Tunisie: Des mots sur les maux - L'Aïd et l'homme civilisé des villes...

25 Juin 2023

Si Gaston Bachelard propose une connaissance du réel à partir de quatre éléments, notamment le feu, l'eau, l'air et la terre, l'on peut proposer, s'agissant du cas tunisien, une connaissance du réel à partir de la confiance qu'accorde le commun des mortels tunisien à la matérialité.

Là où l'Aïd El Kébir, la plus importante des fêtes musulmanes, approche à grands pas, dans la capitale Tunis comme dans le reste des régions, l'homme civilisé des villes est en situation. Ça grouille de monde dans les souks. Des marées humaines renvoient aux délices du paradis promis, devant et dans les alentours des supermarchés,

Si anthropologues, sociologues et autres penseurs s'accordent sur le fait que la principale fonction de l'homme n'est pas de manger mais de penser, le bipède de chez nous pense être fait pour mordre à belles dents.

Comme dans le reste des villes ou presque, à Kairouan, ville qui abrite plus de 360 mosquées, des centaines de zaouïas, des medressas, des cheikhs et des derviches ivres de leur chasteté, le consumérisme n'a aucune limite.

Partout dans la ville, les files indiennes n'en finissent pas. Dans les quatre coins de la cité, ça crie, ça hurle, ça se bouscule et on en vient aux mains dès lors que «la transe» des masses culmine avec le ciel.

A l'image d'un pays pris à la gorge, d'une société accablée par mille et un maux, à Kairouan comme dans le reste de nos villes, «l'homme est en situation». Anéanti jusqu'à la lie, l'homme civilisé des villes se dessine mieux et devient en un sens chosifié, anéanti, réduit à un animal parlant. Il met à nu ses déboires et le cumul d'une marche à reculons qui n'a fait que l'appauvrir, dans l'acception la plus large du terme.

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A Kairouan, comme dans le reste du pays, il y a des morts-vivants qui se disputent des prunes et des bric-à-brac. Et leur rendu serait digne du théâtre de la contradiction de Bertolt Brecht. Le spectacle quotidien offert par la ville renvoie, du reste, à la misère enveloppant la splendeur d'une ville. Une ville qui fut autrefois un chef-lieu de la civilisation arabo-musulmane embaumant le parfum, la culture et le savoir.

En ces jours de fête religieuse, il n'y a pas de place aux brebis galeuses. Seuls les «esprits saints» se rencontrent dans les zaouïas, coupoles, mosquées, les messjeds et seldjouks (lieux de culte où l'on fait la prière et apprend les préceptes du Coran). Ils prient, causent de la méchanceté des hommes dans l'ici-bas et de ce qui les attend dans l'au-delà, le paradis promis. Sauf que le jour de l'Aïd, ils égorgent le mouton et oublient les miséreux et les nécessiteux.

Ces esprits saints oublient souvent que le fond de l'air est jaune dans leur ville. Peu importe qu'une région entière continue à être le trou noir du développement régional, peu importe que ses responsables locaux continuent à naviguer sans boussole aucune. Les «esprits saints» de la ville pensent avoir réservé une place dans le paradis divin espéré. La ville, qui les abritera, demain, ressemblera à un «grand et magnifique bosquet», un boustane dans un désert d'Arabie. Et le «lit nuptial dans un palais impérial imaginé» fait oublier une pauvreté extrême (29,3%), un taux de chômage de près de 20%, un analphabétisme élevé (35%), un abandon scolaire qui intrigue et inquiète (33,89%), des suicides et viols à répétition et une absence permanente de toute activité culturelle. A Kairouan, chef-lieu des grandes fêtes religieuses, l'état d'un cimetière occupant près de 13 hectares mime la situation de l'homme actuel dans cette ville au passé glorieux.

Un homme qui pense être fait pour manger, qui cultive une grande confiance à la matérialité.

Morale de l'histoire : sans doute, qui ne mange pas meurt, mais «qui ne pense pas rampe, et c'est pire».

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