Ile Maurice: Islamic Cultural Centre - La révocation du «board» réclamée face au manque de transparence

À peine les pèlerins du "hajj" revenus d'Arabie saoudite, l'Islamic Cultural Centre (ICC), responsable des visas et de l'organisation du pèlerinage des Mauriciens, sous la tutelle du ministère des Arts et du patrimoine culturel, se voit fortement critiqué pour ses lacunes. Chacun esquivant la balle, la révocation du «board» de l'ICC et une enquête indépendante sont réclamées.

À 69 ans, Azmah Dulloo, aveugle, veuve et ayant perdu son jeune fils suite à des problèmes de santé, se préparait avec joie à accomplir le hajj, pèlerinage obligatoire et cinquième pilier de l'Islam. Son nom figurait sur la liste des 1 500 pèlerins du hajj cette année. Puisque le frère aîné d'Azmah, 72 ans, et également sur la liste, ne pouvait l'accompagner en raison de problèmes de santé, son neveu de 34 ans a été chargé de faire le voyage avec elle en tant que Mehram (homme pouvant accompagner une femme à la Mecque conformément à la loi islamique).

«Nous avons produit tous les documents médicaux nécessaires. Vu que son neveu avait déjà effectué le hajj en 2014, on lui a demandé de se réenregistrer pour pouvoir accompagner sa tante et l'Islamic Cultural Centre (ICC) a affirmé que le nécessaire a été fait au niveau de leur système. Toutefois, l'ICC nous a dit que la sélection d'Azmah dépendra maintenant des 150 visas additionnels accordés. Finalement, le visa lui a été refusé, l'ICC ayant dit que le hajj n'est pas obligatoire pour les aveugles...», témoigne un proche.

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Or, cette famille aurait appris, à travers un journal, qu'un autre Mauricien, aveugle, a eu la chance d'accomplir le hajj. «Nous sommes heureux que ce frère musulman soit parti. Mais comment peuvent-ils accorder un visa à une personne aveugle et le refuser à une autre ? L'octroi des visas est extrêmement incohérent.»

Ce membre de la famille considère également ce refus comme une tactique délibérée et injustifiée. «Il est clair, lorsque l'on constate que les proches d'un agent politique auraient reçu des visas alors qu'ils se sont inscrits il y a seulement quelques mois, qu'il y a eu une politique de favoritisme au détriment d'autres pèlerins.»

«Favoritisme flagrant»

Ces critiques pleuvent parallèlement au fait que le député de l'opposition, Ehsan Juman, a fait mention de cas flagrants de favoritisme par l'ICC au Parlement. Le député a exprimé sa consternation sur le manque de transparence dans la sélection des pèlerins, affirmant que les proches d'un membre de l'ICC - agent du ministre Avinash Teeluck et qui fait partie de la Hajj Mission - auraient été sélectionnés et auraient obtenu leur visa, bien qu'ils n'aient soumis leur nom à l'ICC qu'en mars 2023. Ils auraient eu les numéros 32 561, 32 562, 32 563 et 32 653.

Officiellement, les numéros des pèlerins sélectionnés sont censés s'arrêter à 14 000 cette année. Azmah Dulloo détient, elle, un numéro d'enregistrement autour de 13 600. D'autres proches et agents politiques auraient également bénéficié d'un traitement préférentiel de l'ICC, selon Ehsan Juman. Répondant à la question du député rouge au Parlement, le ministre Teeluck a dit qu'il attendrait le retour de l'Officer-in-Charge de la Hajj Mission afin de pouvoir fournir plus d'informations sur les numéros d'enregistrement de tous les pèlerins sélectionnés.

Failles de la «Hajj Mission»

Nombreux sont ceux qui déplorent également que la Hajj Mission de l'ICC n'ait pas su prendre en charge les pèlerins mauriciens en Arabie saoudite. Parmi eux, M.E., dont l'enfant de 11 ans a eu une gastro-entérite sévère sous une chaleur torride de plus de 50 degrés lors de leur séjour à Arafat. Ce parent pointe du doigt l'Officer-in-Charge de la Hajj Mission. «Notre tour-opérateur a signalé à la Hajj Mission qu'il fallait l'emmener à l'hôpital. L'Officer-in-Charge n'a rien fait. Le tour opérateur a alors demandé à un Bangladais de déplacer mon fils sur un fauteuil roulant jusqu'à ce qu'on trouve une ambulance, dont le personnel, après l'avoir supplié, nous a laissé monter à bord pour aller à l'hôpital.» Il s'avère aussi que le médecin accompagnant les pèlerins de la Hajj Mission ait eu à faire face à des contraintes car tous ses médicaments ont été saisis par les autorités saoudiennes.

De plus, plusieurs membres de la Hajj Mission, y compris le médecin, y étaient pour accomplir le pèlerinage et n'étaient donc pas en mesure de répondre correctement aux besoins des pèlerins, nous dit-on. «Zot ti vini avek lintansion pou fer hajj. Accorder de l'aide aux hadjis était secondaire, selon notre constat.» Par exemple, on cite le Chairman de l'ICC et un autre membre de la Hajj Mission. Ce dernier n'aurait jamais effectué le hajj auparavant et serait resté avec ses proches lors du pèlerinage, en se déplaçant en fauteuil roulant.

Même son de cloche chez des pèlerins à propos de certains touropérateurs qui avaient sous leur charge plus de 200 personnes. Leurs encadrants, y étant pour accomplir le hajj eux-mêmes, n'ont pas pu s'occuper des pèlerins. «Plusieurs pèlerins se sont perdus car, étant âgés, notre rythme de marche était plus lent. Les jeunes encadrants se sont mis à marcher très vite, prenant des selfies et même accompagnant les pèlerins VVIP pour se faire de la publicité. Mon époux et moi nous nous sommes perdus et avons atterri au poste médical réservé aux pèlerins nigérians. Heureusement, deux Nigérians nous ont aidés à nous déplacer en fauteuil roulant jusqu'à notre destination», raconte M.A., sexagénaire.

L'absence d'une doctoresse et de représentation féminine au sein de l'ICC a également été ressentie par l'ensemble des pèlerins. «Avec un seul médecin homme, âgé, qui effectuait lui-même le hajj, les femmes hésitaient, certaines refusant même de se faire faire des injections en état d'irham, car elles auraient dû exposer leur hanche ou leur bras. Beaucoup ont cherché de l'aide auprès d'autres pèlerines, médecins femmes ou infirmières de profession...»

Face à ces failles, le bon travail des autres membres de l'ICC et des bénévoles semble être amoindri. «Certains membres et bénévoles ont assuré, par exemple, une bonne organisation à l'aéroport de Maurice. Toutefois, ceux qui détiennent les pouvoirs de décision et d'élaboration des politiques échouent d'année en année.»

À qui la faute?

Ce n'est pas la première fois que des médicaments sont saisis par les autorités saoudiennes. Lors d'une rencontre organisée pour les pèlerins, l'ambassadeur Showkutally Soodhun s'en était pris à la direction de l'ICC, affirmant que l'année dernière, un médecin qui n'était même pas inscrit au Medical Council, avait été délégué pour accompagner les pèlerins. Ce dernier avait vu tous ses médicaments saisis à l'aéroport saoudien.

Un membre de l'ICC, proche du dossier, affirme que cette année, le problème provient plutôt d'une erreur dans la documentation et non des compétences du médecin. Interrogé sur la procédure d'approbation du médecin, notre interlocuteur renvoie la balle dans le camp des autorités ministérielles. Sollicité, le ministère de la Santé a précisé qu'il collabore activement avec l'ICC pour veiller à ce que tous les pèlerins se conforment aux protocoles sanitaires des autorités saoudiennes, tels que les vaccinations. Pour toute autre information toutefois, il faut s'adresser à l'ICC.

Pourquoi 22 visas adultes ontils été attribués à des enfants alors que la loi islamique stipule clairement que le hajj n'est pas obligatoire pour les enfants, surtout lorsqu'on sait que la chaleur torride les rend malades ? «C'est débattable (...) L'Arabie saoudite n'y était pas favorable. La demande est venue d'ici.»

Quid de la sélection des pèlerins ? Le board de l'ICC n'exige-t-il pas une décision unanime et transparente ? «Le dernier mot revient au directeur par intérim de l'ICC, qui est également l'Officer-in-Charge de la Hajj Mission.» Notre interlocuteur a exprimé sa consternation face à la situation. «À cause d'une personne, nous sommes tous mal vus et devenons par défaut des complices de ces malversations...»

Ehsan Juman réclame une commision d'enquête

Pour sa part, le député Ehsan Juman déplore une complicité à haut niveau. «Le ministre n'a depuis jamais remis la liste des pèlerins ni institué un 'complaint desk'... Je demande au Premier ministre de révoquer le board de l'ICC et de mettre en place une commission d'enquête indépendante sur les pratiques de favoritisme et l'ingérence du ministre Teeluck.»

Une réponse toujours attendue

Joint au téléphone, le «Chairman» de l'ICC nous a affirmé qu'il était «au bureau, travaillant, et non à l'ICC». Il nous a demandé de prendre contact avec l'institution afin qu'une lecture des plaintes puisse être produite. L'express s'est rendu à l'ICC afin de voir les plaintes en détail et pour obtenir plus informations. Le directeur par intérim nous a informés que seul le ministère des Arts et du patrimoine culturel peut répondre à nos questions et que le personnel de l'ICC ne peut s'adresser à la presse sans l'autorisation du ministre. Contacté, le ministre Teeluck nous a demandé de le rappeler plus tard car il devait se rendre à un événement. Nos appels et messages téléphoniques sont restés sans réponse.

Zahid Nazurally : «une prise de position est essentielle dans l'intérêt public»

«Que l'on soit au gouvernement ou dans l'opposition, il doit y avoir une prise de position pour résoudre les affaires d'intérêt public», a confié Zahid Nazurally à l'express. Le Deputy speaker s'est exprimé sur les réseaux sociaux pour exiger que les numéros d'enregistrement de tous les pèlerins sélectionnés soient rendus publics. Zahid Nazurally dit attendre plus de précisions de toutes les parties concernées : «'All cards on the table' afin que les mesures nécessaires soient prises dans l'intérêt de la population.»

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