Avant la crise politique de 2009, j'avais noté la disparition des charrettes à bras, remplacées par des «404», des «4L fourgonnette», des «3CV» dans le va-et-vient des stands et des marchandises du marché hebdomadaire de Mahamasina. Depuis, et la fermeture de nombreuses usines, non seulement la moitié de la population semble s'être reconvertie dans le petit commerce, mais même le gentil progrès d'une force automobile se substituant à la traction humaine accuse un recul de civilisation.
Quand on avise les nombreux étals à même le sol, sur les trottoirs des quartiers populaires, on se dit à quoi tient une paix sociale, même précaire. Sur le seul axe, depuis le pont d'Ampasika jusqu'à Itaosy, c'est un tableau poignant : en même temps qu'ils occupent le trottoir, ces milliers d'anonymes s'occupent à exister. Je ne suis pas convaincu que la petite cuvette de «pirina lena», la brouettée de salades, le «toko» de patates, le bric-à-brac de boulons, la poignée de «papier-cadeau», trouve quotidiennement preneur.
Et le petit tas de plantes médicinales ; et les «angady» (bêche) suggérés à un prolétariat urbain fruit de l'exode rural ; et cette brocante de pièces hors d'usage ; et ces jouets «Made in China» en unique exemplaire de chaque ; et ce coq solitaire debout et perdu parmi la masse docile de canards endormis ; et cetera et cetera...
Mention particulière pour les friperies qui envahissent l'espace public. Même à l'emplacement traditionnel des maraîchers au marché hebdomadaire de Mahamasina, trônent d'immenses stands de vêtements usagés et de chaussures fatiguées. Je leur préfère franchement l'écriteau de l'artisan qui se propose de réparer «kapa, kiraro, poketra» (sandales, chaussures, sacs). Même si j'ai une confiance très relative en les prouesses de «Atelier Modeste : réparation batterie».
Les passants seraient-ils à ce point anxieux de leur IMC (indice de masse corporelle) qu'ils monteraient sur une balance dans la rue ? Chaque marchand qui veille sur sa maigre moisson, en attend-il vraiment une récolte ? Vendre pour vivre ou vivre pour faire mine de vendre ? Tenir étal et s'établir un certificat d'existence sociale.
Face à la misère au quotidien, la patience de cette population est proverbiale. Au-delà d'un mot à la mode comme résilience, comment plus véritablement font-ils ? Il s'agit tout de même de survivre au jour le jour. Et ça a l'air de marcher, dans une résignation silencieuse. Sont-ils pour autant désabusés qui acceptent régulièrement d'alimenter de leur nombre les manifestations ourdies sur la place du 13 mai par ceux qui, toute honte bue, sont le président de ceci ou de peut-être cela mais certainement d'une population exsangue et d'un pays dernier de tous les classements.