Madagascar: Scooters - Business juteux, dangers urbains

Le véritable engouement pour les scooters peut s'expliquer par plusieurs raisons. La première est que ces petits deux-roues sont moins chers, à portée de main, pratiques et surtout très économiques. Les scooters sont devenus un véritable « trésor » à pourvoir absolument et constitue une filière économique florissante. Mais l'incivisme des scootéristes est aussi devenu un véritable problème de société.

Gagner du temps, dépasser les voitures en se faufilant dans les embouteillages, c'est une obsession pour Rijaniaina, 32 ans. Depuis cinq ans, il n'a eu que trois accidents et s'en est toujours sorti avec des égratignures. « On pilote un scooter de la même façon que l'on soit pressé ou non », confie-t-il. « Je suis conscient qu'il y a des prises de risque, mais il faut y aller sans hésiter, sinon on se fait écraser car la voiture ne va pas s'arrêter. » Cette attitude cavalière, le jeune trentenaire l'a, quand il est sur un deux-roues. Il est plus impressionné par la densité de la circulation tananarivienne quand il conduit une voiture, chose qu'il n'a pas très souvent l'occasion de faire.

« Chaque conducteur a son propre état psychologique et mental quand il conduit une moto, en général, c'est soit la peur et l'extrême prudence, soit la témérité et la prise de risque », explique Jean Yves, qui est moniteur de moto-école. Il dit travailler pour une auto-école classique, mais il se fait de l'argent en donnant des cours particuliers. Ses clients sont surtout des adolescents, filles et garçons, de 14 à 18 ans. « Je ne fais que deux séances d'une heure chacune pour un seul élève ou un groupe de trois au maximum », explique-t-il. « C'est une demi-heure de théorie sur la connaissance du véhicule et les bases du code de la route, puis une autre demi-heure de conduite. Le samedi, on fait des exercices sur un terrain vague et, le dimanche, on fait une balade dans les rues de la capitale. »

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Notre interlocuteur est persuadé qu'il est investi d'une mission. Il y a trois ans, il a perdu son neveu. Le garçon, alors âgé de 16 ans, est décédé dans un accident. « C'était une virée entre amis qui s'est transformée en une course sauvage. Il ne maitrisait pas encore très bien la conduite et a chuté fatalement », se rappelle-t-il. Depuis, le moniteur veut sensibiliser les jeunes conducteurs. « On ne pourra pas les empêcher de conduire un scooter, il vaut mieux les éduquer pour devenir de bons citoyens usagers de la route mais aussi de bons conducteur », martèle-t-il.

Le message à faire passer c'est « la vitesse tue » et « une personne en scooter est toujours en danger ». Le moniteur encourage les autorités à sévir avec fermeté contre les excès de vitesse en ville. La solution, c'est la prévention et c'est aussi le rôle des parents. Les parents, eux aussi, il faudra bien les éduquer. Le scooter est devenu un véhicule familial. Le père au guidon, le fils de 4 ans debout entre les jambes de papa, la mère sur le siège arrière avec la petite dernière dans les bras. Cette scène est très fréquente malgré que les policiers aient annoncé leur décision de sévir plus durement.

« Ce sont des gens irresponsables, ils portent un casque, mais ne pensent pas au risque encourus par leurs enfants », s'énerve l'agent Mario. Il pointe aussi du doigt ces jeunes intrépides qui ne respectent même pas le policier qui organise la circulation à un carrefour. « Les conducteurs de scooters ne se sentent pas concernés par l'ordre de passages à un carrefour. Ils passent comme un éclair dès qu'il y a une ouverture, au grand dam des automobilistes. Et nous, policiers, nous sommes souvent débordés. »

Une filière prospère

Le phénomène scooter a commencé à prendre de l'ampleur quand leur nombre a augmenté de manière exponentielle. « En 2010, les prix étaient abordables, à partir de 700 000 ariary pour les modèles basiques. C'est un type de véhicule qui se vend aussi très bien en occasion », explique Eric, vendeur de scooters. Les prix se sont depuis envolés. Avec 800 000 à 1 million d'ariary, le client n'aura qu'un vieux 125 cc, avec des équipements à changer.

L'engouement pour les scooters puissants persiste, souligne aussi Eric. Ses clients raffolent des marques qui s'arrachent à plus de 5 millions d'ariary avec moins de 5 000 km au compteur. Les stars des deux-roues ont un prix plus abordable. Il s'agit du Jog Pro et autre BWS 100 cc qui se distinguent par leur double phare.

D'occasion, ils s'achètent entre 1,5 million et 2 millions d'ariary. La hausse des prix a fait que beaucoup de scooters importés sont de deuxième main.

Herizo, 26 ans, est devenu mécanicien moto par hasard. « Un jour, j'ai réparé mon scooter, je l'ai complètement démonté devant chez moi. Une personne s'est arrêtée et m'a demandé de réparer le sien. Je l'ai fait et j'ai gagné mon premier salaire de 5 000 ariary », raconte-t-il. Passionné de mécanique depuis petit, il a appris tous les secrets du métier en démontant une petite moto pour la reconstruire pièce par pièce. Il est aujourd'hui capable de remettre à neuf un scooter en changeant les pièces usées.

Après trois ans de métier, il gagne bien sa vie puisqu' il a entre quatre et dix clients par jour avec des recettes qui peuvent totaliser jusqu'à plus de 100 000 ariary.

« L'autre business, ce sont les pièces détachées. J'ai quelques stocks comme les bougies et les câbles d'accélérateur », affirme-t-il. Occupé toute la journée, le jeune homme prend son scooter pour faire un tour le soir, parfois des vient-et-vient dans la rue qui longe sa maison. « Le dimanche, ma femme et moi aimons rouler pour une petite balade en amoureux », confie-t-il. En scooter, bien entendu.

C'est une logique qui va de soi. Plus il y a d'acheteurs de scooters, plus les pièces y afférant sont sollicitées. La vente de pièces détachées exclusivement réservées aux scooters, ainsi que les services mécaniques pour leur réparation représentent pratiquement un business sectoriel unique. C'est aussi très rentabilisant dans un pays où l'on voue un véritable engouement pour ces modèles. Cela marche tellement bien que certains producteurs et constructeurs de pièces pour motos de type scooters se sont déplacés et ont leurs propres filiales dans le pays. Les grands concessionnaires sont aussi de plus en plus actifs sur ce marché, tout comme les assureurs.

« On assiste ces dernières années à une augmentation importante du nombre de motards. Il faut, en effet, savoir que, rien qu'à Antananarivo, le nombre de véhicules dits deux-roues constitue les 55,6% des véhicules neufs immatriculés. Ainsi, 2 890 motos, scooters et quads se sont ajoutés l'année dernière aux deux-roues circulant dans la capitale. Ceux-ci participent chaque année à une augmentation du trafic, des usagers et des risques d'accidents et de vol de deux-roues », fait remarquer une compagnie d'assurance qui a lancé l'« Assurance Tous Risques Moto ».

En moins de dix ans, le nombre d'établissements qui commercialisent les scooters et les pièces détachées a été multiplié par six. Mais ce qui est aussi malheureux, d'un point de vue économique, c'est que la vente de motos scooters d'occasion et de pièces détachées optimise le développement du secteur informel. On évalue actuellement le chiffre d'affaires global annuel de la « filière scooters » à plus de 8 milliards d'ariary. Et l'informel représente plus de 60% de ce montant. Et ce chiffre n'inclut pas les recettes des taxis-moto qui envahissent la capitale depuis quelques années.

Plus de dix-neuf mille deux-roues

Selon les rapports d'une enquête, le nombre de véhicules à deux-roues circulant à Antananarivo, varie de trois mille à quatre mille pendant les jours ouvrables et les jours d'activités

commerciales, et il diminue de moitié le dimanche, jour de repos en général.

Au total, 19 205 deux-roues ont été dénombrés en une semaine et environ la moitié (53,3%) de ces véhicules prennent la direction du centre-ville. Plus de cinq mille passagers ont été recensés durant les sept jours d'observations et ce sont surtout les scooters qui transportent le plus de passagers avec quatre mille onze individus.

Cette observation est le résultat d'une étude réalisée par l'ONG Lalana, à travers un partenariat avec Dr. Felix Siebert, chercheur à la Fredrich-Schiller University of Jena, en Allemagne, et

Paolo Perego, chercheur à l'Università Cattolica del Sacro Cuore di Milano, en Italie, sur les usagers des grands axes de la capitale. Pour l'enquête, une caméra a été installée sur une véranda et les films ont été visualisés après avoir enregistré les trafics durant une journée, en couvrant une semaine. L'enregistrement a permis la révision des données et des observations par d'autres chercheurs et parties prenantes intéressées.

De cette observation, les chercheurs ont également déduit que 76% des conducteurs ont mis leurs casques en conduisant. Toutefois, plus de la moitié des passagers n'en portaient pas. Dans ce dessein, environ 87% des femmes conductrices portent des casques contre 76% pour les hommes. Il en est de même pour les passagers car 52% de ces passagères en portaient contre 44% seulement pour les hommes.

Circulation des scooters

Immatriculation obligatoire

Selon la décision émanant de la Primature, tous les scooters en circulation sur le territoire malgache doivent être obligatoirement immatriculés. La mesure en vigueur depuis 2020 a été prise à la suite d'une attaque à main armée à Ilanivato et au constat selon lequel les malfaiteurs se déplacent souvent en scooter. Auparavant, seules les motos de plus de 55 cc étaient immatriculées à Madagascar. Cette réforme vise à modifier les lois sur la possession de scooters et permettre ainsi l'identification des motocyclistes. Pour rappel, en 2019, la commune urbaine d'Antananarivo (CUA) a déjà approuvé la numérotation de tous les types de véhicules à deux roues incluant même ceux de moins de 55 cc, mais cela n'a pas été suivi d'effet. Selon la Gendarmerie nationale, cette nouvelle décision facilite la traçabilité des réseaux de malfaiteurs qui se déplacent sur ce type de véhicule.

De même, en cas de vol de scooter, on pourra plus aisément rattraper le voleur... « Avec la fréquence presque quotidienne des accidents de scooters, c'est une sage décision de la part des autorités », commente Rivo Rasoloson, dirigeant d'une association de jeunes et observateur de la vie publique. « L'immatriculation de ce genre de deux-roues pourra réduire les accidents car elle est susceptible de changer la mentalité de leurs conducteurs.

Cette décision devrait toutefois être suivie d'une interdiction de circulation des scooters avant la régularisation des papiers », suggère, pour sa part, un père de famille. Sedera, un motocycliste, pense que cette nouvelle réforme va aider à réduire les délits de fuite en cas d'accident. « L'immatriculation des scooters est nécessaire. Cela réduira toutes les infractions routières, mais l'État doit veiller à son application plus sérieusement. », ajoute-t-il. En plus de la nouvelle législation sur l'immatriculation des scooters, la police a annoncé l'interdiction de circulation des rollers sur la voie publique.

VERBATIM

Tsiferana Andriamanamidona,

président national de Rider Scoot Community

« Près de 90% des accidents de la route qui surviennent à Antananarivo impliquent des motos et des scooters. On constate que ces accidents peuvent parfois être causés par l'inconscience des motards eux-mêmes. Bien sûr, les motards ne sont pas toujours fautifs, mais à mes pairs amoureux des véhicules à deux roues, je recommande l'humilité, la prudence et une meilleure gestion de leurs émotions. »

« La violence du choc entre un scooter et une voiture à 50 km/h montrée à des ados : opération de sensibilisation plus que nécessaire, alors que les parkings des collèges se remplissent dangereusement de ces engins ou que le génie précoce débarque à l'Université des scootéristes pas toujours en âge d'avoir passé l'examen du Code de la route avant de subir les épreuves du baccalauréat. (...) Un scooter n'est pas un jouet. La réglementation malgache doit évoluer aussi vite que les scooters filent à toute vitesse. »

Le phénomène scooters en chiffres

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