Afrique: Démocratie en Afrique - Et Macky Sall devint aussi un drogué du pouvoir

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Dans un de ses célèbres discours prononcés en terre africaine, le président américain Barack Obama avait donné son avis sur l'avenir démocratique de l'Afrique. Pour lui, l'Afrique n'avait pas besoin d'Hommes forts mais d'institutions fortes. Seule cette partie de sa phrase avait été retenue et non la seconde qui précisait grosso modo ceci : J'aime beaucoup mon travail ; j'aimerai bien continuer mais la Constitution américaine me l'interdit. Je ne peux donc plus être candidat pour un troisième mandat à la tête de l'Etat américain. Il apparait ainsi qu'il n'y a pas d'institutions fortes sans Hommes qui les respectent et au travers desquels elles puisent leur force. Les institutions fortes ne tombent pas du ciel. Elles se construisent grâce à des Hommes qui les sacralisent et leur permettent d'être des normes inviolables et/ou des totems qui s'imposent à tous sans aucune discussion possible.

De quels types d'Hommes forts avons-nous besoin en Afrique ?

Il faut donc aussi entendre l'Homme fort dans un autre sens. Nous en avons retenu un seul. Celui qui en fait le plus violent des violents, le dictateur du coin, le président à vie ou l'auteur du dernier coup d'Etat dans un pays africain. L'Homme fort, dans l'histoire des lois et des institutions républicaines, est celui qui construit, par son autorité, son leadership et son sens aigu de l'Etat et de la chose publique, la sacralisation des institutions, des lois et de leurs esprits au point d'en faire des normes au-dessus de tout le monde, des types idéaux historiques partagés et respectés de tous. Pour que Barack Obama s'en aille sans discuter après ses deux mandats, pour qu'Emmanuel Macron ne pense même pas une seule seconde à un troisième mandat, il a fallu que des Hommes forts au sens noble de ce terme installent et respectent ces dispositions constitutionnelles avant eux. La démocratie c'est donc aussi des leaders politiques qui lèguent un héritage démocratique de nature comportementale aux générations futures chargées de poursuivre la quête de la perfection d'un processus démocratique jamais achevé. La démocratie c'est à la fois une histoire de son processus et sa continuation en s'appuyant sur ladite histoire.

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Le déficit démocratique des Etats africains n'est donc pas seulement la résurgence des coups d'Etats militaires, le truquage des élections, la présidence à vie, les normes importées et le communautarisme qui prend le pas sur les règles constitutionnelles. C'est aussi et surtout le fait que ceux qui sont au pouvoir ne laissent pas un héritage démocratique de nature comportementale aux sociétés africaines et aux jeunes générations. Pire, lorsqu'ils trouvent cet héritage démocratique en place comme c'est le cas de Macky Sall au Sénégal, les présidents africains s'évertuent à le saborder afin que triomphe l'Homme fort au sens de dictateur, de président à vie et d'autocrate. Jamais l'Homme fort au sens de celui qui installent les institutions au panthéon des choses sacrées ne courent les rues en Afrique. L'espèce politique la plus rare en Afrique est le leader politique avec de la grandeur au sens noble du terme. En suivant Winston Churchill, je dirai qu'on ne trouve pas d'Hommes d'Etat en Afrique car aucun d'eux ne pense plus aux générations futures qu'à la prochaine élection et à son maintien au pouvoir. Les Africains qui ont pris le pouvoir en écrasant tout le monde et en tuant pour y rester par des guerres ou des révisions constitutionnelles sont légion dans ce continent. Ceux qui ont fait des réformes constitutionnelles pour des effets sociétaux bénéfiques au-delà de leur petite personne sont rarissimes pour ne pas dire introuvables.

Le pouvoir comme drogue dure : Le Crack des président africains

Lorsqu'on voit ce qui se passe dans presque tous les pays africains, on se rend compte qu'il est difficile d'avoir des institutions fortes sans Hommes d'Etat, sans des Hommes dont le comportement est irréprochable par rapport aux normes en vigueur dans leur pays et notamment par rapport à la norme fondamentale. Nous savions, suivant Karl Marx, que la religion est l'opium du peuple. Nous ne savions pas que le pouvoir exécutif est le Crack des leaders africains à la tête de leurs Etats. C'est à dire une drogue dure qui se manifeste par le fait que les présidents africains en exercice perdent complètement le backup de leurs déclarations pro-démocratiques lorsqu'ils souhaitaient accéder à la magistrature suprême. Le pouvoir exécutif comme Crack en Afrique, c'est-à-dire comme une drogue dure, fait que les leaders politiques africains sont tous démocrates avant d'être présidents et tous dictateurs dès qu'il faut respecter la limitation du nombre de mandat autorisés par la Constitution. Cette attitude montre ô combien ils redoutent de retrouver la vie ordinaire que mènent au quotidien leur peuple. Conséquence, la limitation du nombre de mandats à la tête de l'Etat n'est plus un problème que pour leurs prédécesseurs. Elle devient une mauvaise chose pour leur pays dès qu'ils sont au pouvoir. Raison pour laquelle ils sortent leurs griffes pour balafrer la Constitution de façon à faire disparaître les maudites lignes qui parlent de cette limitation. De là un grand paradoxe : On ne voit jamais les griffes, les dents et les boulets de canon des présidents africains lorsque des Africains sont au chômage, meurent par milliers dans le ventre de la Méditerranée, sont faits esclaves ou tout simplement sont chassés d'autres pays africains happés par la xénophobie populiste. C'est uniquement lorsqu'ils veulent garder le pouvoir qu'on se rend compte que ces présidents ont des instruments de pouvoir et des moyens d'action. Ce n'est que lorsqu'ils tuent leurs peuples pour le pouvoir que ces leaders existent. Comme Paul Biya, Ouattara, Idriss Déby, Téodoro, Omar Bongo, Bouteflika, Paul Kagamé et bien d'autres qui ont modifié la Constitution pour rester au pouvoir, Macky Sall montre qu'il est du même sang, de la même espèce politique, de la même médiocrité. Il n'est pas le dernier car, le mathématicien Faustin-Archange Touadéra pense déjà aussi les suivre en organisant son appel du peuple à la modification de la constitution centrafricaine.

Non Macky Sall n'est pas différent de Wade. Il est pire que lui car Wade n'a pas fait des promesses intempestives de respecter la Constitution sénégalaise. Paul Biya, dans ce domaine, n'est pas mieux qu'Ahmadou Ahidjo. Il est pire que lui car il a moins respecté la Constitution camerounaise que le premier président camerounais qui lui passa le pouvoir suivant les modalités prévues par ladite Constitution. Ouattara n'est pas meilleur qu'Houphouët Boigny. Il est plus médiocre en termes de grandeur républicaine car il a renoncé à quitter le pouvoir après un deuxième mandat parce que celui qui devait être sa duplication au pouvoir avait trouvé la mort. Idriss Déby n'était pas une avancée par rapport à Hissène Habré car il avait accepté, d'après ses propres déclarations, que la France vienne modifier la Constitution tchadienne qui le maintint à la tête du Tchad où il mourut. Les leaders africains au pouvoir sont donc actuellement le pire problème démocratique de l'Afrique. Tous ces chefs d'Etat et bien d'autres sont aidés dans ce macabre rôle par l'élite intellectuelle africaine, notamment juriste. Ce ne sont pas des paysans, des vendeurs à la sauvette, des chômeurs, des taximen ou des étudiants africains qui changent les constitutions en Afrique pour les troisièmes mandats, mais bien l'élite africaine constituée de juristes de haut vol ayant fait de brillantes études dans ce domaine. Qui sortira donc les peuples africains de la caverne lorsque les intellectuels qui doivent être les éclaireurs desdits peuples participent activement à les transformer en pâte politique à modeler pour les Hommes forts au pouvoir ? Depuis la fin de la période des pères des indépendances, les dictatures africaines sont construites et nourries par les Hommes les plus éclairés de ce continent. Cela laisse croire que les colons ont juste changé de couleur et d'origine.

Que faire ? Quelle attitude avoir ?

La rue sénégalaise sur laquelle misait Macky Sall lui-même avant qu'il ne devienne un drogué du pouvoir, réagit très bien. Elle préserve un héritage démocratique de nature comportementale et institutionnelle que le président sénégalais veut liquider sans vergogne et à peu de frais. La rue sénégalaise paie le prix de sa liberté via des citoyens qui tombent sous les tirs à balles réelles des forces abusivement appelées de l'ordre. C'est l'occasion de rappeler aux peuples africains que d'autres peuples, ailleurs dans le monde, ont payé le prix pour que leurs constitutions deviennent sacrées. Il ne faut pas seulement qu'il existe des Hommes forts au sens de ceux qui ont une grandeur noble dans le respect des règles de vie pour que des institutions fortes naissent. Il faut aussi des peuples forts, c'est à dire capables, comme le peuple sénégalais, de dire non. Il faut des peuples prêts à en payer le prix afin que la morale publique, le respect de la parole donnée et le respect de la norme fondamentale deviennent un réflexe pavlovien dans tout pays africain et de la part de tout leader politique africain. Seuls les peuples africains qui se comportent comme le peuple sénégalais peuvent, non seulement discipliner les dirigeants africains en les désintoxiquant de l'exercice du pouvoir comme consommation continue de crack, mais aussi en faisant revenir à la raison les intellectuels qui se transforment en séides et hommes liges des dictateurs pour triturer les constitutions africaines afin de satisfaire des intérêts corporatistes.

La morale publique à construire en Afrique passe donc au moins par trois principes. Le premier est d'orienter les Etats africains dans le sens d'un ensemble de structures qui sont moins au service des chefs d'Etat en place que du bien-être des sociétés africaines. Cela aurait permis à la justice sénégalaise de ne dire que le droit à l'endroit d'Ousmane Sonko et, ainsi, de protéger la société sénégalaise des troubles causées par le sentiment populaire d'une justice aux autres de Macky Sall. Après avoir été aux ordres du mêmes Macky Sall et de ses intérêts politiques, les forces de l'ordre ont retrouvé ce reflexe républicain d'être des forces encadreuses et protectrices des citoyens sénégalais et non des intérêts politiques individuels. Le deuxième principe est dépendant du premier. Une fois que l'Etat redevient le garant de l'intérêt général, le respect des règles établies pour la vie commune et l'organisation politique de la société politique doit s'installer comme une norme comportementale indiscutable auprès de tous les citoyens.

Enfin, un Etat dans son rôle de garant de l'intérêt général et des normes devenues sacrées induisent obligatoirement le troisième principe qu'est la responsabilité de ceux qui incarnent le pouvoir exécutif. Ce pouvoir est en fait celui du peuple encadré par les règles et incarné par l'Etat et celui qui le dirige. Si l'Afrique politique est en carence d'Hommes forts au sens noble de ce terme, les peuples africains doivent en construire. Avoir des institutions fortes ne se fait pas sans peuples forts et conséquents car un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre quand un peuple qui prend sa place dans l'histoire et le destin politique de son pays remet tout en place et à son service.

Economiste, prof. Université Catholique de Louvain (UCL)

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