Sénégal: Après les émeutes, la guerre de la com

Wal Fadjri, quotidien d'informations publié par le groupe Walf

Une semaine sans violence ! Le Sénégal retrouve ses esprits dans une timide reprise des activités courantes. Vendredi dernier, le ministère de la Communication a annoncé le rétablissement des réseaux sociaux, tandis que le gouvernement au grand complet a pu tenir un Conseil des ministres à l'issue duquel le président Macky Sall s'exprimait pour la première fois sur les graves émeutes qui ont affecté le pays fin mai et début juin. A cette occasion, il a regretté ces "graves violences", qu'il a qualifiées d'attaques contre les institutions et la nation sénégalaises, et demandé des "enquêtes immédiates et systématiques."

En attendant les résultats de ces enquêtes qui, on l'espère, ne seront pas une Arlésienne, la polémique fait rage sur le nombre de victimes des dernières émeutes et surtout sur qui en est responsable. En effet, si dès le 5 juin le bilan officiel faisait état de 15 victimes, des sources indépendantes sénégalaises annonçaient 19 morts le 8 juin alors qu'Amnesty international en dénombrait 23 dans son communiqué du 9 juin. Alors, le bilan officiel sera-t-il revu à la hausse ? D'autres sources viendront-elles infirmer ces chiffres ?

Contradiction sur le bilan des pertes en vie humaine et controverse sur les responsables de ces tueries, c'est dans cet embrouillamini d'annonces que le Sénégal reste dans l'attente des conclusions du "Dialogue national" qui n'en est pas un, et suspendu à la promesse du président de s'adresser à la nation à la clôture de ces assises. Aux batailles dans la rue entre forces de l'ordre et manifestants qui firent rage les 3 premiers jours de juin succède donc la guerre de la Com pour savoir qui est responsable des 15 à 23 macchabées ramassés sur le macadam après les émeutes des 1er, 2 et 3 juin derniers.

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C'est la police nationale sénégalaise qui, la première, fit feu dans cette guerre des com. En effet, dès le 4 juin, au cours d'une conférence de presse dont elle n'est pas coutumière, sa hiérarchie, plusieurs vidéos à l'appui, montrait des hommes armés en civil faisant feu contre des manifestants. C'est une preuve irréfutable, selon ces autorités policières, que les croquants de l'opposition avaient en leur sein des casseurs armés qui ont commis des meurtres avec l'intention d'en faire porter le chapeau aux forces de l'ordre. Mais preuves irréfutables contre preuves irréfutables, des internautes publièrent d'autres vidéos où l'on voyait des hommes armés en civil débarquer de plusieurs pick-up aux lieux des émeutes et des journalistes témoignent avoir vu des jeunes au siège du parti au pouvoir y recevoir de l'argent.

Dans la même logique, le 8 juin, le Parti des Africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la solidarité (PASTEF) d'Ousmane Sonko, dans une réponse du berger à la bergère à l'adresse de la direction de la police sénégalaise, organisait une conférence de presse au cours de laquelle il publiait une vidéo où l'on voyait des hommes armés en civil aux côtés des forces de l'ordre en mouvement pour disperser des manifestants. Commentant cette vidéo compromettante intitulée « Les nervis en toute complicité avec les forces de police », le porte-parole du PASTEF s'interroge et avec lui tout le Sénégal, voire au-delà : « S'il s'agit de forces de l'ordre en civil, alors qu'ils [les autorités] nous disent qui tire. S'il s'agit de nervis ou d'étrangers infiltrés, il faudra qu'ils nous disent pourquoi ils sont mêlés à la police sans qu'il ne leur soit rien dit ». Amnesty international est allé dans le même sens quand il déclare avoir constaté la présence d'« hommes armés, habillés en civil, aux côtés des forces de l'ordre ».

On le voit bien, vidéos contre vidéos, conférences de presse contre conférences de presse, communiqués contre communiqués, bilan des victimes contre bilan des victimes, aux batailles dans la rue a succédé la guerre de la com. et c'est la vérité qui en prend un coup. Certes il est moins macabre que les cadavres de manifestants, mais cela est aussi peu rassurant sur le fait que l'accalmie actuelle va se transformer en paix sociale durable au pays de la Teranga.

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