Ile Maurice: Budget 2023/2024 - Au service du social... et de l'inflation ?

Qu'on se le dise, le ministre des Finances place, une fois de plus, la barre très haut en termes de soutien financier aux ménages mauriciens face à une perte continue du pouvoir d'achat depuis 2020. En effet, au total, les dépenses budgétaires sont estimées à plus de Rs 200 milliards pour l'année financière 2023- 2024, contre une estimation de Rs 177,5 milliards pour la présente année financière, alors que la croissance réelle pour 2023-2024 est estimée à 8%, le même taux que l'année financière 2022-2023. Si, à court terme, ces mesures sont bienvenues, surtout pour ceux au bas de l'échelle, l'on peut s'interroger sur la volonté d'endiguer, sur le long terme, le mal fondamental qui ronge le porte-monnaie : l'inflation et la dépréciation continue de la roupie.

Pour commencer, il est certain que le Budget 2023-2024 accorde une attention particulière aux mesures sociales, avec des dépenses de plus de Rs 65 milliards. Cela représente une augmentation de 16 % par rapport à l'année financière précédente et de 38 % par rapport à 2021, selon l'analyse d'Anthony Leung Shing, Country Senior Partner de PwC, Maurice.

On retrouve plusieurs mesures, notamment l'augmentation du revenu minimum à Rs 15 000, la baisse du prix de l'essence à la pompe grâce à un transfert de fonds de l'État à la State Trading Corporation (STC), les allocations de Rs 1 000 et Rs 2 000 pour ceux qui touchent respectivement moins de Rs 50 000 et Rs 25 000 mensuellement. Sans oublier la panoplie de mesures pour l'emploi, l'éducation gratuite dès la maternelle, la lutte contre la pauvreté et la suppression de la TVA sur 15 produits, entre autres.

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Or, il est opportun de s'intéresser au financement de ce Budget, car tout porte à croire que la baisse du taux d'inflation et le regain du pouvoir d'achat en terme réel n'est pas pour demain. Malgré le contexte inflationniste, on se retrouve une nouvelle fois avec des prévisions de croissance économique tirées par la consommation. Les revenus de la TVA sont estimés à Rs 61,5 milliards pour l'année financière 2023-2024 contre Rs 49,4 milliards pour 2022-2023, Rs 38,3 pour 2021- 2022 et Rs 32,7 pour 2019- 2020.

Cela s'explique largement par l'impact de l'inflation sur les produits et services. À titre illustratif, si un produit coûtait Rs 20 en 2019 pour passer à Rs 25 en 2023 à cause de l'inflation, l'État récolte, lui, un peu plus de revenus sur ses 15 % de TVA. Au lieu de recevoir Rs 3 sur ce produit, l'État recevra Rs 3,75. Nous pouvons donc conclure que finalement, un produit vendu plus cher à cause de l'impact de l'inflation sur le coût de la vie représente plus de revenus à l'État qui ensuite augmente les allocations sociales reversées à la population. Le paradoxe étant que le prix à payer pour plus d'allocations de l'État est un pouvoir d'achat réduit.

La contradiction saute aux yeux, car tandis que le Trésor public semble encourager une conjoncture inflationniste, l'on peut s'interroger sur la pertinence du nouveau cadre de politique monétaire de la Banque centrale. En effet, si la Banque de Maurice vise un taux d'inflation de 3,5 % à moyen terme, cela semble être un défi.

L'un des outils utilisés par la Banque centrale pour ralentir l'inflation est le taux d'intérêt. Comme nous l'avons vu, le taux directeur, qui est maintenu à 4,5 % depuis décembre 2022, entraîne une augmentation du coût de remboursement des dettes. La logique derrière cet outil est que l'augmentation du fardeau de la dette ralentit la consommation et réduit la liquidité sur le marché.

Parallèlement, le marché des obligations, avec des rendements plus attractifs sur les bons, réduit également la liquidité sur le marché. Selon la loi de l'offre et de la demande, l'objectif est donc de rétablir l'équilibre entre les devises et la roupie sur le marché afin de stabiliser la roupie et, par conséquent, de réduire l'inflation.

Cependant, plus d'allocations sociales entraînent inévitablement une augmentation de la liquidité sur le marché, ce qui augmente la probabilité que la roupie continue de se déprécier ou du moins ne se rétablisse pas facilement. Résultat, une inflation persistante et un contexte peu navigable pour une politique monétaire efficace sur le moyen terme. En même temps, alors que le nouveau cadre de politique monétaire est effectif depuis le 16 janvier, ce n'est que le 15 juin que le comité se rencontrera à nouveau, ce qui ne s'est pas fait depuis décembre 2022, cela alors qu'il est censé se réunir chaque trimestre. Comprenne qui pourra !

Un autre point intéressant est que bien que les dépenses de l'État augmentent d'une année financière à l'autre, le ministre des Finances mentionne un déficit budgétaire, les revenus par rapport aux dépenses, de 2,9 %, soit 1 % de moins que l'année précédente. Il est clair que les seuls revenus provenant de la taxe ne peuvent pas expliquer cela.

Cette question est clarifiée par Anthony Leung Shing dans son analyse post-budgétaire. Selon lui, le Budget continue de s'appuyer sur les fonds spéciaux comme une source importante de financement. Pendant la pandémie, plus de Rs 55 milliards ont été transférés aux fonds spéciaux pour des programmes de soutien liés au Covid-19.

Cependant, en raison des retards dans la mise en oeuvre des projets, Rs 31 milliards sont disponibles, dont Rs 24 milliards doivent être dépensées dans le cadre du Budget de cette année pour des projets d'infrastructures, entre autres. Ainsi, on a Rs 24 milliards provenant des fonds spéciaux qui sont simplement transférés au Consolidated Fund pour financer les projets, ce qui réduit le déficit budgétaire. Aussi, l'Appendix E du Budget 2023-2024 prévoit que la dette étrangère pour le financement du budget devrait passer à Rs 12,3 milliards contre Rs 8,4 milliards pour 2022-2023.

Soyons clairs. Oui, les mesures sociales du Budget 2023-2024 seront une bouffée d'air frais pour les ménages sur le court terme. Cependant, la conjoncture difficile persistera, car le coeur du problème affectant les consommateurs reste présent, c'est-à-dire, les Mauriciens auront un peu plus de liquidités pour subvenir à leurs dépenses, mais les dépenses resteront élevées pendant longtemps.

Il est donc important d'évaluer la progression des autres secteurs qui génèrent des revenus, tels que les exportations, les services financiers et le tourisme, pour équilibrer l'augmentation des dépenses de l'État. Finalement, peut-on vraiment parler de bénéfices pour ceux au bas de l'échelle sur le moyen et long terme ? À voir...

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