Burkina Faso: 50e anniversaire de L'Observateur Paalga - Tranches de vie au sein d'une rédaction

Dans les années 90, le Programme d'ajustement structurel (PAS), battait son plein au Burkina Faso.

Ce fut une période de vaches maigres pour les milliers et les milliers de chercheurs d'emplois que nous étions. Le PAS, avec son corollaire de chômage endémique des jeunes diplômés du supérieur, fut une période dure pour plus d'un, car les recrutements à la fonction publique, grande pourvoyeuse de main-d'oeuvre, avaient été presque totalement gelés pour plusieurs années, hormis les secteurs dits sociaux tels la Santé et l'Enseignement, où quelques maigres postes seulement étaient encore pourvus.

Las d'assumer le rôle d'enseignant vacataire de français dans quelques établissements privés de la place, et sur les conseils et recommandations de quelques amis, je pris la décision d'envoyer une candidature spontanée à L'Observateur Paalga pour un poste de correcteur. La linguistique, discipline que nous avions étudiée quatre années durant à la Faculté des lettres, des langues, des sciences humaines et sociales (FLASH) de l'Université de Ouagadougou, s'accommodait bien au métier de correcteur et les responsables de ce journal ne l'ignoraient point.

C'était il y a une trentaine d'années. Après donc l'envoi de ma candidature à L'Observateur Paalga (L'Obs.), dans la même soirée, je recevais un coup de fil au domicile de mon ami d'enfance, Félix Thiombiano, où je logeais momentanément. Au bout du fil, Edmond Nana, directeur adjoint de ce journal à l'époque. Journaliste émérite, il est le père fondateur de la rubrique fétiche de L'Obs. « Une Lettre pour Laye », paraissant tous les vendredis et qui, incontestablement, a donné à cette parution toutes ses lettres de noblesse. Après quelques échanges d'usage, il me convia à un rendez-vous le lendemain à 8 heures à son bureau.

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On entrait à L'Obs comme on entre en religion.

Inutile de vous dire que je ne me suis pas fait répéter ce message et que le lendemain, dès 7 heures du matin, j'étais du côté de la Grande Mosquée de Ouagadougou et du marché de cola qui jouxtent les locaux du célèbre quotidien, attendant impatiemment l'heure indiquée. A l'époque, on entrait dans une institution comme L'Observateur comme on entrait en religion, c'est-à-dire avec foi, passion et l'envie de se faire un nom de plume. Pour la postérité, disons que cette parution avait déjà à son tableau de chasse un record dans le livre Guinness : celui d'avoir été le premier quotidien privé imprimé et illustré par la photo du Burkina sinon d'Afrique de l'Ouest francophone.

Ami d'enfance et condisciple du fondateur du quotidien, notamment Edouard Ouédraogo, Monsieur Nana, comme nous l'appelions au sein de cette rédaction, était un homme d'un commerce agréable. Très au fait de l'actualité nationale et de celle internationale, il était doté d'un épais carnet d'adresses comme tout journaliste qui se respecte. Lui et Edouard Ouédraogo, cette légende vivante de la presse burkinabè, formaient un excellent tandem au sein du journal. Mieux, ils parlaient le même langage et se complétaient à souhait.

L'entretien, comme je l'avais espéré toute la nuit précédente, s'est admirablement déroulé et je devais commencer le boulot dès le lendemain. Entre parenthèses, disons que, depuis mon secondaire au Collège d'enseignement général de Fada N'Gourma, j'avais toujours été subjugué par ce beau métier qu'est le journalisme. Par ailleurs, en matière de lecture, je dévorais presque tout : des pages de Jeune Afrique et d'Afrique Nouvelle à celles de L'Observateur en passant par les ouvrages de mon auteur préféré, Guy Descar, et autres Miki, Akim, Zembla, sans oublier Blek le Roc. Et je dévorais toute cette littérature avec une gloutonnerie non feinte.

C'est dire que mettre les pieds au sein d'un journal d'une si grande renommée et qui fête présentement son cinquantenaire constituait pour moi un rêve d'enfant qui se réalise, car je savais pertinemment que l'essentiel était d'y être admis et le reste n'était que sueur avec de belles corrections des articles, des reportages bien agencés, disponibilité et réflexion digne d'intérêt, le tout saupoudré d'un peu de chance pour réussir. Toutes choses qui étaient dans mes cordes, sauf bien sûr le facteur chance que je ne maîtrisais pas, clause étant laissée au seul Créateur. Je savais autant qu'un autre que le travail peut déjouer des destins que l'on pense déjà tracés. En clair, comme le disait fort à propos le Dalaï Lama, « il n'y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n'y a que des hommes et des femmes qui ne savent pas lire le ciel ».

Affecté au service révision, ou si vous voulez le service chargé de corriger les textes appelés à passer dans le journal, je m'évertuais à donner le meilleur de moi-même. Bien qu'étant titulaire en tout et pour tout parchemin d'un Brevet d'études du premier cycle, notre chef du service Correction n'en était pas moins une respectable belle plume. Il avait une immense culture générale et avait le sens de la formule bien chevillée au corps, même si la coexistence n'était pas toujours pacifique avec lui. Je devais sans cesse supporter ses remarques blessantes.

C'est ainsi qu'après une nuit blanche, mise à profit pour cogiter sur les multiples contrariétés et les remarques blessantes qui étaient devenues mon lot quotidien , je pris crânement mon courage pour aller à la rencontre du fondateur du journal.

De ma petite expérience de la vie, j'avais déjà assimilé quelques fondamentaux qui me servent de fil conducteur, de bréviaire, de viatique pour la vie. J'avais appris que bien souvent, il vaut mieux chercher à voir Bon Dieu que de s'adresser à ses saints. Et comme le disait fort à propos quelqu'un, la vie, « ce n'est pas attendre que les orages passent, c'est apprendre à danser sous la pluie ».Et de mes lectures, j'ai retenu aussi et ce, pour toujours,que « les batailles de la vie ne sont gagnées ni par les plus forts, ni par les plus rapides, mais par ceux qui sont déterminés, ceux qui n'abandonnent jamais ». C'est dire que je voulais quitter au plus vite le service Correction, sans pour autant partir du journal.

Alors, un beau matin, je frappai à la porte du directeur de publication pour une petite entrevue. Une fois dans le bureau directorial et après les civilités d'usage, je ne perdis pas de temps pour décliner l'objet de ma visite.

- « Monsieur le directeur, dis-je, cela fait environ deux semaines que j'exerce à L'Observateur Paalga en qualité de réviseur, mais ce laps de temps m'a permis de voir des vertes et des pas mûres. Je viens de ce fait vous solliciter une autre affectation, car ma religion est établie :je ne peux pas y rester.

- Ah, comment ça ? s'enquit le maître des lieux ».

C'est ainsi que je lui expliquai toutes les misères vécues en seulement deux semaines de collaboration.

- « C'est vrai ! Répliqua le Directeur de publication qui, en réalité, n'ignorait certainement rien de ce que je lui contais. Eh bien, s'il en est ainsi, poursuivit-il, rejoignez la Rédaction, vous ferez un excellent journaliste, car j'ai déjà parcouru un de vos écrits en libres propos sur le chômage des étudiants au Burkina Faso et, je l'avoue, il avait de la tenue ».

Ragaillardi par ces propos fort encourageants, je rejoignais ainsi le service de la Rédaction en qualité de journaliste, ce qui me remplissait de bonheur. C'est là que je découvris des journalistes talentueux tels Jules Ouédraogo, Ki-Henri Prosper, mon grand ami et alter ego à L'Observateur Paalga, Ousséni Ilboudo, Paul Dédoui ; les regrettés Emmanuel Bama, Pierre Tapsoba alias Brice Kaboré, Boniface Batiana alias Nobila Cabaret, le truculent Bernard Zangré ; l'ami de la comptabilité Munir Ky et notre protégée Hermione Ouédraogo épouse Kondé. Nous formions à l'époque une belle équipe d'écriture dans les annales du journal et de bons amis dans la vie. Nous avions nos habitudes dans un troquet non loin du lycée Saint-Exupéry et où nous refaisions le monde. Ce fut une belle période de ma vie de journaliste et d'homme tout simplement, car à l'époque ce métier était fort apprécié des usagers et donnait un sens à ma vie. C'était une période de vaches grasses pour la presse au Burkina et cela nous permettait de voyager énormément à travers les continents. Les voyages étaient tels que nous n'enviions même pas le chef de la diplomatie en termes de bougeotte.

A L'Observateur, les conférences de rédaction se tenaient tous les jours ouvrables à 8 heures, sauf les vendredis. C'est un cadre privilégié d'échanges, de discussion, de critique du contenu de l'édition du jour et une projection sur celles à venir. Bien des fois, la conférence de rédaction reste un cadre d'information, de formation, d'échanges de haute volée intellectuelle. On y débat, on s'y forme, on y argumente dans cette grande école où Edmond Nana, le Directeur adjoint du journal à l'époque, assurait la police des débats.

Certes, Edmond Nana m'a toujours honoré de son estime et de son amitié et a été ma porte d'entrée à L'Obs., mais c'est le doyen Edouard Ouédraogo qui m'a initié à l'écriture journalistique. Pour tout journaliste, la conférence de rédaction demeure une grande école dans l'apprentissage des cordes du métier, une école de la vie. Et le fondateur de L'Observateur, Nakibeuogo de son nom de plume, qui signifie « je vais mourir demain », est de mon point de vue l'une des plus belles plumes de son temps, en tout cas à l'échelle de notre pays. Pour faire court, nous préférions, mes amis de L'Obs. et moi, l'appeler "Le Nakib".

Professeur des lycées et collèges, Edouard Ouédraogo n'eut pas longtemps à faire dans l'enseignement avant de se lancer dans le journalisme pour fonder le premier quotidien privé illustré d'Afrique occidentale française, le 28 mai 1973, à 25 FCFA le numéro. Et si l'on doit parler de L'Observateur, il faut avant tout saluer le rôle éminent joué par un grand homme, le P-DG Martial Ouédraogo, décédé en 2010.

De notoriété publique, Edouard Ouédraogo transpire l'écriture journalistique et, au sein de la Rédaction, chaque journaliste redoutait un peu d'être appelé sur le coup de 17 h dans son bureau pour voir valider soit une grosse interview, soit une analyse ou un reportage digne de ce nom dont il avait la charge. Pour un quotidien, c'est l'heure de tous les branle-bas, l'heure idéale où la marmite bouillonne, où les journalistes se dépêchent de mettre la dernière touche à leurs livraisons du lendemain, puisqu'en principe à cette heure, tous les articles doivent être apprêtés pour être montés.

Le fameux deadline

Et pendant qu'on se démène sur la dernière phrase pour mettre un point final à notre article, les monteurs, de leur côté, nous assaillent pour prendre les copies, car assez pressés qu'ils sont pour le bouclage.

Avec son pointillisme de bénédictin, le directeur disséquait notre rendu en éliminant les tournures maladroites, les fautes de syntaxe et autres incongruités de la langue française, pour lesquelles il avait de l'aversion, en y apportant les corrections nécessaires, toujours avec son stylo rouge et son TSVP. Entendez Tournez S'il Vous Plaît, c'est-à-dire au verso de la feuille où il notait méthodiquement les remarques tout en proposant des reformulations pour améliorer le style, édulcorer un passage qu'il jugeait trop dur ou apporter des précisions historiques ou littéraires qui enrichissent et éclairent davantage

Et c'était presque toujours un cours magistral de journalisme, d'histoire, de relations internationales ou de sciences politiques ! Autant dire que quand il vous renvoyait votre copie avec la mention « Me voir avec » , c'était pour beaucoup un instant fort redouté, certes, mais c'était aussi le cadre idoine pour apprendre à bien écrire et à parler la langue de Molière et à se cultiver. Mais il arrivait aussi que son « me voir avec » soit pour féliciter l'auteur d'un écrit pour son article « bien frappé »(sic) ou pour son titre « imparable »

Le journaliste Edouard Ouédraogo, c'est avant tout la rigueur dans l'écriture journalistique. Autant dans le fond que dans la forme, c'est une sorte de délectation qui anime le lecteur lorsqu'il a sous les yeux un de ses écrits. Il ne saurait en être autrement d'ailleurs, quand on sait que sa génération appartient à la vieille école, qui parle encore le bon français.

En un quart de siècle passé à L'Observateur, j'ai pu constater avec quelle élégance et quel respect Edouard Ouédraogo traite ses collaborateurs. Du technicien de surface au directeur des Rédactions, c'est le vouvoiement qui est sa ligne de conduite. Il vouvoie presque tous ses collaborateurs et leur accorde une oreille attentive lorsqu'il est sollicité. Dirigeant d'entreprise averti, il consulte énormément ses collaborateurs avant de prendre les décisions qui engagent l'avenir du journal. C'est dans ce sens qu'un jour, sur le coup de 16 heures, il fit appel au staff de L'Observateur que nous formions pour une réunion. C'était en tout et pour tout une demi-douzaine de personnes, chose rarissime, sauf bien sûr « quand Rome brûle ». Avec cette convocation insolite, on devinait bien que quelque chose d'important planait dans l'air. De quoi peut-il s'agir pour que le patron nous convoque avec une telle urgence, nous interrogions-nous, sans avoir bien sûr la moindre piste de solution. Vous devinez quoi ?

Il s'agissait, pour le premier responsable du journal, d'avoir notre point de vue sur la proposition qui lui avait été faite par la mairie de Ouagadougou d'attribuer une rue à son nom dans le quartier de Ouaga 2000.

Naturellement, ce patron dont beaucoup parlent sans vraiment le connaître n'y est pas allé par quatre chemins pour éclairer notre lanterne sur cette inattendue convocation visant à requérir nos différents avis et nous a demandé de réagir. Après avoir religieusement écouté les arguments des uns et des autres, il dira que pour lui, une telle distinction ne peut aucunement être décernée à un homme de son vivant. Pour cela, l'affaire est pliée, il renonce à cet hommage de voir une rue porter son nom. C'est cela, Edouard Ouédraogo !

Pourtant, combien sont-ils les hommes et les femmes de ce pays qui n'auraient pas bondi, toute sirène hurlante, sur cette aubaine ? Quand ils ne font pas des pieds et des mains pour l'avoir !

Longue vie à L'Observateur Paalga !

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