Sénégal: Mohamed Abdoulaye Diop, Directeur Régional D'Africa Global Logistics - « Nous allons investir dans la croissance de ses activités au Sénégal»

11 Juillet 2023
interview

Le secteur logistique africain a connu un grand chamboulement, au début de l'année 2023, avec le rachat de Bolloré transport logistics (Btl) par la compagnie maritime Mediterranean shipping company (Msc). Depuis, Btl a changé de nom pour devenir Africa global logistics (Agl), avec beaucoup plus d'ambitions sur le continent, surtout au Sénégal, détaillées, dans cet entretien, par son Directeur régional, le Malien Mohamed Abdoulaye Diop.

Depuis le 31 mars dernier, Bolloré Africa logistics est devenu Africa global logistics après son rachat par le groupe italo-suisse Msc (Mediterranean shipping company). Qu'est-ce qui explique le départ de Bolloré de l'Afrique ?

Une page importante se tourne effectivement avec le départ du groupe Bolloré. Les récentes crises de la Covid-19 et le conflit en Ukraine ont entrainé de nombreux bouleversements dans le secteur de la logistique dans le monde, notamment en Afrique. Face à ces tensions, le réseau opéré par le Groupe Bolloré avait besoin du soutien d'un armateur pour continuer à fournir des solutions logistiques adaptées aux besoins des clients. C'est ainsi que nous avons eu l'opportunité d'intégrer le Groupe Msc qui a démarré ses activités en Afrique depuis 1970. C'est une organisation d'envergure mondiale avec un Adn fortement africain. Grâce au soutien de notre nouvel actionnaire, nous allons développer des projets logistiques pour la connectivité de l'Afrique à elle-même et au reste du monde. Agl va demeurer une entité autonome au sein de Msc, avec la vocation d'être le spécialiste de la logistique africaine du Groupe.

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En quoi cette nouvelle configuration va-t-elle changer les activités logistiques et portuaires dans la sous-région et quelles sont les ambitions d'Agl pour l'Afrique ?

Les ambitions d'Agl pour l'Afrique ont été déclinées par notre président, Philippe Labonne. Je rappelle notre mission : accompagner durablement les transformations de l'Afrique. Agl veut être le partenaire logistique de cette Afrique en transition dans ses défis de croissance démographique, d'amélioration du cadre de vie, de transition énergétique, de développement du commerce africain et de digitalisation. Dans ce cadre, nous souhaitons continuer à développer nos activités tout en priorisant la satisfaction de nos clients. Grâce à nos 23 000 collaborateurs, nos 20 concessions portuaires, nos 2 concessions ferroviaires, nos 406 entrepôts et nos 35 ports secs, Agl va non seulement améliorer la productivité de ses installations en Afrique, mais aussi investir dans de nouvelles infrastructures. Nous venons, par exemple, de signer un contrat de concession pour le terminal à conteneurs du port de Malindi, à Zanzibar, et nous travaillons sur de nouveaux projets dans le domaine ferroviaire. D'autres investissements sont aussi en cours dans nos entrepôts et concessions portuaires pour compléter notre gamme de services.

Vous êtes le Directeur régional d'Agl pour l'Afrique Atlantique, notamment pour le Sénégal, pays où vous comptez 1200 collaborateurs. Ces derniers doivent-ils se faire des soucis quant à leur emploi sous la nouvelle enseigne, du fait des possibles doublons de postes à la suite de la fusion ?

Agl propose un projet ambitieux de développement de notre portefeuille d'activités qui place les collaborateurs au coeur de cette stratégie. La question que vous me posez est donc pertinente et mérite toute notre attention. Elle revient régulièrement lors des échanges avec nos collaborateurs, particulièrement les représentants syndicaux. Je crois fermement dans le développement et la croissance de nos activités au Sénégal et dans la sous-région. Au regard de ce contexte économique prometteur, nous voyons déjà de nombreux projets émerger avec une croissance continue des volumes d'activités. C'est le lieu de rappeler que depuis la mise en place d'Agl, plusieurs de nos collaborateurs ont bénéficié de promotions, de plans de formation et même de mobilités à l'international. Cela témoigne de la dynamique positive que nous créons en faveur de l'emploi et de la formation des talents sénégalais. Il est important de relever qu'Agl est soucieuse de son impact sur les territoires. Nous travaillons avec plusieurs investisseurs sénégalais dont certains sont actionnaires de nos activités.

Quelles sont vos principales activités au Sénégal et comment comptez-vous renforcer votre présence sur le continent face à la nouvelle configuration ?

Nous sommes dans le quotidien des Sénégalais par la nature des activités que nous menons. À ce titre, nous sommes un maillon de la chaîne logistique au Sénégal. Pour faire simple, nous assurons le transport et la livraison de biens partout, même dans les zones les plus reculées. Pensez à tous les produits essentiels que vous utilisez chaque jour : le pain, le lait, les véhicules, le carburant, les ordinateurs... Ils sont tous manutentionnés et acheminés grâce à la logistique que nous mettons en place. Cela est rendu possible grâce à nos installations au Port autonome de Dakar, aux viviers de sous-traitants de transports locaux, à nos entrepôts, aux ports secs et à nos autres installations au Sénégal et dans la sous-région. Nous sommes présents sur les routes reliant les villes et les villages, permettant ainsi l'approvisionnement régulier des commerces et des foyers. Nous travaillons pour continuer à être leur partenaire de confiance pour le développement de la région en général et du Sénégal en particulier. Nous avons véritablement à coeur de soutenir la croissance économique du Sénégal pour lequel nous sommes d'ailleurs l'un des contributeurs fiscaux majeurs.

Selon vous, le Sénégal a-t-il réalisé son plein potentiel en tant que centre logistique dans la région ?

Comme évoqué précédemment, le Sénégal reste résilient face aux nombreux défis à adresser. Nous sommes dotés d'une position géographique privilégiée, étant le premier pays touché par des lignes maritimes internationales et ouvert vers ses voisins et sur l'Afrique. À l'instar des pays comme le Maroc, avec Tanger Med, ou Singapour, le Sénégal peut légitimement avoir l'ambition d'être une vitrine en Afrique et dans le monde. Nous avons des projets encourageants en cours et notre écosystème est favorable à plusieurs autres projets d'envergure. Nous avons les compétences nécessaires, notamment dans la logistique ou Agl forme les étudiants en partenariat avec l'établissement d'enseignement supérieur Bem Dakar où nous sommes engagés pour leur apprentissage. C'est aussi le cas avec le Centre Trainmar où nous formons également les jeunes aux métiers du transport et de la logistique. Ainsi, malgré les contraintes structurelles, je suis confiant en l'avenir.

Le Gouvernement du Sénégal, en partenariat avec Dp World, est en train de construire le port de Ndayane. Comment appréciez-vous ce projet et en quoi impactera-t-il votre secteur ?

Le développement de projets, tels que Ndayane, représente une opportunité d'accroitre les capacités logistiques du Sénégal pour continuer à être compétitif. Nous sommes enthousiastes face à ce projet dont la première composante sera le terminal à conteneurs. Cette initiative dotera le Sénégal d'une infrastructure moderne pour soutenir sa dynamique économique croissante. Récemment, lors d'une visite en Côte d'Ivoire, j'ai pu découvrir « Côte d'Ivoire Terminal », le 2e terminal à conteneurs du port d'Abidjan dont Agl est le partenaire de référence. J'ai été impressionné par cette installation fonctionnant avec des énergies propres et équipée des technologies les plus avancées. De jeunes talents africains pilotent cet important projet qui représente plus de 262 milliards de FCfa. Nous aspirons à voir une initiative similaire s'opérer au Sénégal. C'est pourquoi Agl s'engage à réaliser au Sénégal des projets qui apportent des améliorations significatives aux défis logistiques des clients.

Depuis 2013, Bolloré Africa logistics assure la concession du terminal roulier pour 25 ans. Aujourd'hui, c'est tombé dans l'escarcelle de Msc. Doit-on s'attendre à un changement d'orientation dans la gestion de ce Terminal ro-ro ?

Permettez-moi d'abord d'expliquer simplement ce qu'est un terminal roulier. Il s'agit d'une zone portuaire destinée aux navires transportant des véhicules et des engins roulants. C'est un terminal qui répond à un besoin très spécifique. Nous avons un devoir et une obligation de traitement équitable des clients dans ce cadre du fait de notre position de concessionnaire. À ce titre, nous allons poursuivre nos investissements pour servir au mieux nos clients. J'en profite pour saluer les initiatives de l'autorité portuaire visant à rendre la place de Dakar plus fluide, particulièrement via la stratégie d'aération du port de Dakar. Nous avons, par exemple, travaillé conjointement avec la Direction générale du Port autonome de Dakar pour la mise en oeuvre d'une plateforme de soutien à Diamniadio. Cette installation a contribué à un meilleur trafic au niveau de Dakar, créée de nouveaux emplois et surtout entrainé certains de nos partenaires à accélérer leur processus d'investissement à Diamniadio. Par ailleurs, un important partenaire d'Agl Sénégal s'apprête à réaliser des investissements importants à Diamniadio. Nous l'accompagnerons en réalisant également un projet de base logistique moderne. Au Mali, l'unique ligne de chemin de fer, lequel relie Bamako et Kayes, vient de reprendre service.

Le Sénégal a aussi un projet avancé de remise en fonctionnement du rail entre Dakar et Tambacounda. Dans quelle mesure le ferroviaire contribue-t-il à la complémentarité de la connectivité dans notre sous-région et quelle part y prend Agl ?

Le chemin de fer est un levier logistique essentiel et durable auquel nous croyons beaucoup. En effet, il offre un forte capacité d'emport, avec environ 1 train pour 20 camions, et des émissions carbone 10 fois inférieure aux émissions du transport routier. C'est aussi un moyen qui réduit considérablement la congestion urbaine. Le chemin de fer est également la veine jugulaire porteuse de dynamique économique et sociale dans les cités et villages traversés. Son développement est parfaitement compatible avec celui de la route dans le cadre du transport multimodal. Nous voyons vraiment son importance dans les zones où nous sommes concessionnaires, et ce, depuis plus de 25 ans, notamment au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso. C'est un sujet de rentabilité économique plus que de rentabilité financière, qui nécessite l'implication forte des Etats aux côtés des opérateurs privés et des bailleurs multilatéraux. Nous pensons véritablement que la relance du rail est indispensable dans le mix logistique des pays et nécessite un cadre partenarial adéquat.

En votre qualité de président du Syndicat des auxiliaires du transport du Sénégal, vous avez tiré la sonnette d'alarme quant aux risques que font courir à l'économie des troubles sécuritaires comme ceux survenus en début juin dans le pays. Avez-vous confiance en la stabilité et au climat des affaires au Sénégal pour les prochaines mois et années, avec surtout cette période actuelle où des multinationales historiques, telles que Société générale ou Bnp Paribas, se retirent de plusieurs pays d'Afrique ?

C'est un cri du coeur des opérateurs économiques de notre syndicat qui ont été meurtris et choqués par ces tristes évènements. Vous savez, comme on le dit, « une hirondelle ne fait pas le printemps » et nous sommes convaincus qu'il s'agit juste d'une crise ponctuelle, d'une poussée de tension, comme cela peut arriver partout dans le monde. Nous avons assisté, ces dernières années, à des crises aigues et ponctuées de violences à travers le monde et dans certains pays qui étaient des vitrines. Ils sont restés debout et les investisseurs continuent d'y opérer en poursuivant de plus belle leur développement, leur croissance. Nous devons panser nos plaies rapidement et nous remettre à bâtir, à reconstruire et à investir. Notre confiance au Sénégal, en l'Afrique, est une dédicace qui repose sur une conviction forte. Nous devons remercier toutes les structures qui ont eu à contribuer, ne serait-ce qu'un jour, au processus de développement de nos pays.

Le choix d'une structure de se retirer n'est pas à rechercher en Afrique, mais plutôt dans la stratégie de son organisation. À mon avis, nous devons nous concentrer sur les entreprises qui font encore confiance en l'Afrique, au Sénégal, depuis plusieurs décennies et qui continuent d'y investir. C'est la raison pour laquelle le concept de « Local content » mériterait d'être bien précisé et va permettre d'éviter toute déviation par des officines mal intentionnées. Nous, Agl, maintenons nos engagements en Afrique et continuerons d'oeuvrer pour son développement.

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