Ile Maurice: «Zamal à la tête», ces saisies qui donnent le tournis

L'enquête sur la dernière saisie de zamal à La Réunion permettra-t-elle de remonter vers «le gros poisson» à Maurice ? Pour l'heure, trois Mauriciens, dont le bateau a échoué à Anse-des-Cascades, ont été arrêtés là-bas alors que trois autres ont été arrêtés à Maurice en lien avec ce speed boat...

Après la saisie de 150 kg de zamal, valant 3 millions d'euros (Rs 148 millions) à La Réunion, le 13 avril, beaucoup se demandent si la police mauricienne a déjà commencé une enquête pour connaître l'identité des Mauriciens qui avaient commandé ce zamal. Ce qui est certain, c'est que la brigade antidrogue (ADSU) est sur une piste mais pour l'instant, celle-ci ne concerne que le bateau échoué le 24 avril à Anse-des-Cascades à Sainte-Rose. Ce qui n'a pas été difficile, selon des sources policières, grâce à l'immatriculation communiquée par les autorités réunionnaises qui a mené à l'arrestation du vendeur du bateau échoué, Arshad Abdur Rahman, et de l'acheteur présumé, Samuel Legentil. Félix Dilane Lapierre sera arrêté quelques jours plus tard car c'est sa signature qui figurait sur le contrat d'achat. Cependant, l'ADSU soupçonne que Lapierre a été utilisé comme prête-nom par Legentil.

Tout porte à croire qu'après l'annonce de la saisie des 150 kg de zamal destinés au marché mauricien et l'arrestation de cinq Réunionnais le 13 avril, ceux qui allaient réceptionner et transporter cette drogue de l'île soeur vers Maurice auraient attendu en vain la cargaison. Tentaient-ils de fuir l'île soeur quand leur vedette rapide s'est échouée le 24 avril ? En tout cas, les gendarmes réunionnais soupçonnent les deux footballeurs mauriciens, Andy Patate et Benjamin Leu, ainsi que le skipper Marcelino Meunier, arrêtés à La Réunion d'être ceux qui devaient convoyer la cargaison vers Maurice. L'enquête de la police judiciaire réunionnaise permettra sans nul doute de le confirmer assez vite, nous dit-on. Du côté mauricien, la police a déjà mis une charge provisoire contre les trois Mauriciens, dont Rahman, Legentil et Lapierre, non pour trafic de drogue mais pour complot en vue d'entraver le cours de la justice.

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Pour rappel, plusieurs saisies de drogue et arrestations ont eu lieu à La Réunion pour trafic de zamal entre nos deux îles. La justice réunionnaise a ainsi condamné Franklin, Nono et Mike Brasse, entre autres Mauriciens. Une saisie semblable à celle du 13 avril 2023 avait eu lieu à La Réunion en juin 2019. La gendarmerie nationale avait saisi 142 kg de zamal destiné au marché mauricien, toujours à Anse-des-Cascades. Sunil Krishna Dowlut et Steeve Nicolas Mariette avaient été arrêtés à Maurice mais toujours parce qu'ils étaient les propriétaires du bateau. Cédric Marc Lebon, Kervin Antoine et Jean-Michel l'Effronté, des Mauriciens, avaient été arrêtés, jugés et condamnés à La Réunion. Quand Cédric Lebon a été libéré au bout de trois ans, il a été poursuivi à Maurice pour les mêmes faits pour lesquels il avait été jugé à l'île soeur. L'affaire est toujours en cours.

L'enquête s'oriente vers un nouveau réseau à Grand-Baie

Les 150 kg d'une valeur de Rs 148 millions allaient débarquer à Maurice il y a une semaine. La gendarmerie française a pu déjouer cette importation à travers une commission rogatoire qui avait mis sur écoute des Réunionnais soupçonnés de trafic de zamal et l'opération a été un succès. Un possible trafic entre La Réunion et Maurice a été établi et Benjamin Leu, Andy Patate et Marcelino Meunier, qui étaient à bord du bateau échoué, ont été arrêtés.

Pourquoi Samuel Legentil est soupçonné de jouer un rôle important dans cette importation ? Depuis quelque temps, les enquêteurs de l'ADSU l'ont à l'oeil car il pourrait faire partie d'un réseau puissant dans le Nord. Ce jeune de Cap-Malheureux aurait tout l'allure d'un bras droit qui dirige les affaires d'un grand chef. Toutefois, il aurait fait diversion pour déjouer les enquêteurs car il nie toute participation dans cette affaire, mais les allégations des suspects arrêtés à La Réunion sont prises au sérieux par la brigade antidrogue pour tirer cette affaire au clair. Ils disent que c'est Samuel Legentil qui a monté cette opération.

Après son interrogatoire jeudi, beaucoup d'informations sont remontées à la surface. Il n'aurait pas acheté le bateau, dont il a signé l'acte de vente et pourtant Arshad Abdur Rahman, affirme lui avoir vendu son bateau à Rs 400 000 mais il n'aurait pas reçu toute la somme. L'ancien propriétaire du bateau dit qu'il allait recevoir une partie de l'argent - Rs 100 000 - lundi dernier mais vu que le bateau s'est échoué, l'opération a foiré. En vérifiant l'acte de vente, la signature n'est pas celle de Legentil mais celle de Felix Dilane Lapierre. Les enquêteurs pensent que ce dernier serait un prête-nom. Legentil n'a pas un casier judiciaire vierge car en janvier 2019 il a été arrêté par l'ADSU avec 20 doses d'héroïne, quelques grammes de cannabis, un stun gun et Rs 8 500. Il se présentait comme un vendeur de noix de coco à l'époque.

Pourquoi le zamal a toujours la cote chez les Mauriciens ?

Selon un haut gradé de l'ADSU, l'importation du zamal est payée en euros aux fournisseurs ou cultivateurs réunionnais. «Les trafiquants mauriciens savent que le zamal est un produit qui a la cote auprès des Mauriciens car la qualité de ce cannabis est plus élevée que celle cultivée sur le marché local. Les conditions du sol et de la culture sont différentes. Les Mauriciens ne bronchent pas pour payer Rs 1 500 le gramme alors que celui produit localement tourne autour de Rs 800 le gramme. Les fournisseurs se font une fortune sur la vente.»

Les conditions propices à un trajet réussi

Nous nous sommes entretenus avec un professionnel de la mer qui explique comment le trajet Maurice-Réunion-Maurice se fait sans anicroche. Il nous a fait un exposé sur les risques du trafic du cannabis interîles, sur la catégorie de personnes qui se rend en mer. «Ce sont surtout des pêcheurs, des skippers, ceux qui connaissent la mer comme leur poche car, dites-vous bien, les barons ne s'intéressent pas à se rendre à Madagascar ou même à La Réunion. Ce sont ceux qui ont besoin de l'argent. Ceux tentés par Rs 3 ou 5 millions mordent à l'appât.» L'appât du gain prend le dessus, sans tenir compte des risques de cette traversée. «Comme ils s'attendent à être payés environ Rs 2 millions ou plus pour trois ou quatre personnes, ils ne raisonnent pas car la tentation est là. Qu'est-ce qu'ils ne feront pas pour renflouer leur compte en banque car ces personnes sont sur une échelle au-dessous de la classe moyenne ?» Échouer en mer ou être pris en flagrant délit par la police étrangère sont les risques qui les attendent, ajoute notre interlocuteur. «Leur bateau s'échoue pour deux raisons, soit ils ne prévoient pas assez de carburant et tombent en panne ou un vieux moteur est utilisé sur le hors-bord. Ils sont aveuglés par la grosse somme d'argent et oublient de prévoir un gallon de fuel en plus. Il y a aussi les conditions de temps qui peuvent changer à n'importe quand.»

Le type de bateau utilisé

Souvent, les bateaux utilisés pour une sortie à La Réunion sont des hors-bord avec deux moteurs de 150 chevaux pour aller vite. «Le point le plus rapproché de Maurice avec La Réunion est Le Morne, cinq heures de trajet pour 210 kilomètres car ils vont naviguer contre les vagues. Ils utiliseront 225 litres d'essence. Au retour, ils utiliseront 25 litres en moins et le trajet prendra 45 minutes de moins puisque le skipper naviguera avec le courant.»

Lacunes de la National Coast Guard ?

Ils sont nombreux à trouver qu'il y a une passoire dans la sortie des bateaux hors de nos lagons. La National Coast Guard (NCG) est pointée du doigt car, souvent, ces bateaux sortent dans la soirée pour ne pas se faire prendre malgré de fortes suspicions sur leurs transactions. Sommes-nous tentés de dire que certains officiers de la NCG sont de mèche avec les trafiquants ?

D'ailleurs, le rapport Lam Shang Leen explique les difficultés qu'éprouve la NCG en mer par manque d'équipements et de facilités technologiques pour traquer les trafiquants en mer. Le rapport ajoute que souvent des bateaux en bois qui sortent en dehors du lagon ne sont pas équipés de GPS et ne peuvent donc pas être détectés.

Oiseaux livrés contre cannabis...

Selon la presse réunionnaise, le trafic se faisait dans les deux sens. Importation de zamal à Maurice et exportation de «serins» à l'île soeur. Cependant, une source de l'ADSU se demande combien de «serins» auraient dû être exportés pour 150 kg d'herbe et elle pense que le paiement pour le cannabis se fait en majeure partie en argent liquide.

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