Ile Maurice: Mgr Jean-Michaël Durhône - L'enseignant devenu chef de l'Église catholique

Les prêtres catholiques évoquent toujours l'appel du Christ, qui a été si déterminant dans leur vocation. Mais pour les profanes, cela reste un concept abstrait. Mgr Jean-Michaël Durhône, évêque de Port-Louis, dont l'ordination épiscopale est prévue dans 15 jours exactement, a accepté de se raconter en toute simplicité et d'expliquer concrètement comment cet appel du Christ s'est manifesté dans sa vie.

Ce qui frappe d'abord chez ce quinquagénaire, c'est son honnêteté et sa sincérité désarmantes. Non, réplique-t-il, l'appel du Christ dans sa vie n'a pas été une conversion foudroyante à la manière de celle vécue par Saint Paul mais un questionnement s'échelonnant sur plusieurs années. Oui, il a nourri des sentiments forts pour une jeune fille mais il a réalisé qu'il serait plus heureux en aimant et en donnant plus largement et pas exclusivement. Non, sa famille n'a pas sauté de joie quand il leur a fait part de son désir d'embrasser la prêtrise. Malgré les rumeurs et autres taquineries à son égard, il ne s'attendait pas à être nommé évêque de Port-Louis. Si bien qu'il a même demandé au nonce apostolique qui lui annonçait la nouvelle s'il n'y avait pas une personne plus appropriée pour occuper ce poste. La réplique a été que l'Église a besoin de lui. Ce ne sont là que quelques exemples mais qui en disent long sur l'ouverture d'esprit et la franchise du chef de l'Église catholique à Maurice.

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Si Jean-Michaël Durhône naît dans une famille catholique pratiquante de Berthaud-Hollyrood à Vacoas - il est le benjamin de neuf enfants -, celle-ci n'est pas une grenouille de bénitiers. Et cela, même si son père, Louis Tristan, fonctionnaire au ministère des Terres et du Logement, l'emmène chaque année au caveau du Bienheureux Père Laval et que sa mère l'initie aux prières essentielles. La famille prie aussi avant chaque repas.

Être le benjamin d'autant d'enfants ne fait de lui ni un enfant gâté ni un gosse négligé. «J'ai eu huit autres 'pères et mères' sur ma tête», explique-t-il, ajoutant qu'alors qu'il était en maternelle, son grand-frère venait régulièrement le chercher pour l'emmener déjeuner à la maison. Tout comme ses aînés et sa mère l'encadraient pour ses devoirs. Il est précoce car vers quatre-cinq ans, il sait déjà lire et écrire.

Liens familiaux solides

Les liens sont solides entre les enfants Durhône : ils font du badminton ensemble, les garçons jouant au football sur la plaine du Gymkhana. «On avait même créé notre propre jeu des Chiffres et des Lettres». Comme ses aînés ont fréquenté l'école Notre-Dame de la Visitation RCA, c'est aussi là qu'il est envoyé. Il noue des amitiés solides avec des garçons d'autres confessions religieuses, notamment avec un certain Deven qui, pour avoir longtemps vécu en Grande Bretagne, est plus porté pour l'anglais. Jean-Michaël Durhône l'aide avec son français. L'évêque de Port-Louis fait aussi partie de cette génération d'enfants qui prennent des leçons particulières régulières et lorsqu'il arrive en standard VI, son premier choix de collège secondaire en cas de bon classement à l'examen du Certificate of Primary Education (CPE) est le Mahatma Gandhi Institute car il s'intéresse à la culture indienne. Ensuite vient le collège St Joseph.

S'il va à la messe avec son frère, il reste généralement dans les derniers bancs de l'église. Lorsque sa mère l'encourage à devenir servant d'autel, il refuse en lui disant qu'il n'est pas une fille pour porter une robe. Elle le verrait bien aussi chez les Scouts. Il ne tient qu'une semaine. «Autant j'avais de bonnes relations interpersonnelles, autant je n'aimais pas les engagements. Je n'aimais pas me mettre en avant.»

Quand les messes pour les enfants sont introduites le dimanche matin, lui et son frère s'y rendent. Et pour la Pâques, une des animatrices leur offre non seulement des oeufs en chocolat mais leur demande aussi de venir aider les enfants à mieux comprendre les Évangiles en les mimant, les répétitions ayant lieu le samedi après-midi. Jean-Michaël Durhône n'est guère partant, surtout que le samedi, sa journée est remplie comme un oeuf - entraînement de football le matin, émission télévisée faisant un récapitulatif de tous les matchs européens après le déjeuner et s'il ne va pas à la messe, il va à nouveau jouer au foot. Il demande à son frère de garder le silence mais une fois rentrés, son aîné vend la mèche et le samedi suivant, alors qu'il traîne les pieds pour y aller, sa mère lui met la pression. Il prend même une petite tape. «On a parfois besoin d'être secoué.»

Réservé

Le premier Évangile qu'il mime est celui du Christ ressuscité qui apparaît aux disciplines sur la route d'Emmaüs. L'un d'eux se nomme Kleopas et c'est justement ce rôle qu'il doit camper. L'évêque de Port-Louis se plaît au jeu, trouvant que «c'est une manière ludique de découvrir et de faire découvrir Jésus-Christ. Et puis, cela me convenait car je n'avais pas besoin de parler devant une assemblée.» Il passe quatre ans à mimer les Évangiles lors de la messe des enfants.

Ses résultats de CPE sont excellents. Son père travaillant à Curepipe, décide pour lui, en se proposant de l'accompagner quotidiennement au collège St Joseph. Il a d'abord pour recteur Brother Alphonsius puis feu Daniel Koenig et son adjoint Serge Ng Tat Chung. Ce collège confessionnel reçoit régulièrement des prêtres, qui viennent parler de leur vocation aux élèves. Il est surpris de voir des hommes heureux, sans toutefois penser que la prêtrise pourrait être un choix de vie pour lui.

En 1989, Daniel Koenig impose une retraite à ses élèves de Form V, bien que l'on soit au troisième trimestre. C'est la retraite ou la punition. «Je me suis dit qu'entre la peste et le choléra, il fallait choisir et je refusais la punition», raconte-t-il avec ce sens de l'humour qui le caractérise aussi. Cette retraite, qui a lieu au centre Siloé à Curepipe, est animée par le père Jacques Piat. Les retraitants sont appelés à réfléchir sur le psaume 138 où il est dit notamment que le Seigneur a façonné tout foetus dans le ventre de sa mère et qu'il le connaît intrinsèquement. C'est là qu'il réalise que depuis toujours, il est aimé de Dieu. «Avant, je ne me posais pas de question. À la fin de cette retraite, je ne voyais plus les choses de la même façon. J'étais plus attentif aux Évangiles et mon regard sur les prêtres avait changé.» Tout en étant «émerveillé» par tout ce qu'il a reçu de positif à travers sa famille et ses amis, une question ne cesse alors de le tarauder : «Que fais-tu de tant d'amour reçu ?» Et d'autres paroles puisées des Évangiles l'incitent à pousser la réflexion plus loin, notamment «on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau.»

Le fameux appel va commencer à se préciser pour lui trois ans plus tard, soit en 1992. Le père Jean-Maurice Labour, qui est responsable des vocations à l'époque, organise une retraite pour les collégiens, du Jeudi au Samedi Saint, à Chamarel. Il s'y rend avec ses amis de collège. Un cantique intitulé «Oh, ce regard» le trouble. «Mon père voulait que j'intègre la Fonction publique pour sa sécurité d'emploi, pour le Pay Research Bureau. Dans ce cantique, il est notamment question de Mathieu, qui était percepteur. Les paroles du cantique disent qu'être fonctionnaire est un métier bien payé, qui donne, quand on est vieux, une bonne petite retraite mais Mathieu quitte tout pour suivre le Christ sur un simple regard. Cette chanson était comme une pierre dans mon jardin. Je me suis demandé si le Seigneur voulait que je le suive et que j'aie une famille plus grande que celle biologique.» Il en parle au père Labour qui lui conseille de poursuivre sa réflexion mais de terminer sa Form VI d'abord avant de prendre une décision.

Apport des cantiques et chants

Il suit des cours de catéchèse au collège St Joseph et la messe d'envoi pour les School Leavers dont il fait partie l'interpelle. Le thème est Réussir sa vie ou réussir dans la vie ? «Je me suis demandé si réussir c'est gagner beaucoup d'argent mais est-ce que j'aurais été pleinement heureux alors et est-ce que l'argent gagné aurait suffi à combler une vie». L'appel ne vient pas qu'avec la Parole mais avec des cantiques et des chants aussi. Il est inspiré par la chanson du groupe ABBA intitulée «I have a dream».

Lorsqu'il termine ses examens, il est invité à une autre retraite, mixte celle-là, au Foyer de l'Unité à Souillac. Mais il n'est pas vraiment intéressé à y participer. Si bien qu'il rate le transport. «Peut-être ai-je voulu le rater volontairement», dit-il avec recul. Son père qui rentre peu après lui, est disposé à l'y conduire. Il ne peut refuser. «Je suis même arrivé à l'heure. La vocation, ce n'est pas être comme Obélix, qui est tombé dans la marmite de potion magique quand il était petit, ni être emballé comme dans un coup de foudre. Il y a d'abord un émerveillement à travers l'amour de Dieu mais aussi des résistances. À un moment ou à un autre, lorsqu'on veut suivre cette voie, il y a des tensions, des résistances». Quand chaque retraitant doit parler du métier qu'il voudrait exercer, lorsqu'arrive son tour, il cite l'enseignement car il aime transmettre ce qu'il a reçu ou un autre métier où il sera à même de donner et de recevoir. À la fin de la retraite, il demande d'intégrer le groupe de recherches, qui est la première étape permettant à une personne de comprendre son baptême.

Jean-Michaël Durhône décide de devenir instituteur et pendant deux ans, il suit un cours à cet effet auprès du Mauritius Institute of Education. En parallèle, il réfléchit sur sa vie spirituelle au Foyer La Source. Son diplôme obtenu, il enseigne toutes les matières du primaire à l'école Notre-Dame de la Visitation RCA où il a été élève. S'il apprécie le fait de transmettre et les liens qu'il développe avec les élèves, il réalise, au bout de trois ans, qu'il a des aspirations, qui ne sont pas remplies par l'enseignement. Une réflexion du père Labour lui fait comprendre que la vocation n'est pas un chemin tout tracé et qu'une personne peut vouloir être prêtre mais que c'est l'Église qui décide et choisit, tout comme le Christ a choisi ses apôtres. «Cela arrive que l'Église refuse une personne car elle ne la voit pas heureuse dans cette mission.»

Deux bonnes choses au choix

Quand il termine le programme au sein du groupe de recherches, il ne se voit pas allant au séminaire immédiatement. Il intègre alors le groupe 40, qui se réunit sous la houlette du père Pierrot Friquin, chaque lundi, entre 18 et 21 heures. L'objectif de ce groupe est la découverte de soi, des autres et de la Bible. C'est dans ce groupe qu'il vit une attirance très forte pour une jeune fille et ce sentiment est réciproque. Il reste cependant très discret car il se sait encore à l'étape du discernement. «J'ai réalisé qu'un appel de vocation n'est pas choisir entre une bonne et une mauvaise chose. Le Seigneur met deux bonnes choses devant nous et on doit alors se demander laquelle sera la meilleure pour nous et pour l'autre. Aimer cette fille était une très belle chose mais j'ai réalisé que donner ma vie au Christ était meilleure pour moi. C'était un appel à donner et à aimer plus largement et pas un amour exclusif que l'on donne à une seule personne.»

Une fois sa décision prise, il se sent apaisé. Après des années de discernement plus approfondi au Thabor et au Foyer La Source en résidentiel, il annonce à ses parents qu'il songe sérieusement à embrasser la prêtrise. «Il n'y a pas eu d'explosion de joie. Ma mère m'a regardé et m'a dit de bien voir où je mettais les pieds. Cela signifiait que si je m'engage dans cette voie, ce n'est pas pour en sortir par la suite. Autrement, ma famille ne s'est jamais immiscée dans ma vie.»

C'est à Nantes en France qu'il entre au séminaire et étudie pour devenir prêtre. Son ordination diaconale a lieu le 20 juin 2004 à la cathédrale St Pierre et St Paul dans cette ville française et son ordination presbytérale se fait au Couvent de Lorette de Vacoas, le 7 août 2005. Son père n'assiste pas à son ordination car il meurt trois ans plus tôt mais sa mère et sa fratrie sont présentes. Après son ordination, il passe cinq années comme vicaire à la cathédrale St Louis. C'est le Cardinal Piat qui l'encourage à pousser plus loin les études de catéchèse et de théologie pastorale à Lumen Vitae à Bruxelles en Belgique où il obtient un diplôme d'études spécialisées sur présentation d'une thèse portant sur «Accompagner la maturation des adultes dans la foi». En Belgique, il célèbre la messe régulièrement dans une aile psychiatrique d'une prison de haute sécurité où les détenus sont coupables mais pas responsables. «Et même dans ce lieu, le Seigneur peut apporter un chemin de croissance spirituelle. Dans l'absurde et l'horreur, Dieu nous donne toujours des signes d'espoir.»

Postes de responsabilités

À son retour à Maurice et au cours des années suivantes, il occupe plusieurs postes de responsabilités au sein de l'Église et que la presse ne manquera pas de rappeler bientôt. Il est actif également au sein de plusieurs paroisses, que ce soit St Hélène, Bambous, Petite-Rivière, New-Grove ou Rose-Belle, accompagnant ses fidèles dans leurs joies comme dans leurs détresses et leurs souffrances. Il n'a jamais regretté son choix. «Il y a eu, comme tout homme le vit, de la fatigue, des découragements quand les choses n'avancent pas, des incompréhensions de part et d'autre mais pas au point de me remettre en question par rapport à la place que j'occupe.»

Il a fait partie des têtes pensantes ayant développé la méthodologie destinée à faire les catholiques qui pratiquent leur foi de manière traditionnelle devenir des catholiques de coeur et il a piloté une équipe en ce sens. «La pratique du christianisme était ponctuelle. On restait dans le rituel. On a essayé de faire les catholiques vivre la foi à différentes étapes de leur vie et à les faire s'impliquer davantage dans la catéchèse et dans leur manière de la transmettre à leurs enfants. Tout comme, nous avons voulu les faire cheminer davantage avec la communauté.»

Depuis, Jean-Michaël Durhône dit avoir senti un «réveil. Les parents séparés viennent aux sessions pour leur enfant. Nous touchons aussi les familles recomposées. À un moment, l'Église était loin des personnes en marge. Or, celles-ci peuvent cheminer avec nous et même si leur situation est difficile, nous leur proposons un chemin de foi.»

Formé pour être prêtre diocésain, la fonction d'évêque ne sera-t-elle pas davantage administrative ? «C'est vrai que ce n'était pas mon rêve mais en tant que prêtre, lorsque nous disons oui, nous nous mettons à la disposition de l'Église et on la sert là où elle nous place.»

Comme ses prédécesseurs, Mgr Durhône sera un homme de rencontres et d'écoute et portera le souci du peuple mauricien. Tout comme il restera le partenaire de l'État pour contribuer à faire avancer le bien commun. Mais «être partenaire ne signifie pas qu'il n'y ait pas de divergences. Devant une situation où les gens sont en souffrance, si l'Église peut collaborer avec l'État pour rendre la société plus juste, elle le fera. Comme mes prédécesseurs, j'apporterai ma pierre et je le ferai à ma manière. Ma mission sera non pas une de rupture mais de continuité», dit-il en remerciant toutes les personnes, que ce soit celles de foi catholiques, des chrétiens et non chrétiens qui lui ont témoigné leur soutien. «Cela m'encourage.»

Lui qui n'aimait pas se mettre en avant est désormais le chef de l'Église catholique à Maurice et est appelé à s'adresser aux foules de fidèles. Comme quoi, le Christ ne manque pas d'humour...

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