Afrique Centrale: Mort de l'opposant John Fru Ndi au Cameroun - Trois décennies d'opposition et d'occasions manquées

Ancien militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC au pouvoir), devenu irréductible pourfendeur du régime de Paul Biya quand il s'est révélé aux observateurs dès les années 1990, le leader du Social democratic front (SDF) quitte la scène politique à pratiquement 82 ans, sans avoir été ni député, ni président de la République. Ce n'est pourtant pas faute de s'y être essayé.

Il était dit qu'il ne succéderait pas au président Paul Biya à la tête de l'État. Lui, Ni John Fru Ndi, « opposant historique » au régime en place depuis 1982, tribun au poing levé, scandant sur les estrades, comme un mot d'ordre fétiche, son fameux « Biya must go » (« Biya doit partir », NDLR), et rêvant de s'installer au palais de l'Unité. Avant de s'accommoder sagement des revers électoraux successifs.

Octobre 1992, le président du SDF, lancé le 26 mai 1990 à Bamenda (région anglophone du Nord-Ouest), dans le sang, les larmes et le deuil, se présente à l'élection présidentielle sous la bannière de l'Union pour le changement, un regroupement de forces politiques hostiles au système gouvernant, qui compte aussi sur nombre d'intellectuels, dont Célestin Monga, Maurice Kamto, Charly Gabriel Mbock, Siga Assanga ou Tazoacha Asonganyi.

Il se voit déjà au palais présidentiel d'Etoudi, selon les chiffres compilés par ses équipes qui lui attribuent la victoire avec 38,58 % des suffrages, contre 36,93% à Paul Biya, candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Mais la Cour suprême, s'appuyant sur ses propres statistiques, vient ruiner ses espoirs, en déclarant le porte-étendard du RDPC vainqueur, fort de 39,97 % des voix, devant Fru Ndi, crédité de 35,9% de l'électorat mobilisé.

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La polémique qui s'ensuit, sur fond de contestation et de rejet réciproques entre les camps des deux leaders politiques, est soutenue par des manifestations de rue des partisans de l'Union pour le changement, qui revendiquent « la victoire volée » et doivent affronter les forces de l'ordre pendant de longs mois. Elle finit par faire reléguer au rang de détail un marqueur important de la trajectoire politique du John Fru Ndi : alors membre du Rdpc, il avait brigué, sans succès, un siège de député à l'Assemblée nationale lors des législatives de 1988.

Le rendez-vous manqué de 1992

En tout cas, au plus fort de la contestation du régime en place, nombre d'observateurs lui prédisent, si ce n'est une victoire, du moins un score honorable aux toutes premières élections législatives de l'ère multipartite sous Paul Biya, en mars 1992. Le parti de Fru Ndi décide pourtant de ne pas prendre part à cette compétition électorale. Trois décennies plus tard, cette option n'a pas cessé d'alimenter des controverses sur sa pertinence, y compris dans les rangs du SDF.

Même questionnement pour l'élection présidentielle d'octobre 1997, que boude également John Fru Ndi, aux côtés du reste de l'opposition, à travers un « boycott actif ». Initié par Bello Bouba Maïgari, le président national de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), ce mouvement, mené sous le slogan « no good laws, no election » (« pas d'élections, sans bonnes lois », NDLR), est rallié par le SDF et l'Union démocratique du Cameroun (UDC) d'Adamou Ndam Njoya. Résultat : Paul Biya l'emporte haut la main, avec 92,57%, devant Henri Hogbe Nlend de l'Union des populations du Cameroun (UPC), qui totalise 2,50%.

L'histoire aurait-elle pu s'écrire autrement pour l'intrépide opposant au régime s'il avait participé aux législatives de 1992 et à la présidentielle de 1997 ? Rien ne le dit. Le chairman du SDF se présente tout de même aux élections présidentielles de 2004 et 2011, mais il s'en tire avec les scores de 17,4% et 10,71% respectivement, selon les données officielles...

De nombreux chantiers inachevés

Ni député, ni président de la République, John Fru Ndi, s'est, de son vivant, contenté d'être considéré, pendant de longues années, comme un opposant irréductible du régime, même en l'absence d'un statut formel et institutionnel de l'opposition. « Doté d'un incontestable charisme aux premières heures du SDF, Fru Ndi a marqué l'histoire récente du Cameroun par son courage et sa témérité, grâce auxquels il a pratiquement imposé son parti à l'administration et accompagné par là-même et, de manière décisive, le processus de restauration du multipartisme au Cameroun », analyse le politologue Fabien Nkot, dans son Dictionnaire de la politique au Cameroun, ouvrage de référence, paru aux Presses universitaires de Laval en 2018.

Mais en plus de ses échecs électoraux, l'opposant laisse derrière lui nombre de batailles perdues et de chantiers politiques inachevés. Au plan institutionnel, sa formation politique n'est pas parvenue à faire admettre au régime en place, la nécessité de la création d'une Commission électorale nationale indépendante (Céni), considérée comme seule capable d'organiser des élections transparentes. Cette dernière fut pourtant l'objet de revendications insistantes, de manifestations de rue, de discussions ouvertes en 1997 au lendemain de l'élection présidentielle avec le RDPC, et qui n'ont abouti à rien.

Quant au SDF désormais orphelin de son chairman, il peine à convaincre de son implantation nationale, confiné qu'il est dans le Nord-Ouest, le Sud-Ouest, le Littoral et l'Ouest, tout en faisant face à l'érosion de ses positions au fil des scrutins. Selon les statistiques officielles, le nombre de sièges du SDF à l'Assemblée nationale est passé de 43 à 5 entre 1997 et 2020, tandis que le nombre de municipalités sous son contrôle a connu une chute spectaculaire, de 61 en 1996, à quatre au terme des municipales de 2020.

Enfin, le SDF continue de faire face à des conflits internes, que Fru Ndi n'a pas pu juguler de son vivant. Depuis de longs mois, le « Groupe des 27 », qui rassemble des cadres historiques se réclamant du « SDF originel », soupçonnés d'être proches du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC de Maurice Kamto), ne se privait pas de contester des prises de position des protégés du chairman, accusés de compromissions avec le régime.

Exclus du parti selon une procédure dont ils contestent la conformité aux textes de base, les membres du « G 27 » ont dû saisir la justice, qui n'a pas encore vidé le dossier. Le Congrès, instance de décision suprême du parti, dont la tenue est prévue pour le mois de juillet, sera-t-il l'occasion de recoller les morceaux ? Ce serait peut-être un ultime hommage à John Fru Ndi.

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