L'information est tombée comme un couperet : Rached Ghannouchi est arrêté à son domicile, conduit vers la caserne de l'Aouina et placé en garde à vue. Directement soumis à un interrogatoire, il s'est toutefois abstenu de faire le moindre commentaire en l'absence de ses avocats.
Si une version officielle sur son arrestation fait défaut, sous couvert d'anonymat, une source auprès du ministère de l'Intérieur évoque une vidéo fuitée sur les réseaux sociaux dans laquelle Ghannouchi fait clairement référence à une guerre civile en cas d'élimination de l'islam politique. Des déclarations qui ne sont pas passées inaperçues. D'ailleurs, dans un commentaire, La Presse a mis en garde contre ce genre de discours qui divise les Tunisiens et ouvre la voie à la violence.
Suite à cette arrestation, les événements se sont accélérés. Le siège principal du parti Ennahdha ainsi que ses locaux régionaux ont été tous fermés et ses réunions interdites. Idem pour le Front de Salut qui a été empêché de tenir une conférence de presse et d'organiser ses différentes réunions et meetings.
Il faut dire que ces derniers mois, Rached Ghannouchi et Ennahdha ont été continuellement dans le collimateur de la justice au sujet de différentes affaires qui tournent autour du terrorisme, de l'envoi de jeunes dans les zones de tension et des assassinats politiques. D'ailleurs, pour certains l'arrestation de Ghannouchi est loin d'être surprenante au vu des différentes affaires dans lesquelles son nom est mentionné.
En tout cas, les réactions à ce fait majeur et spectaculaire n'ont pas manqué. Le parti Ennahdha était le premier à défendre son président. Ennahdha a tenu, dans la soirée du lundi 17 avril 2023, à 23h, un point de presse en urgence pour revenir sur les circonstances de l'arrestation de son chef Rached Ghannouchi assurant qu'il s'agit d'une provocation et d'un acte vindicatif.
Le dirigeant au sein du mouvement, Mondher Ounissi a indiqué qu'Ennahdha n'arrivait pas à comprendre les causes poussant le pouvoir en place à la maltraitance de Rached Ghannouchi alors qu'il s'est toujours montré coopératif et qu'il n'avait jamais refusé de comparaître devant la justice. «Ennahdha dénonce ce développement extrêmement grave et appelle à la libération immédiate de Rached Ghannouchi», a ajouté le mouvement.
Pour sa part, l'ancien Président provisoire de la République Moncef Marzouki est allé jusqu'à évoquer une menace contre la paix sociale si son arrestation persiste. «Libérez-le, si vous voulez du bien pour vous-même», a-t-il dit.
Descente au siège d'Ennahdha
Riadh Chaibi, conseiller de Rached Ghannouchi, a annoncé, pour sa part, qu'une descente a été effectuée au siège central du mouvement Ennahdha à Montplaisir.
Riadh Chaibi affirme qu'on leur a demandé d'évacuer les locaux sans autorisation judiciaire. Sauf que, selon le ministère de l'Intérieur, son arrestation intervient dans le cadre de la loi et suite à une autorisation délivrée par le Parquet.
Au fait, ces derniers rebondissements de taille qui secouent le mouvement Ennahdha reposent la question de l'islam politique en Tunisie. Quand on voit l'un des plus grands leaders mondiaux de l'islam politique finir dans une telle situation marquée surtout par des poursuites judiciaires interminables, on s'aperçoit que cette idéologie est en crise.
L'islam politique renvoie surtout à l'utilisation de la religion islamique dans le domaine politique et social. Cela peut inclure l'utilisation de principes islamiques pour établir des lois et des politiques, ou la promotion de la charia comme système juridique.
Il peut prendre différentes formes, allant du conservatisme religieux à l'extrémisme violent. Certains groupes politiques islamiques ont été élus démocratiquement dans des pays comme la Tunisie, tandis que d'autres ont recours à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques, comme l'État islamique et Al-Qaïda.
En effet, même si, en général, la Tunisie est considérée comme un exemple de transition démocratique réussie dans le monde arabe, avec des élections libres et équitables, une presse libre et une société civile active avec la forte présence de l'islam politique, les leaders de ce courant ont été toujours accusés d'oeuvrer pour la radicalisation de la société malgré les réformes identitaires annoncées par le parti Ennahdha.
Mais quel sera le sort du mouvement islamiste au vu de ces derniers rebondissements ?
Pour les observateurs de la scène politique tunisienne, le parti connaît l'une des phases les plus sombres de son histoire.
Arrestations, divisions internes, pressions, accusations, tout va à l'encore de sa stabilité. D'ores et déjà, avant les décisions du 25 juillet, le parti avait connu une période de grande division et le renouvellement du mandat de Ghannouchi à la tête du parti était contesté. Mais pour d'autres, le parti a toujours su dépasser ces périodes de turbulence et pourrait se repositionner au-devant de la scène politique, mais il semble que cette fois-ci la situation est tout autre et le parti risque en effet gros.
Il est connu pour tous que Rached Ghannouchi parvenait continuellement à préserver un certain équilibre au sein de son parti. Sa disparition, même provisoire, de la scène politique ne sera certainement pas sans conséquences sur son parti et sur l'avenir de l'islam politique en Tunisie et dans la région.
Autant dire que sur le plan international, malgré sa crise d'envergure, l'islam politique pourrait continuer à jouer un rôle important dans la politique des pays à majorité musulmane. Cependant, d'autres prédisent que l'islam politique pourrait perdre son influence à mesure que les sociétés se modernisent et que les citoyens réclament des droits et des libertés individuels.