Ile Maurice: Stabilisation de la roupie face à l'inflation - Peut-on encore y croire ?

C'est une tendance qui s'installe depuis plus de deux ans. Il semblerait que la dépréciation de la roupie inquiète maintenant sérieusement les autorités, étant un frein à l'objectif inflationniste de 3,5 % sur le moyen terme, comme stipulé dans le nouveau cadre de politique monétaire de la Banque centrale. En effet, le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) a annoncé avoir émis des lettres d'avertissement à quatre banques et décidé d'imposer des sanctions à huit autres banques commerciales qui se livreraient à la dépréciation spéculative.

Or, si les spéculations sont un des facteurs contribuant à cette chute de la roupie, elles n'en sont pas l'unique raison. Aussi, tout porte à croire que le manque de confiance du marché dans la reprise de la roupie par rapport aux autres devises persiste, ce qui pourrait avoir des répercussions sur nos ambitions de stabiliser la valeur de la roupie. Pour commencer, cette tendance à la dépréciation de la roupie ne date pas d'hier. Flash-back.

À titre d'exemple, le 4 janvier 2021, le dollar s'échangeait à Rs 39,80 pour atteindre Rs 43,5 en juin 2021 et Rs 44,2 en décembre 2021. Voyons la tendance de l'inflation sur cette période. En janvier 2021, l'inflation était de l'ordre de 1 % en glissement annuel pour atteindre 5,9 % en juin et 6,8 % en décembre 2021. Durant cette période, la tendance inflationniste était alors encore jugée transitoire mais compte tenu de la situation sanitaire et de l'impact sur le flux de devises étrangères entrant dans le pays, la Banque centrale intervenait régulièrement sur le marché des changes. Toutefois, l'objectif de ces interventions n'était pas très clair, ce qui peut influencer les investisseurs.

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Si pendant toute l'année 2021 la Banque centrale a vendu USD 990 millions sur le marché des changes, les taux pratiqués remettent en question l'objectif. En janvier 2021, les taux pratiqués par la Banque centrale variaient entre Rs 39,25 et Rs 39,60, en juin les taux oscillaient entre Rs 40,70 et Rs 42,50, puis en décembre ils variaient entre Rs 42,97 et Rs 43,10. Ceci pourrait expliquer cela. Les réserves internationales étaient de l'ordre de Rs 308,7 milliards en janvier 2021, soit USD 7,8 milliards, pour passer à Rs 309,9 milliards en juin, malgré le montant affiché de USD 7,3 milliards. La chute de la roupie ayant été utile dans ce cas. Ensuite, en décembre 2021, la magie de la période de fin d'année ayant opéré comme chaque année à la fermeture des comptes, les réserves internationales affichaient Rs 372,7 milliards, soit USD 8,6 milliards.

En 2022, la situation se corse. Aux États-Unis, la Federal Reserve commence à réagir et entame des hausses de taux d'intérêt drastiques, impactant la valeur du dollar qui prend en valeur, au détriment de la roupie mauricienne qui s'affaiblit de facto. En effet, de mars à décembre 2022, la Fed entame pas moins de sept révisions de son taux d'intérêt qui passe de 0,25 % en mars 2022 à 4,50 % en décembre 2022. Outre une augmentation du dollar index, ces hausses ont affecté les investissements de la Banque centrale dans les obligations américaines, causant des pertes consécutives et affaiblissant le capital disponible de la Banque centrale.

La dépréciation qui a perduré

Lors de cette période, la BoM commence aussi à réagir et à augmenter ses taux, passant de 1,85 % à 2 % en mars 2022 pour atteindre 4,50 % en décembre 2022. Quid de la valeur de la roupie lors de cette période ? Le 2 mars, le dollar s'échangeait à Rs 44,10 selon le taux de change indicatif de la Mauritius Commercial Bank pour atteindre Rs 44,60 le 30 juin et redescendre à Rs 44,10 le 30 décembre 2022.

Au niveau de l'inflation, elle avait atteint 10,7 % en glissement annuel en mars 2022 pour atteindre 12,2 % en décembre 2022. Au cours de cette période, la Banque centrale est aussi massivement intervenue sur le marché des changes avec la vente de USD 820 millions sur le Forex, incluant de grosses opérations dont un total de USD 240 millions en avril 2022 et USD 300 millions en novembre 2022. Le résultat est toutefois que ces interventions n'ont eu que très peu d'effet, le dollar s'échangeant à Rs 44,10 fin décembre 2022 et l'inflation ayant atteint 12,2 %.

Voyons l'évolution en ce début de 2023. Le 4 janvier, le dollar s'échangeait à Rs 44,10 pour atteindre Rs 45,00 le 2 février et Rs 47,00 le 10 mars. Il faut savoir que la Banque centrale n'a effectué aucune intervention sur le marché des changes en janvier et février, pour vendre USD 30 millions en mars.

Ce contexte démontre que la tendance à la dépréciation de la roupie a perduré malgré les initiatives de la BoM, ce qui de facto réduit la confiance du marché d'une éventuelle reprise de la valeur de roupie. Cela, évidemment, encourage les spéculations et montre que les investisseurs ont toujours dans l'idée que la roupie ne reprendra pas du poil de la bête de sitôt.

Pourquoi ? Pour commencer, la Fed a de nouveau augmenté ses taux le 2 mars de cette année, passant à 5 % et les chiffres du niveau d'inflation aux ÉtatsUnis devraient donner une indication de la suite pour 2023. Cela a évidemment un impact sur la valeur du dollar, qui augmente. De notre côté, la dernière révision du taux d'intérêt remonte à décembre 2022, sans visibilité sur le calendrier du Monetary Policy Committee.

Moins de réserves en devises

En ce qui concerne l'excès de liquidités sur le marché, elle est tombée à une moyenne de Rs 28 milliards au premier semestre 2022, contre Rs 31 milliards pour la période correspondante en 2021, ce qui aurait dû aider à remonter la valeur de la roupie depuis. Le hic : nos réserves en devises internationales ont entre-temps diminué, passant de USD 7,8 milliards en décembre 2022 à USD 6,8 milliards en janvier 2023 et USD 6,6 milliards en février 2023.

Selon l'analyste financier Sameer Sharma, la Banque centrale fait face à un problème de liquidités et doit se montrer prudente et ne pas affaiblir ses munitions en devises étrangères face à la volatilité du marché à l'international. À titre d'exemple, des Rs 306 milliards en réserves internationales, si l'on enlève les Rs 54 milliards d'emprunts en devises étrangères, les réserves internationales du pays s'élevaient à Rs 251 milliards en février 2023. Face à ces faiblesses, s'appuyer uniquement sur l'outil des taux d'intérêt risque de ne pas être suffisant pour contrer l'inflation, comme démontré par la tendance en 2022.

Afin d'envoyer un signal fort au marché, en parallèle aux actions entreprises par la Banque centrale, l'État devrait énoncer un plan sur le moyen et long terme visant à réduire le déficit commercial qui devrait atteindre Rs 210 milliards en 2023, soit 9,9 % de plus qu'en 2022. Si une recapitalisation de la Banque centrale est aussi proposée par divers analystes, au niveau de l'État, une mise à jour des revenus sur la vente des actifs non performants de l'État serait bienvenue, de même que cette fameuse consolidation fiscale où on allégerait le fardeau des consommateurs pour imposer plus de taxes sur les gros profits, par exemple.

Finalement, plus que les technicités ce qu'il nous faut, c'est une confiance retrouvée dans la performance du marché et dans la reprise de valeur de la roupie. Il nous faut pouvoir y croire !

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