Cameroun: Priscilya Manga dit Nysha une jeune auteure qui monte

C'est la troisième fois que je lis ce recueil de nouvelles écrit par Priscilya Manga, qui se fait aussi appelée NYSHA. Cette jeune auteure camerounaise fait ses études en Algérie. Son recueil de nouvelles s'intitule « ET SI. » Pour le lecteur impatient, il peut s'étonner de voir qu'un autre écrivain s'attarde à lire un recueil de nouvelles avec autant d'attention. C'est tout simplement parce que c'est un écrit solide.

Tout recueil de nouvelles qui se veut majeur marque le point dès la première nouvelle. A la première phrase, on sent comment le texte prend place. Dans « ET SI », on voit la nouvelliste avancer dans un souci de variétés où elle brosse un vaste tableau de maux insupportables de nos sociétés africaines en particulier.

La première nouvelle pourrit l'atmosphère avec cette histoire de viol dont Dalida en est la victime. Dalida, jeune fille de 15 ans, voit atterrir son beau-père dans sa chambre alors à 2h de la nuit. « Dalida, c'est moi, ouvre la porte. » Ce qui importe ici, c'est le style qui s'y dégage. Priscilya utilise le fantastique comme dans un cruel classique où le réalisme de l'écriture émerveille.

La lecture laisse une vive impression de surprise. Le lecteur peut facilement se déconcerter et se désorienter, parce qu'on se croirait dans un essai qui décrit sociologiquement les êtres. L'histoire est dramatique, mais il y a du charme dans l'écriture. Le charme naît du rythme, un rythme qui va et vient, comme chez Rousseau dans les confessions.

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Plus l'histoire nous fait mal, plus on a envie de lire. La première nouvelle a donné le ton du livre, au coeur d'un fait social récurrent, enchanté par la musique des mots, qui passe et repasse dans ce drame ambigu qui contraste avec l'éclatante beauté de l'écriture.

J'ai un respect pour les beaux textes. C'est ce respect qui préside aussi à l'ouverture de la seconde nouvelle. L'histoire de Muna, cette guinéenne extrêmement noire qui fait l'objet de raillerie de la part de ses camarades. « La Noiratta » qui déclare « Au début je ne me sentais pas différente des autres. » voilà une introspection gênante qui nous touche tous lorsqu'une africaine se rend coupable, au lieu de s'affirmer, elle se « victimise » d'être noire, et par-delà renie sa race et ses parents.

Ce complexe amène la fille à se décaper la peau afin de se faire accepter. Nous sommes ici en un mode mélancolique, où le problème de race fait fortune galante pour certaines qui veulent à tout prix ressembler à l'autre, au lieu d'être fière d'elles. Ici les personnages divisés entre leur bonne aventure rencontrent leur correspondance dans la nature. Le rythme de la troisième strophe est désormais un rythme assis. Ici, les mots sonnent comme les vers d'un poème en alexandrin, puis s'entrechoque dans un balancement symétrique.

La troisième nouvelle, évoque l'histoire de la dot dans la région du centre du Cameroun. Deux tourtereaux vont voir leurs fiançailles se dissoudre à cause de la surenchère de la belle-famille qui en exigeait trop du fait de leur statut de résidants français.

Ici Priscilya fait un enjambement syntaxique, dans cette nouvelle qui traduit toute la tristesse du monde ; on perçoit son intuition avec dans les sonorités poétiques. Sans oublier le jeu de ses allitérations des rimes intérieures, des déplacements d'accents, des reprises mélodiques, inimitables, dans sa virtuosité. NYSHA a le pouvoir d'éveiller en nous le drame et la rêverie.

Un amour brisé par d'autres personnes sans pitié qui ne regardent que leur intérêt, vont faire vivre une désolation à deux jeunes éperdument amoureux. Le comportement des familles ici devient l'incarnation d'un crime, l'inconscience de la société africaine, du caprice criminel, la société africaine à certains moments, nous offre des personnages insouciants, dont la danse échevelée à l'accueil ne traduit que de la volonté de nuire.

Un monde incertain quand il s'agit de fiançailles. Le texte, traduit-il toute l'évolution psychologique de l'auteur dans sa conception de la liste ? « Vous en demandez trop ». « Notre soleil de Midi a fait de grandes études, elle est belle et intelligente. » Les réponses de la belle-famille « vous êtes en train de vendre votre fille. »

Voilà en quelques mots la fantaisie la plus débridée, l'insouciance d'antan retrouvée dans la dérision. Le passé est enterré au profit des biens matériels ? Le constat est amer, quand on continue la lecture des sept autres nouvelles, il y a toujours ce mélange d'ingénuité et de perversité câline. Sa fracture littéraire laisse transparaître les souffrances de nos sociétés comme si elle voulait exorciser, par-delà les listes noires.

L'image trop chère de nos fiançailles, qui s'augmente de jour en jour ; ces multiples expressions temporelles nous invitent à apercevoir que les nouvelles dans son ensemble sont celles d'une réflexion sur le temps et le phénomène de mémoire. Je ne me suis pas arrêté à trois nouvelles, car commenter un texte littéraire, c'est faire un ensemble de remarques sur la pensée et l'art de l'écrivain ; il s'agit d'expliquer à ma façon, pourtant l'originalité, la force et la beauté du texte, a une dimension variable.

Les jeunes d'aujourd'hui savent pourquoi ils écrivent, il y a des maux dans nos sociétés à détruire pour le rayonnement de l'humanité. NYSHA est une auteure que j'aime relire avec plaisir, je la suis de manière assidue depuis qu'elle a publié ses premières nouvelles, alors qu'elle débute tout juste sa carrière. A présent il faut laisser l'oeuvre s'épurer comme on laisse dans un coin un bon vin avant de le déguster. Autre article sur Nasha https://o-trim.co/bhy

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