Madagascar: Les (défuntes) routes des vacances

Construire des routes : cette possibilité existait bel et bien dans la pourtant tristement célèbre «Charte Lambert» de 1855-1861. Il faut donc croire que, même dans son incroyable naïveté, quelqu'un comme Radama II (assassiné en mai 1863, au bout de vingt mois d'un règne qu'il prétendait «révolutionnaire») pouvait comprendre que la «route» contribuait à la «civilisation». Le bon sens étant la chose du monde la mieux partagée, il faut espérer que nous n'ayons pas jeté le bébé «route et civilisation» avec l'eau du bain «Charte Lambert».

L'administration royale malgache, craignant que des routes reliant les principaux ports et la Capitale ne servent littéralement de «pénétrantes» à une invasion étrangère, avait soigneusement laissé les deux généraux «Ala» (forêt) et «Tazo» (paludisme) sévir dans ces zones où Gallieni et ses successeurs allaient devoir percer routes et chemins de fer.

La morphologie de Madagascar a fait que les premières routes aient été tracées «verticalement». Une île en longueur orientée Nord-Sud, avec des hautes terres qui partagent les eaux (les géographes parlaient de «conquêtes» du Namorona et du Faraony, dont les eaux se jettent dans l'Océan Indien, qui «dérobent» dans la région de Fianarantsoa des affluents de la Matsiatra pourtant tributaire du Mangoky, qui se dirige vers le Canal de Mozambique) depuis l'Ankarana jusqu'à l'Anosy, en passant par l'Antsihanaka, l'Imerina et le Betsileo). Les premières routes partaient plein Sud (la 7 qui «descend» vers Fianarantsoa et Tuléar) ou plein Nord (la 3 qui «remontait» vers Anjozorobe, l'Alaotra, Andilamena, Mandritsara, Andapa et Sambava). L'histoire joue également un rôle important dans le choix des liaisons initiales : les villes de Miarinarivo (RN1), Toamasina (RN2) ou de Mahajanga (RN4), avaient préexisté à l'époque coloniale et il a fallu à Gallieni et ses successeurs formaliser, en quelque sorte, des chemins anciens dans l'improvisation permanente.

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J'aime passer du temps à étudier une carte de Madagascar. Le FTM (Foiben-Taosaritanin'i Madagasikara) fait du bon boulot. Que ce soit pour une carte d'ensemble à l'échelle 1:2.000.000 ou les cartes de détail par zone à 1:500.000. Les précieux kilomètres entre les routes les plus improbables y sont reportés : ces kilométrages étaient sans doute rigoureusement exacts en 1990 et 1996 (époque reculée des cartes en ma possession), mais il faut craindre qu'en 2023, certaines routes elles-mêmes n'existent même plus faute d'entretien.

Si le projet «Réseau routier de l'an 2000», envisagé par le bien-nommé Ministère de l'Équipement en 1970 (cf. Chronique VANF, «Routes malgaches : retour vers le futur», 2 octobre 2021), avait été mené à bon terme, les pénétrantes «verticales» auraient pu être complétées par des radiales, tellement plus pratiques, suivant des pistes que les Anciens n'ignoraient pas. Un coup d'oeil plus «horizontal» sur les cartes de Madagascar laisse entrevoir d'innombrables possibilités.

D'Est en Ouest, et quasiment sur une même latitude, se trouvent Brickaville (sous le règne de Rasoherina, en 1867, c'était encore Andovoranto), Moramanga, Manjakandriana, Antananarivo, Miarinarivo, Tsiroanomandidy, Antsalova. Ce tracé rectiligne, certes avec d'importantes variations d'altitude, permettrait de passer de l'Océan Indien au Canal de Mozambique en une longue ligne droite.

Vatomandry et Ambatolampy puis Faratsiho pourraient être reliées directement sans devoir passer par Antananarivo. Comme Mahanoro, Marolambo, Antsirabe, Betafo, Miandrivazo et Belo. Ou Toamasina, Ambatondrazaka, Anjozorobe et Ankazobe. Même scénario pour Nosy-Varika, Ambositra et Morondava, via Ambatofinandrahana et Malaimbandy.

La route de la source de la «Matatagna» remonterait depuis Manakara vers Fort-Carnot et Ambalavao. Le couloir Vangaindrano-Befotaka-Benenitra-Tuléar débuterait son tracé en remontant aux sources du Manampatrana. Au Nord, le seuil de l'Androna, qui a vu se développer Mandritsara, a toujours permis aux populations locales, comme les voyageurs d'autrefois, de passer d'Antsakalava en pays Betsimisaraka.

Ces transversales permettraient de renouer avec le bon sens de la géographie. Elles apporteraient un considérable gain en kilométrage, entre deux localités voisines à vol d'oiseau, mais qui doivent encore faire un crochet par le chef-lieu. Comme c'est le cas d'Anjozorobe et Ankazobe via Antananarivo. Ou les villes du littoral oriental que l'oubli du formidable Canal des Pangalanes coupent les unes des autres. Accessoirement, les routes «horizontales» amèneraient la civilisation de la décentralisation et combleraient ces poches désertiques d'un aménagement du territoire inachevé.

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