Burkina Faso: « Appel à incendie palais du Moogh-Naaba » - Rendez-vous le 7 juillet pour le délibéré

Le passage à la barre dans l'affaire dite « appel à incendie du palais du Moogh-Naaba » a pris fin le week-end écoulé, précisément le samedi 24 juin 2023. Après avoir donné la latitude à toutes les parties de s'expliquer, les juges du tribunal de grande instance Ouaga I en charge du dossier ont pris rendez-vous avec les prévenus, le 7 juillet prochain pour le verdict. Mais avant cette annonce, la partie poursuivante a requis 5 ans de prison ferme contre Marcel Tankoano, Alain Traoré alias Alain Alain, Lookmann Sawadogo, Abdoul Karim Baguian dit Lota, Karim Koné, Boukary Conombo, Boukary Tapsoba et Désiré Guinko. A ces peines d'emprisonnement individuelles s'ajoutent des amendes individuelles. En dehors de Marcel Tankoano qui doit payer une amende de 10 millions de francs CFA, le procureur a demandé au tribunal de condamner les autres prévenus à payer 5 millions de F CFA d'amende. Quant à Souleymane Bélem, le seul prévenu qui n'était pas sous mandat de dépôt, il a été requis contre lui 6 mois de prison suivi d'un mandat de dépôt.

A l'audience du vendredi 23 juin dernier, les débats ont porté sur les pièces à conviction détenues par le parquet. Ces pièces sont essentiellement les messages, vidéos et audios téléphoniques que les prévenus ont échangés entre eux. Si Alain Traoré, alias Alain Alain, Lookmann Sawadogo, Pascal Zaida n'ont pas trop tiré sur la paternité des contenus, Abdoul Karim Baguian dit Lota ne se reconnaît pas dans les textos. Selon Lota, son téléphone a été manipulé afin de le confondre donc ce que le ministère public appelle expertise téléphonique n'en est pas une. « On pique mon téléphone durant deux mois et on parle d'expertise. De quelle expertise vous me parlez ? », s'est-il offusqué. Et de poursuivre en signifiant au tribunal que depuis l'enquête préliminaire, le juge d'instruction ne l'a jamais mis face aux audios. Mieux, souligne-t-il, les audios ne sont pas son mode de communication préféré. « Monsieur le président, ceux qui ont l'habitude d'échanger avec moi savent que je n'aime pas les audios».

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Pour donner de la force à ses arguments, Lota a attiré l'attention du président du tribunal sur une conversation qu'il aurait eue avec l'activiste, Aminata Rachow. Dès le début des échanges, il est écrit « Bonjour mon frère... ». Sachant très bien que son interlocuteur est une dame, Lota nie avoir commis une telle bourde. « Monsieur le président, cette expertise est une invention. C'est purement du copier-coller pour salir mon image », insiste-t-il. Une ligne de défense qui visiblement met mal à l'aise le parquetier. Agacé, le ministère public a invité le prévenu à formuler une demande de contre-expertise en bonne et due forme qui suivra le circuit normal au lieu de passer son temps à tout balayer du revers de la main. « Cette coquille que nous avons laissé passer expressement est la preuve que nous n'avons pas manipulé les messages. Nous les avons gardés tels quels », précise le parquetier. Lota qui n'entend pas entreprendre une démarche de contre-expertise a souhaité que le tribunal émette des doutes sur la véracité des échanges. Et comme le doute profite à l'accusé, il pourra se tirer d'affaires.

S'il y a une déclaration qui a fait le tour des réseaux sociaux au cours de cette audience, c'est celle attribuée au chroniqueur Alain Alain. Dans une conversation avec Lota, il dit ceci: « Ce capitaine est très bête et sanguinaire. Il est capable de tuer pour garder son pouvoir». Appelé à s'expliquer sur ces propos, le chroniqueur n'a pas fait dans la langue de bois. Il a assumé. Voici sa défense : « Oui, j'ai effectivement tenu ces propos. C'est mon point de vue sur la situation nationale que je partageais avec un ami dans une conversation privée. Aujourd'hui, c'est le procureur qui rend publique cette affirmation. Pas moi. Il y a un proverbe bien connu de chez nous qui dit que celui qui rapporte les injures au chef est la personne qui l'a injurié.» L'assistance éclate de rire. Et comme d'habitude celui qui a la police des débats a réclamé le silence.

Des conversations entre Marcel Tankoano, Lookmann Sawadogo, Alain Alain, Lota, Pascal Zaida ; le ministère public retient que le profil des personnes contactées par les prévenus à savoir, les hommes politiques, les leaders d'OSC (Organisation de la société civile) est un cocktail nécessaire pour déstabiliser un régime. Il est clair, selon la partie poursuivante, que ceux qui sont à la barre aujourd'hui avaient comme objectif l'instauration d'une nouvelle transition inclusive. D'ailleurs, poursuit le ministère public, un d'entre eux, en l'occurrence Lookmann Sawadogo n'a pas caché son souhait de voir naître une transition dont le numéro 1 sera un civil secondé par un militaire.

Un procès, c'est aussi le défilé des témoins qui témoignent à charge ou à décharge. L'unique témoin à passer à la barre ce jour n'a pas fait de cadeau à Marcel Tankoano. Zakaria Tagnan, puisque c'est de lui qu'il s'agit a toujours dans son téléphone, les messages et vidéos partagés avec Tankoano. Le 2 mai 2023 alors que le prévenu avait promis de lui envoyer des vidéos pour diffusion, Tagnan est venu aux nouvelles en ces termes : « Ce n'est pas balancé ? Ce n'est pas balancé ? ». Et le président du M21, Tankoano de l'inviter à jeter un coup d'oeil sur son whatsApp parce que c'est fait. Le militant de la société civil nie tout en bloc. Sauf que celui qu'il avait qualifié de Judas lors d'une audience précédente avait toujours toutes leurs conversations dans son mobile.

Le temps restant de la journée de travail ne permettant pas au procureur de prendre ses réquisitions et aux avocats de la défense de plaider à sa suite la cause de leurs clients, l'audience a été renvoyée au lendemain samedi 24 juin.

Ce n'est pas tous les jours que le public assiste à une audience au TGI Ouaga I un samedi. Nous sommes dans le dernier carré avant le verdict de cette affaire. Après les réquisitions du parquet (voir encadré), le tribunal a accordé une vingtaine de minutes au collectif d'avocats de la défense pour préparer sa plaidoirie. A la reprise, Me Bicaba est le premier à se jeter à l'eau. Toute sa plaidoirie a consisté à donner la réplique à la demande du parquet portant confiscation des téléphones des prévenus. Me Paul Kéré lui succèdera. Celui-ci a demandé la relaxe de son client, Marcel Tankoano pour infraction non constituée à titre principal et subsidiairement au titre du bénéfice du doute. Ce fut par la suite le tour de Me Guittanga et de son confrère Paré. Tous ont demandé la relaxe de leurs clients. Me Abdoul Latif Dabo prend ensuite la relève. Pour lui, le dossier est vide. Et c'est un procès d'intention qui se tient, à son avis. Mieux, dira-t-il, ces prévenus sont jugés par anticipation. De ce fait, « nous nous inscrivons en faux », a-t-il martélé. Pour lui, l'infraction n'est pas constituée en ce qui concerne ses deux clients : Lookmann et Alain Alain. Par conséquent, il a demandé leur relaxe. C'est aussi l'avis de Me Christophe Birba : « Mes clients sont poursuivis en réalité pour leurs opinions ». Il a plaidé pour la relaxe de ses clients à titre principal et subsidiairement une application souple des peines. L'avocat défend dans ce dossier les prévenus Alain Alain, Lookmann et Conombo. Tous comme lui, les autres conseils de la défense ont demandé la relaxe de leurs clients.

Passé les plaidoiries, le public a assisté à une autre phase qui n'a concerné que les prévenus. Il s'est agi pour le tribunal de donner la chance aux prévenus de s'exprimer, pour ne pas dire se défendre une dernière fois et ce avant d'entrer en délibéré. Marcel Tankoano a, à cette occasion, réaffirmé qu'il n'était mêlé ni de près ni de loin à cette affaire mais aussi qu'il n'était ni le concepteur ni le diffuseur des audios et s'en est remis à la sagesse des juges en charge du dossier. Tout comme lui, Karim Koné, Boukari Conombo, Boukaré Tapsoba et Souleymane Belem ont déclaré s'en remettre à la sagesse du tribunal. « Tout ce que Dieu fait est bon », a dit Pascal Zaïda. Pour sa part, Désiré Guinko est revenu sur un certain nombre de points jugés importants.

Au nombre de ces aspects, il a expliqué qu'il aurait reçu les audios du directeur de l'ANR, le capitaine Oumarou Yabré. Outre cela, il a indiqué au tribunal que son téléphone lui a été restitué par les enquêteurs avec une bonne partie de ses données perdues. Et de formuler le souhait de recouvrer la liberté pour résoudre ce mystère. De son côté, Lookmann Sawadogo a insisté sur le fait que ses échanges avec Lota se sont faits dans le cadre des activités de leur collectif. « Cela n'a rien à voir avec un quelconque incendie du palais du Moogh-Naaba », a-t-il précisé. Et de demander au tribunal de le blanchir totalement. Pour sa part, Lota dit être convaincu que le tribunal va le relaxer car n'ayant rien fait. Pour lui, il a été amené à la barre parce qu'il s'appelle Abdoul Karim Baguian dit Lota. Quant à Alain Alain, il dit avoir confiance en la justice de son pays, car la sachant juste.

Encadré 1 :

Lookmann et Sinon dans la même cellule

Pour montrer au tribunal qu'il n'est pas un partisan de la violence, le journaliste Lookmann Sawadogo a raconté un vécu à la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Selon celui qui est le secrétaire général de l'Appel de Manéga, un regroupement dont l'un des objectifs est la recherche de la paix, quand Mohamed Sinon, l'activiste arrêté parce qu'il aurait remis en cause l'engagement des gendarmes dans la lutte contre le terrorisme, a été déposé à la MACO, il gardait ses distances avec ses codétenus. Le journaliste a confié avoir été le premier à s'approcher du « pro IB » car ayant senti qu'il déprimait. Cette approche aurait porté des fruits puisqu'ils seraient devenus de bons amis. « Je le réveille les matins pour la prière quand je suis debout avant lui et vice-versa », a-t-il narré avant de brandir une écharpe que son « nouveau camarade » lui aurait offerte en guise de cadeau.

Encadré 2 :

Les réquisitions du parquet

L'affaire « Appel à incendie du palais du Moogh-Naaba » tire inexorablement vers sa fin. Dans ce dossier, le procureur a requis contre Marcel Tankoano, qu'il considère comme le commanditaire des audios, 60 mois de prison et une amende de 10 millions, le tout ferme. Il a ensuite demandé au tribunal de condamner Abdoul Karim Baguian dit Lota, Pascal Zaïda, Lookmann Sawadogo, Alain Traoré dit Alain Alain, Boukari Conombo, Karim Koné, Déziré Guinko et Boukaré Tapsoba à cinq ans de prison ferme et une amende de 5 millions chacun. En ce qui concerne le seul prévenu qui comparaît libre dans ce dossier, Souleymane Belem le ministère public a requis contre lui 6 mois ferme avec mandat de dépôt. Il a également requis contre les prévenus la confiscation de leurs téléphones portables. Le parquet ne s'est pas arrêté là ; il a par ailleurs requis contre les prévenus, à l'exception de Lookman et d'Alain Alain, la déchéance de leurs droits civilques d'association.

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