « armes » dans le camion ainsi que les objets de valeur de la population. Le feu, ensuite, au toit ! Des habitants agités des « rebellions prisonniers » - voilà comment on en fabrique du pillage. Un village incendié : Deux... trois...quatre villages sont anéantis ainsi. En voici quelques uns : Antanambao, Ambodihazo-mamy, Ampasinambo, Ambalavolo, Ampitakivolo.

Les prisonniers, autrement dit les rebelles M.D.R.M. sont gardés à la prison par des Colons et des membres du PADESM. Des noms, Colons : M. M. Corradi, agent C.M.M., Poirier planteur, Sebille, surveillant, T. Pilain, agent coopérative, Hubert, boulanger, Félix Moutet, planteur, Richard, planteur - PADESM : Albert Beky, écrivain-interprète, Velomaro, écrivain-interprète. Lama Etienne, cuisinier de M. Guénon, Ratsiafindra, contre-maître, menuisier, Jean Léinena, surveillant T.P. Et tous ces gardes torturaient cruellement, sans aucune pitié, ces pauvres prisonniers à qui étaient servies des bananes cuites à l'eau de mer.

Il en mourait. Des noms : Zamanibao d'Ilaka, Filipo d'Ambodivandrika, Maha-velona d'Antanambao-Mahatsara, Velomanana d'Ambodivandrika, Jonahson Ratsimandresy de Vatomandry, Rakotosalama de Maintinandry, Lemiaraka, Rajeriarisoa Gabriel.

Aux précédents renseignements viennent s'ajouter ceux du District de Vatomandry pour mettre encore, en relief comment les habitants ont été agités, comment la provocation a été menée et comment enfin, ont été traités les prétendus rebelles, les pauvres victimes de toutes ces manoeuvres.

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