Cameroun: Ambroise Kom - "Je suis prêt à travailler pour l'UDM demain et après-demain"

4 Juillet 2023

L'auteur de l'ouvrage collectif Plaidoirie dans le désert qui vient de paraître aux éditions des peuples noirs(2023), apporte un autre narratif du Cameroun et de l'Université des Montagnes où il est l'un des membres fondateurs.

Dans l'ouvrage collectif Plaidoirie dans le désert, vous vous assimilez à « un paria conscient » et invoquez des cris de l'impuissance. Qu'est-ce que vous vouliez expliquer de ces alertes ?

J'ai emprunté l'expression « paria conscient » à Nadia Kisukidi, professeur de Philosophie dans une université française, qui l'a utilisée dans un échange qu'elle et moi avons eu au sujet de Fabien Eboussi Boulaga. L'expression caractérise assez bien ce qu'auront été des intellectuels comme Fabien Eboussi Boulaga, Mongo Beti auxquels on peut associer certains autres comme Jean-Marc Ela, Tchundjang Pouemi, Mgr Albert Ndongmo, etc.

Il s'agit des citoyens camerounais qui ont jalousement cru à leur pays et qui pensaient sincèrement pouvoir apporter une contribution significative au développement culturel, économique et socio-politique du Cameroun. Malheureusement, les dirigeants leur ont constamment tourné le dos à défaut de les réprimer, de les faire taire ou de les laisser sombrer dans la misère. Ces individus ont pourtant laissé une somme de réflexions, que dis-je, une bibliothèque, dont on aurait pu au moins s'inspirer dans divers secteurs pour notre développement.

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Malheureusement et dans le meilleur des cas, on leur demandait de leur vivant, de s'aligner, de se renier, d'entrer, s'ils voulaient être reconnus, dans le système de gouvernance en place. Comme vous le savez, il s'agit d'un système de gouvernance dont l'éthique se situe aux antipodes de la vision du monde de ces intellectuels. Ils ont donc, presque tous, préféré vivre en paria, en marginal si vous voulez, plutôt que d'accepter de s'embourber dans un univers qui ne pouvait que les encanailler. Pour mieux comprendre leur drame, il suffit de lire et de méditer nombre de leurs écrits. Ils ne sont pas morts en héros ou en criant leur impuissance sur les toits. Ils ont disparu en parias conscients de leur condition.

De votre retour des Etats-Unis, vous êtes enseignant à l'Université de Yaoundé où vous avez esquivé les cercles du pouvoir, tout en critiquant un certain nombre de pratiques des années 80 et 90. Entre cette époque et aujourd'hui avez-vous vous le sentiment que quelque chose a changé?

Avant d'être professeur à l'Université de Yaoundé, je venais d'Amérique du Nord en effet et j'avais enseigné aux USA et au Canada. Mais je débarque à l'Université de Yaoundé en 1984 après quelques années d'enseignement à l'Université Mohamed V de Rabat au Maroc. Je m'étais installé à Rabat, parce qu'après avoir terminé mes études en France en travaillant en Amérique du Nord, le Cameroun avait initialement refusé de me recruter, enfoncé qu'il était, pour tout dire, dans ses traditionnelles mesquineries.

Lorsque la situation se débloque en 1984, je débarque à l'Université de Yaoundé, nanti de plus d'une dizaine d'années d'expérience d'enseignement et de recherche aux USA, au Canada et au Maroc. Mon ambition était de contribuer à la formation des jeunes dans le même esprit que je l'avais fait ailleurs. Quelques années plus tard, on me demande d'entrer effectivement dans la haute administration universitaire.

Ayant eu l'occasion de voir comment fonctionnait le système en place avec son réseau de mouchardage, de jongleries, je me permis d'expliquer à qui de droit ma compréhension du rôle qu'il me demandait de jouer. Car j'entendais demeurer enseignant d'université et non servir de pion à une espèce de système maffieux que je voyais se tisser autour de moi et dans le réseau institutionnel. Très vite, mon interlocuteur comprit que mon éthique était incompatible avec la mission qu'il voulait me confier.

Oui bien sûr les choses ont changé, énormément. Pas seulement à l'Université, mais sur l'ensemble du territoire. Dans les années 1980-1990, on tenait encore compte de la compétence des uns et des uns avant de leur confier des missions. Chancelier en son temps, Joël Moulen m'avait sollicité pour faire partie de la commission de recrutement et des avancements. Je n'y avais trouvé que des collègues à la compétence avérée et je crois que pour le laps de temps que nous avons siégé, le travail abattu obéissait aux règles de l'art.

Par la suite, j'ai eu l'occasion d'être invité à une des sessions du fameux Comité Consultatif des Institutions Universitaires (CCIU) mis en place après la balkanisation de l'Université de Yaoundé en janvier 1993, sans doute par l'inénarrable Agbor Tabi. J'en ai eu des sueurs froides pour dire le moins et au sortir de là, j'ai jeté l'éponge ! J'espère que les choses ont évolué depuis lors. Car la fabrication des gradés de l'Université ne semblait plus n'avoir aucun rapport avec ce que doivent être les encadreurs des établissements d'enseignement supérieur. De ce point de vue, je crois être un homme du passé, d'une autre époque.

Vous décriez plusieurs situations en l'occurrence, le système éducatif camerounais, raison pour laquelle vous avez participé en tant qu'acteur majeur dans la création de l'UdM. Vous marquez surtout des regrets en assimilant vos pairs/pères fondateurs d'indigènes ? Que dites- vous de ceux qui souhaitent une franche réconciliation entre vous et ceux qui sont encore en vie, avec l'intérêt de remettre l'institution debout?

J'ai eu l'occasion de me prononcer très librement sur la qualité de l'éducation au Cameroun, qu'il s'agisse des enseignements primaires, secondaires ou supérieurs. Le monde global va très vite et son rythme peut se mesurer au vertige qu'on observe sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, chaque pays se positionne sur l'échiquier mondial en fonction des produits de son système éducatif. Il me semble que dans notre pays, on n'en prend pas conscience et l'on croit que nous pourrons jouer longtemps aux assistés pour ne pas dire aux mendiants.

Mais non! Si nous ne soignons pas notre système éducatif, le pays va droit au mur. C'est dans les officines hautement stratégiques que les autres pays pensent et réforment leur système éducatif. C'est un peu dans cet esprit que nous avions créé l'Université des Montagnes, pour faire la différence et pour innover en permanence, en ayant recours à notre diaspora et son réseau de relations. Malheureusement, la mentalité de l'indigénat, justement, nous a rattrapés.

La diaspora et son réseau de relations ont été perçus comme l'ouragan qui voulait tout balayer sur son passage alors que cet apparent ouragan venait certes en force, mais ne cherchait qu'à suggérer un rythme de travail, je veux dire une éthique de gestion et une ouverture constante sur le monde. Les indigènes que nous sommes ont cru voir des envahisseurs. Et comme ladite diaspora débarquait avec pas mal d'argent pour le projet, les indigènes se sont embusqués et ont plongé comme des loups en furie sur le budget de l'UdM. Et c'est en gloutons qu'ils se sont servis. Et depuis lors, nous mangeons y compris les frais de scolarité qui sont censés payer les charges et l'équipement pédagogique.

Réconciliation, qu'est-ce à dire? J'ai travaillé pour l'UdM avant-hier et hier. Je suis prêt à travailler pour l'UdM demain et après-demain. Mais je travaille dans tout projet sur cahier de charges, avec des objectifs à atteindre. Si vous voulez que je jure sur le chien noir qu'au nom de mon appartenance à l'indigénat, je ne serai plus qu'un estomac. On m'a toujours dit que l'institution marchait très bien et se situerait même au peloton de tête des établissements privés d'enseignement supérieur au Cameroun. C'est vrai que le charlatanisme est insondable.

Vous m'apprenez au contraire que l'UdM est par terre et cherche désespérément comment se remettre flot. Comment en est-on donc arrivé là? Au moins n'allons-nous pas accuser ni l'ancien colonisateur qui nous a généreusement accompagnés ni encore moins le gouvernement, malgré ses frasques par ailleurs! En tout cas, ce n'est pas moi qui ferai l'affaire à moins de me reconnaître les compétences pour prescrire une providentielle cure. En dehors de l'Université catholique d'Afrique centrale, sachez que nous sommes la seule autre institution privée à avoir bénéficié de l'appui financier d'un bailleur de fonds. De ce point de vue, les difficultés de l'UdM, quelles qu'en soit la nature, prouveraient aux yeux du monde, de notre incapacité à nous prendre en main.

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