Soudan: Darfour - Les Forces de soutien rapide et les milices alliées ont commis de nombreux viols

communiqué de presse

Les gouvernements étrangers devraient donner la priorité à la fourniture de soins et à des enquêtes indépendantes

  • Les Forces de soutien rapide, un groupe militaire indépendant, et les milices qui sont leurs alliées au Soudan, ont violé plusieurs dizaines de femmes et de filles dans la capitale du Darfour occidental, ainsi que parmi celles qui fuyaient les combats dans la région ces dernières semaines.
  • Les violences sexuelles commises dans le contexte d'un conflit armé constituent des crimes de guerre et, si elles s'inscrivent dans le cadre d'attaques généralisées et systématiques, peuvent équivaloir à des crimes contre l'humanité.
  • Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU devrait lancer une enquête et un processus visant à sauvegarder les preuves de ces abus, et les gouvernements qui se préoccupent de la situation devraient fournir davantage de ressources pour venir en aide aux victimes de viols.

(Nairobi, le 17 août 2023) - Les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF), un groupe militaire indépendant, et les milices qui sont leurs alliées au Soudan, ont violé plusieurs dizaines de femmes et de filles dans la capitale du Darfour occidental, El Geneina, et beaucoup d'autres qui fuyaient vers le Tchad entre la fin avril et la fin juin 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les agresseurs semblent avoir pris pour cible des membres de l'ethnie Massalit et, dans certains cas, des personnes connues pour être des activistes.

%

Depuis le début du conflit armé au Soudan entre les Forces armées soudanaises (Sudan Armed Forces, SAF) et les RSF le 15 avril, les RSF et les milices à dominante arabe qui sont leurs alliées ont mené de nombreuses attaques contre les villes et les villages de l'État du Darfour occidental. Ces attaques ont visé essentiellement des zones habitées par l'une des principales communautés non arabes de la région, les Massalit.

Les attaques dans la ville d'El Geneina ont commencé le 24 avril et se sont poursuivies jusqu'à la fin juin, faisant de nombreux morts et blessés parmi les civils et contraignant plus de 366 000 personnes à fuir vers le Tchad voisin. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait de toute urgence organiser un briefing par la Représentante spéciale du Secrétaire général sur les violences sexuelles liées aux conflits.

« Les Forces de soutien rapide et les milices qui sont leurs alliées apparaissent comme les responsables d'un nombre impressionnant de viols et d'autres crimes de guerre commis lors de leur attaque contre El Geneina », a déclaré Belkis Wille, directrice adjointe de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait signifier aux responsables de ces abus que le monde est attentif à ce qu'il se passe, en prenant des mesures urgentes pour mettre fin à ces atrocités ».

Fin juillet, Human Rights Watch s'est entretenu directement au Tchad avec neuf femmes et une jeune fille de 15 ans, originaires d'El Geneina et qui ont été victimes de viols et d'autres formes de violence sexuelle. Quatre d'entre elles, dont la jeune fille, ont été violées par plusieurs hommes. Human Rights Watch a également interrogé quatre femmes qui ont été témoins d'actes de violence sexuelle ou de leurs suites immédiates, ainsi que cinq prestataires de services, dont des travailleurs médicaux qui ont prodigué des soins à des victimes de violences sexuelles à El Geneina. Se basant sur les récits d'expériences personnelles de victimes et d'incidents dont elles ont été témoins, ainsi que sur des informations fournies par des prestataires de services, notamment sur les lieux où les incidents se sont produits, Human Rights Watch a documenté 78 victimes, ou survivantes, de viols commis entre le 24 avril et le 26 juin.

Les victimes qui ont parlé à Human Rights Watch ont affirmé que les violences sexuelles avaient été commises, selon les cas, par un à six assaillants armés. La plupart des groupes d'assaillants étaient composés d'hommes portant l'uniforme complet ou partiel des RSF et d'autres en habits civils. Dans de nombreux cas, ils arrivaient à bord de véhicules marqués RSF. Une femme a reconnu son assaillant comme étant un habitant arabe d'El Geneina.

Dans presque tous les cas signalés à Human Rights Watch, les responsables des viols ont également commis d'autres graves abus, notamment des passages à tabac, des meurtres, des actes de pillage ou des incendies de maisons, d'entreprises ou de bâtiments publics.

Toutes les victimes ont précisé que les attaquants avaient mentionné explicitement leur identité ethnique et proféré des insultes ethniques au sujet des Massalits ou des non-Arabes plus généralement.

Depuis 2019, les RSF et les milices qui sont leurs alliées ont régulièrement combattu des groupes armés massalits au Darfour occidental. Des griefs historiques basés sur l'ethnicité, notamment le fait que le gouvernement soudanais n'a pas réglé les problèmes liés à l'accès et à la propriété des terres, ont également alimenté les tensions. L'absence de justice pour les violations des droits commises dans le passé et la prolifération des armes, combinées à l'absence de réforme du secteur de la sécurité, ont encore ajouté à un climat tendu. Lors de la campagne de nettoyage ethnique entreprise au Darfour par le président soudanais d'alors, Omar el-Béchir, entamée en 2003, les forces gouvernementales et les milices janjawids, précurseures des Forces de soutien rapide, ont fréquemment attaqué les communautés non arabes, notamment les Massalit.

Au premier jour des attaques à El Geneina le 24 avril, cinq Arabes armés en vêtements civils sont entrés au domicile d'une étudiante âgée de 20 ans et de quatre autres femmes dans le quartier de Jabal. Ils leur ont demandé à quelle tribu elles appartenaient. « Nous avons menti et dit que nous étions Bargu », a dit cette étudiante. « Mais ils ont dit : 'Non, vous êtes Massalit, vous êtes Nuba [un terme utilisé au Soudan pour désigner soit des 'rebelles', soit des non-Arabes].'... L'un d'eux m'a violée pendant que les autres attendaient dehors. Puis un autre est venu et m'a violée aussi ».

Elle a ajouté que plus de deux mois après, elle était toujours traumatisée par cette agression : « Je pleure souvent et quand je pleure, ma gorge est douloureuse. Je n'arrive pas à dormir, je ne sens pas normale. Souvent quand je sors, je m'égare. Je suis désorientée quand j'essaye d'aller quelque part ».

Dans quatre cas, les assaillants ont mentionné explicitement le travail de ces femmes dans la défense des droits humains et, une fois, le travail du mari de l'une d'elles, ce qui indique qu'ils savaient qui ils étaient en train d'agresser.

Une seule des victimes interrogées a reçu des soins d'urgence après le viol à El Geneina. Au plus fort des violences, les RSF et les milices alliées ont pillé et incendié les établissements médicaux et les bureaux des organisations non gouvernementales qui prodiguaient une assistance psychologique aux victimes de violences sexuelles.

L'Organisation pour l'avenir des femmes (Women's Future Organisation), une organisation darfourie, a affirmé que seules 24 des 103 victimes de viol qu'elle avait enregistrées avaient bénéficié de services médicaux. Soixante-treize de ces incidents s'étaient produits au Darfour occidental.

Le droit international humanitaire, qui codifie les lois de la guerre, interdit aux parties à un conflit armé de s'en prendre délibérément aux civils. L'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 et le droit international humanitaire traditionnel, qui s'appliquent tous les deux à toutes les parties au conflit au Soudan, interdisent le viol et les autres formes de violence sexuelle. Les viols commis par des combattants peuvent constituer une forme de torture. Les viols et les autres formes de violence sexuelle commis dans le contexte d'un conflit armé constituent des crimes de guerre et, s'ils s'inscrivent dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique de la part d'un gouvernement ou d'un groupe armé à l'encontre d'une population civile, peuvent équivaloir à des crimes contre l'humanité.

Les normes internationales stipulent que le gouvernement doit atténuer les risques de violences sexistes dès le début de sa réponse à la crise, notamment une gestion clinique des viols et d'autres services au bénéfice des victimes de violences.

Le 11 août, Human Rights Watch a envoyé par courriel un résumé de ses conclusions au général Mohamed Hamdan Dagalo, le commandant des RSF, pour qu'il les commente, mais n'avait pas reçu de réponse au moment de la diffusion de ce communiqué.

Lors d'une conversation téléphonique le 1er août avec la Représentante spéciale de l'ONU pour les violences sexuelles dans les conflits armés, Pramila Patten, lors de laquelle celle-ci a appelé les parties à empêcher les violences sexuelles et à soigner les victimes lorsqu'elles se produisent, le général Abdul-Rahim Dagalo, commandant adjoint des RSF, a reconnu la gravité du problème des violences sexuelles dans le contexte d'un conflit armé. Les RSF ont rendu publique une déclaration à la suite de cet entretien, dans laquelle elles « l'assurent de la pleine coopération des RSF avec l'ONU afin d'enquêter sur toute allégation de violation des droits humains ».

Au Conseil des droits de l'homme de l'ONU en septembre, tous les États membres devraient soutenir l'ouverture d'une enquête internationale afin d'effectuer une investigation indépendante et de préserver les éléments de preuve des graves abus commis au Darfour et dans d'autres régions du Soudan, ce qui contribuera à faire en sorte que les personnes responsables soient amenées à rendre des comptes.

« Les gouvernements qui se préoccupent de cette situation doivent consacrer davantage de ressources aux victimes de violences sexuelles au Darfour », a affirmé Belkis Wille . « Les récits de viols d'une grande brutalité et les terribles conséquences de ces crimes devraient mobiliser les bailleurs de fonds pour répondre aux besoins des victimes et soutenir les mesures nécessaires pour faciliter l'administration de la justice ».

Pour prendre connaissance de davantage de détails sur les violences sexuelles commises à l'encontre des femmes et des filles à El Geneina, veuillez lire ci-dessous.

Viols durant le conflit à El Geneina depuis avril

El Geneina avait, avant le conflit, une population d'environ 538 000 habitants. Du 24 avril au 15 juin, on a assisté à plusieurs attaques délibérées contre les civils dans cette ville, menées essentiellement par les RSF et les milices arabes qui sont leurs alliées et visant principalement la population d'ethnie massalit.

L'ampleur des viols et des autres violences sexuelles commises par les Forces de soutien rapide et les milices alliées lors de leurs attaques contre El Geneina depuis fin avril est inconnue. Les noms des personnes interrogées ont été omis afin de protéger leur identité.

Une femme dont l'organisation darfourie fournit des services aux victimes de violences sexuelles, notamment des soins psychologiques, a déclaré que de la fin avril à la mi-mai, le groupe a identifié 13 victimes de viol. Après cela, cette femme et ses collègues ont effectué des recherches à El Geneina et ont identifié 51 autres cas jusqu'à la mi-juin, et quatre autres le 15 juin près de Shukri, un village que des personnes en fuite traversaient pour se rendre au Tchad.

La plupart des incidents relatés à Human Rights Watch se sont produits dans ou à proximité du domicile ou de l'abri temporaire de la personne. Des victimes ont affirmé que les agresseurs avaient explicitement cherché ou mentionné des membres de leur groupe ethnique et avaient proféré des insultes ethniques au sujet de leur identité massalit ou non arabe. Une femme a déclaré qu'elle avait réussi à convaincre un groupe d'hommes armés qui voulaient violer sa cousine âgée de 15 ans que celle-ci était d'une éminente famille arabe du quartier et qu'ils seraient punis s'ils commettaient cet acte. Ils sont partis sans l'agresser.

Certaines violences sexuelles ont été commises alors que des civils tentaient de fuir vers le Tchad. Une femme de 27 ans a affirmé qu'alors qu'elle fuyait la ville, elle a découvert une ancienne collègue âgée de 18 ans, moribonde, gisant au bord de la route avec une balle dans l'épaule gauche. Celle-ci lui a dit qu'elle avait été violée, puis abattue et lui a demandé de dire à sa famille de ne pas venir à sa recherche. La femme s'est alors enfuie rapidement, de peur d'être elle aussi attaquée. Elle s'est jointe à un groupe de civils qui fuyaient vers le Tchad et a affirmé qu'en chemin, des membres des RSF ont essayé d'emmener de force trois jeunes filles de ce groupe et, quand elles ont refusé de les suivre, ils les ont tuées par balles.

Une étudiante en économie de 28 ans a déclaré que huit hommes armés, deux en uniforme des RSF et six en civil, étaient entrés dans la maison de sa famille dans le quartier de Tadamun à El Geneina, le 8 juin vers 4h00 de l'après-midi, disant qu'ils cherchaient des hommes et des armes. Environ 20 personnes, membres de cette famille ou voisins, vivaient alors dans cette maison. Les assaillants ont passé à tabac les six hommes présents dans la maison avec des bâtons et des tubes en plastique. Elle a affirmé qu'un des assaillants a exigé que tous les résidents lui donnent leur téléphone cellulaire. Ils ont dit qu'ils n'en avaient pas mais l'un des agresseurs a trouvé le téléphone de cette femme dans sa chambre, puis lui a ordonné de venir dans la chambre et de lui montrer où elle cachait un autre téléphone. Elle a déclaré :

« Il m'a fouillée, la poitrine, puis là en-bas..., mais je n'avais pas d'autre téléphone. Il a dit : 'Tu dois te sacrifier ou nous tuerons tes frères.' J'ai dit : 'Non, tuez-moi et laissez vivre mes frères et ma famille, laissez-les partir.' J'ai dit que j'étais prête à sacrifier ma vie mais il a dit : 'Nous ne tuons pas les femmes.' Puis il a dit que je devais m'allonger ».

Elle a crié pour attirer l'attention de sa mère et quand celle-ci est arrivée en courant, l'un des hommes a tiré et a blessé la mère à la jambe. Un autre tir a manqué de peu la tante de la jeune femme qui essayait aussi de la protéger. « Le tir était très bruyant », a-t-elle dit. « J'ai cru qu'il n'y avait plus d'espoir. Qu'ils allaient tous les tuer devant moi. Puis il a mis le canon de son fusil contre ma tête et m'a violée ».

Son agresseur l'a blessée et elle a saigné abondamment de la zone génitale. Sa famille l'a emmenée à l'hôpital, où un médecin lui a posé des points de suture et lui a prescrit un moyen contraceptif et des médicaments d'urgence pour lui éviter des infections sexuellement transmissibles.

À fin juillet, sa blessure était infectée et elle souffrait beaucoup. Ses règles étaient en retard et elle craignait d'être enceinte, malgré les médicaments. « Après l'attaque, j'ai dit à ma mère que je ne voulais pas rester ici », a-t-elle dit. « 'Mon coeur rejette cet endroit.' Ma mère a répondu : 'Comment partir? Nous n'avons pas d'argent.' »

Seule la jeune femme a pu partir. Sa mère est restée, n'ayant pas assez d'argent pour le passage au Tchad. La jeune femme est sans nouvelles de sa mère depuis son départ.

Tôt dans la matinée du 26 juin, une femme de 24 ans est retournée, en compagnie de sa mère, à son domicile dans le quartier de Tadamun que les combattants des RSF et les milices avaient pillé quelques semaines auparavant, espérant récupérer des vêtements pour ses trois enfants. Deux hommes armés habillés en civil et un troisième en uniforme des RSF ont approché les deux femmes. La plus jeune femme a déclaré qu'elle avait reconnu ces trois hommes, qui vivaient dans le quartier de Jabal. Ils ont tout d'abord exigé que les femmes leur donnent toutes les armes qu'elles cachaient dans la maison. Puis l'un d'eux a ordonné à la jeune femme d'avoir un rapport sexuel avec lui, sinon il abattrait sa mère. Il a tiré une balle et a manqué sa mère de peu. Puis il a agrippé la jeune femme, l'a traînée dans la maison endommagée, et l'a violée. Après cela, a-t-elle dit, un autre homme du groupe de trois est entré, voulant faire la même chose mais le troisième homme l'a stoppé, lui disant : « Nous voulons les armes et les hommes, pas les femmes, donc laisse-les ».

Viols par plusieurs combattants

Quatre des victimes ont affirmé avoir été violées par plusieurs hommes, dont le nombre pouvait aller jusqu'à cinq.

Une jeune fille de 15 ans a affirmé qu'elle et sa famille étaient réfugiées avec quatre autres familles dans une maison du quartier de Madaris à El Geneina lorsque, le 7 ou le 8 juin vers midi, un groupe d'environ 20 membres des RSF en uniforme ont pris la maison d'assaut et commencé à frapper les occupants à coups de barre métallique. Elle a montré à nos chercheurs une grande cicatrice sur son bras gauche et une autre sur son oreille où elle a dit avoir été frappée. Elle a affirmé que cinq des hommes ont ordonné à tous les occupants de la maison de sortir, puis l'ont emmenée dans une autre pièce où ils l'ont violée chacun à son tour pendant six heures. « Quand ils sont enfin partis, j'ai essayé de partir aussi mais je suis tombée au bord de la route », a-t-elle dit. « Plus tard, un homme m'a trouvée et m'a transportée à dos d'âne au commissariat central de police. J'y suis restée 10 jours avant de pouvoir m'enfuir ».

Une professeure d'anglais âgée de 29 ans était chez elle avec ses trois jeunes enfants dans le quartier de Jabal au début du conflit, quand deux Arabes armés en vêtements civils ont pénétré dans sa chambre en pleine nuit. Elle a déclaré : « Je me suis réveillée alors que l'un d'eux me demandait :'Es-tu nuba ou arabe?' J'ai dit que j'étais arabe. ... Il a dit : 'Si tu es nuba, je vais te violer jusqu'à ce que tu meures, si tu es arabe, pas de problème mais tu dois m'épouser.' Je lui ai dit que je ne l'épouserais pas car je ne le connaissais pas. Alors il a dit : 'Si tu ne couches pas avec moi, je vais violer tes enfants et te tuer.' »

Il a alors appelé le deuxième homme, qui est venu et a maintenu la jeune femme au sol en pesant sur son cou avec sa botte, pendant que le premier homme la violait. Elle a affirmé que le premier homme était revenu trois fois au cours des jours suivants, amenant à chaque fois un homme différent avec lui. Dans l'un de ces cas, a-t-elle dit, les deux hommes l'ont violée. Elle a affirmé que l'homme qui revenait sans cesse lui avait dit à plusieurs reprises : « Je veux te mettre enceinte et que tu accouches de notre bébé ». Elle a ajouté qu'elle était terrifiée et ne pouvait pas dormir, craignant qu'ils ne reviennent, et qu'elle a fini par s'enfuir.

Le 13 juin, une étudiante de 20 ans a déclaré qu'elle s'était rendue seule à son domicile dans le quartier de Jamariq, pour récupérer des affaires qu'elle y avait laissées en s'enfuyant vers un autre quartier au début du conflit. A son arrivée à sa maison qui avait été partiellement incendiée, trois membres des RSF en uniforme l'ont vue, l'ont suivie à l'intérieur et ont commencé à fouiller la maison à la recherche d'hommes qui pourraient y être cachés, et d'armes ou d'uniformes de la police ou de l'armée. Elle a déclaré :

« Ils n'ont rien trouvé mais ils m'ont demandé à quelle tribu j'appartenais. J'ai dit Massalit. Alors ils m'ont tous les trois violée. Après leur départ, je suis restée là, gisante. Je ne croyais pas pouvoir marcher. Ils sont revenus quatre heures plus tard, m'ont ramassée et m'ont abandonnée dehors, sur la route, en me disant : 'Si tu ne quittes pas cette région, nous te tuerons.' Je me suis enfuie ».

Des viols manifestement ciblés

Les Forces de soutien rapide et les milices qui sont leurs alliées semblent avoir pris pour cibles certaines femmes à cause de leur rôle ou de celui d'un membre de leur famille en tant qu'activistes au sein de la communauté massalit.

Une journaliste et activiste des droits humains âgée de 28 ans, qui a affiché des vidéos sur des abus commis contre la population massalit à El Geneina, a déclaré que le 12 mai vers midi, quatre hommes, dont l'un portait une veste d'uniforme des RSF, l'ont enlevée alors qu'elle sortait de chez elle. Elle a affirmé que ces hommes lui ont bandé les yeux et l'ont emmenée « quelque part en dehors de la ville », où elle croit avoir été détenue à l'intérieur d'un enceinte entourée de murs. D'autres personnes y étaient détenues aussi, mais elle ne sait pas combien car elle avait les yeux bandés. Une femme qui avait un bébé lui a dit que les hommes armés l'avaient violée. L'activiste a indiqué qu'il lui était apparu clairement que ces hommes savaient qui elle était :

« [Un homme] disait : 'Qui t'a payée pour être active et dire ces choses en ligne? Tu es massalit, tu ne sais rien, tu ne devrais pas rester à El Geneina.' D'autres me disaient de quitter la ville et m'ont dit : 'Tu es une esclave.' Puis l'un d'eux a dit : 'Nous devrions violer les femmes nubas jusqu'à ce qu'elles donnent naissance à nos enfants.' Puis deux d'entre eux m'ont violée. J'ai perdu connaissance et quand je me suis réveillée, je me suis retrouvée devant chez moi le lendemain à 5h00 du matin ».

Elle s'est enfuie de la ville plus tard ce jour-là.

Une assistante sociale et activiste des droits humains âgée de 25 ans a déclaré que le 27 avril, une quinzaine de membres des RSF en uniforme sont entrés de force dans la maison de sa famille et ont ouvert le feu, tuant son frère, âgé de 16 ans, et blessant son père. À ce moment-là, elle était dans la maison voisine, chez sa tante. Elle a affirmé que les RSF ont fait sortir de force sa soeur de la maison dans la rue, criant qu'ils la cherchaient et qu'ils retiendraient sa soeur jusqu'à ce qu'elle sorte. Elle est donc sortie et deux des hommes l'ont traînée dans la maison d'un voisin et l'ont violée.

« Pendant qu'ils le faisaient, ils disaient : 'Vous les activistes et vos chefs, vous devez cesser de parler de nous' », a-t-elle dit. « Après cela, ils m'ont laissée partir ».

La femme de 27 ans qui a découvert une collègue blessée dans la rue a déclaré qu'elle avait été violée par plusieurs membres des RSF en 2019 et qu'elle a continué de souffrir de conséquences médicales à long terme, notamment d'infertilité. Le 15 juin 2023, elle et des membres de sa famille étaient réfugiés dans la maison d'un proche dans le quartier de Madaris lorsqu'un groupe de 16 membres des RSF en uniforme sont entrés de force dans la maison à la recherche de son mari, un activiste véhément des droits humains des Massalits. Elle a affirmé que quatre hommes ont commencé à la frapper, exigeant qu'elle leur dise où était son mari.

L'un d'eux lui a donné un coup de pied dans le ventre et quand elle est tombée à terre, deux hommes l'ont maintenue de force au sol, chacun tenant un de ses bras, et un troisième lui a fourré quelque chose dans la bouche pour la réduire au silence. Trois d'entre eux l'ont violée chacun à son tour. Elle a perdu connaissance mais est revenue à elle plusieurs heures plus tard, pour découvrir qu'elle était la seule personne encore vivante dans la maison. Les cadavres de quatre hommes, trois femmes et deux enfants étaient sur le sol, chacun portant les traces de multiples coups de feu. Elle a déclaré : « Quand j'ai essayé de marcher, je n'ai pas pu, je me suis mise à vomir. Finalement la nuit venue, j'ai pu retrouver la force de marcher. Je ne savais pas où j'allais mais j'ai marché, marché, marché. J'ai passé deux jours à essayer de retrouver ma famille mais sans succès. Et je n'ai trouvé ni nourriture, ni eau ». Elle a précisé qu'elle avait des saignements depuis son agression mais qu'elle n'a pas pu obtenir de soins médicaux.

Une femme de 26 ans a déclaré qu'avant même les récentes violences à El Geneina, elle avait reçu une menace sur les réseaux sociaux de la part d'une source inconnue, relative à son travail. Le 15 juin, alors que l'attaque des RSF et des milices était en cours, elle et d'autres civils ont cherché refuge dans une maison du quartier de Madaris. Elle a affirmé que sept membres des RSF en uniforme ont fait irruption dans la maison, à la recherche d'hommes et d'armes. Un de ces hommes, qui a dit la reconnaître après l'avoir vue sur son lieu de travail, l'a forcée à l'accompagner dans une autre pièce. Une fois dans cette pièce, il a tiré un coup de fusil en l'air. Elle a déclaré :

« Puis il a commencé à me toucher les seins, demandant : 'Es-tu mariée?' J'ai dit 'Oui,' et je l'ai supplié de ne pas m'agresser. J'ai dit : 'C'est comme si j'étais ta soeur.' Je me suis mise à pleurer mais il m'a giflée et a dit : 'Aujourd'hui tu vas t'asseoir ici.' J'ai essayé de m'en aller mais il a menacé de m'abattre. Il m'a poussée au sol en pointant son fusil sur moi et m'a forcée à m'allonger. J'ai essayé de me défendre mais je n'ai pas pu ».

Elle a affirmé que cet homme l'avait violée à trois reprises. Après le départ de cet homme et des autres combattants, une femme plus âgée est venue et l'a consolée. « Nous avons pleuré ensemble », a-t-elle dit. « Elle m'a apporté de l'eau et m'a emmenée à la salle de bains pour me nettoyer. Je n'arrêtais pas de pleurer. ... J'espère obtenir justice un jour. Je veux de la sécurité, c'est tout ce que je veux. Je ne peux plus dormir, je ne peux plus me détendre, je fais des cauchemars, dans lesquels je suis violée encore et encore. J'ai simplement besoin d'être en lieu sûr ».

Accès à des soins d'urgence après un viol

Une victime qui a été interrogée par Human Rights Watch a reçu des soins immédiats d'après-viol à El Geneina. Des prestataires de soins médicaux de deux autres cliniques d'El Geneina ont déclaré que cinq femmes s'étaient rendues dans des établissements médicaux après avoir été violées, mais n'avaient pas reçu de soins d'urgence appropriés, soit parce que ce genre de soins n'était pas disponible, soit parce qu'elles n'avaient pas signalé initialement au personnel qu'elles avaient subi des violences sexuelles. La femme dont l'organisation fournit ce genre de services a indiqué qu'en raison du sentiment de honte qui entoure les violences sexuelles, le nombre exact des victimes est très probablement beaucoup plus élevé que celui des femmes qui ont cherché à obtenir des soins médicaux et autres services.

Une suspension des réseaux de communication à El Geneina, à la mi-mai cette année, a également rendu plus difficile pour les victimes d'accéder à ces services.

Quoique l'avortement soit légal au Tchad dans les cas de viol, d'inceste ou de risques pour la santé ou la vie de la mère ou pour la viabilité du foetus, les travailleurs médicaux signalent que dans la pratique, il est très difficile d'accéder à une procédure d'avortement sûre. Le ministère de la Santé doit autoriser l'avortement sur la base d'un certificat émanant d'un médecin et affirmant que le cas en question correspond aux normes légales. Ces obstacles, s'ajoutant à une infrastructure sanitaire inadéquate, limitent souvent la capacité des prestataires de services de traiter des cas de violence sexiste ou de fournir des soins spécialisés de santé sexuelle et reproductive.

Une victime interrogée par Human Rights Watch a confirmé qu'elle s'était trouvée enceinte après avoir été violée. Deux autres ont indiqué qu'elles pensaient être enceintes car elles n'avaient pas eu leurs règles et avaient de fréquentes nausées.

Le Plan de réponse régional au problème des réfugiés pour le Soudan (Sudan Regional Refugee Response Plan), qui vise à venir en aide aux réfugiés, aux personnes qui reviennent d'exil et aux communautés d'accueil en République centrafricaine, au Tchad, en Égypte, en Éthiopie et au Soudan du Sud, n'était financé qu'à hauteur de 15% à la fin juin 2023. Les gouvernements, les Nations Unies et les agences humanitaires devraient se donner pour priorité d'assurer que toutes les victimes de violences sexuelles puissent avoir accès, en temps voulu et de manière confidentielle, à des services adéquats et vitaux, au Soudan et dans les sites accueillant les personnes déplacées et réfugiées, en conformité avec les normes internationales.

Le traitement d'une patiente après un viol devrait inclure toute la gamme des besoins physiques (une prophylaxie préventive du VIH - virus du Sida - et d'autres infections sexuellement transmissibles, un traitement des blessures et des infections sexuellement transmissibles, une contraception d'urgence, un accès à l'avortement et à d'autres soins gynécologiques), ainsi qu'un soutien émotionnel ou psychologique à la fois immédiat et de long terme.

Le rapport de 2022 du Secrétaire général de l'ONU sur les violences sexuelles liées à un conflit armé indique que « l'accès à des services est difficile sur tout le territoire [du Soudan], où le traitement clinique du viol, l'assistance juridique et le soutien psychologique et social ne sont disponibles que dans 39% des localités ».

Impunité persistante pour les violences sexuelles au Darfour

Les violences sexuelles sont depuis 2003 un aspect central du conflit dans la province du Darfour, où les forces armées soudanaises ont perpétré des viols et d'autres violences sexuelles de manière systématique. En dépit des nombreuses enquêtes annoncées par le gouvernement soudanais sur les abus présumés commis par ses forces de sécurité au Darfour, Human Rights Watch n'a connaissance d'aucune enquête ayant fait des progrès significatifs vers une désignation des responsables.

En 2008, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a observé que « le viol est une partie intégrante de la stratégie de destruction que le gouvernement du Soudan inflige à des groupes ethniques ciblés au Darfour » et son Bureau a d'ores et déjà prononcé des inculpations pour viol dans ses dossiers concernant le Darfour.

En 2022, le Bureau de la Représentante spéciale de l'ONU pour les violences sexuelles dans les conflits armés, Pramila Patten, avait signalé 96 cas de violences sexuelles liées au conflit commises par les forces de sécurité du Soudan et appelé à la fois les Forces armées soudanaises et les RSF, qui à l'époque faisaient partie des forces de sécurité du gouvernement, à s'engager en faveur d'une politique de tolérance zéro et à raviver leur coopération avec le Bureau. Cependant, Human Rights Watch n'a connaissance d'aucune mesure concrète prise par les RSF pour faire face et mettre fin aux violences sexuelles commises par leurs membres.

Recommandations

Les Forces de soutien rapide et les milices qui sont leurs alliées devraient respecter pleinement le droit international humanitaire, y compris en adoptant des mesures pour mettre fin aux viols et aux autres actes de violence sexuelle commis par leurs forces. Les hommes responsables de graves abus, y compris les commandants de haut rang, devraient être punis de manière appropriée. Les gouvernements et les autres entités ayant une influence sur les parties au conflit devraient agir pour promouvoir le respect du droit international.

Les États membres du Conseil de sécurité de l'ONU devraient publiquement identifier et condamner les gouvernements qui ne respectent pas l'embargo sur les armes mis en place au Darfour et imposer des sanctions ciblées à l'encontre des commandants et des fonctionnaires responsables de graves abus, notamment de violences sexuelles. Le Conseil devrait également inviter les membres des communautés affectées par la guerre au Darfour, y compris des victimes de violences sexuelles, à participer à une séance de briefing du Couseil.

Les membres du Conseil de sécurité et les autres pays devraient soutenir activement la Cour pénale internationale dans ses investigations au Darfour, en particulier à la lumière de l'annonce par le procureur que son bureau enquêtait sur les récentes atrocités. L'attitude d'obstruction des enquêtes de la Cour adoptée dans le passé par le gouvernement soudanais et la passivité du Conseil de sécurité face à cette obstruction ont facilité l'impunité et la commission de nouveaux crimes.

Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait charger le Secrétariat de l'Organisation de préparer, dans un délai de 45 jours, un document présentant des options pour une action supplémentaire visant à protéger les civils au Soudan, avec un accent particulier sur le Darfour, et qui examine comment configurer différemment le mandat de la Mission intégrée de l'ONU pour l'assistance à la transition au Soudan (MINUATS), incluant un soutien à une force régionale africaine.

L'Union africaine et l'Autorité intergouvernementale pour le développement devraient soutenir une réponse coordonnée à la crise par le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU devrait, lors de sa session de septembre, créer un mécanisme indépendant ayant pour mandat d'enquêter et de recueillir et préserver les preuves des graves violations et abus commis actuellement au Darfour et ailleurs au Soudan, dans le but d'en identifier les responsables et d'émettre des recommandations pour les amener à rendre des comptes.

Un tel mécanisme devrait disposer des ressources et de l'expertise nécessaires pour assurer des enquêtes vigoureuses sur les violences sexuelles liées au conflit, en conformité avec les normes internationales, par des professionnels entraînés et expérimentés, suivant une approche qui place au premier plan les besoins des victimes, et obtenir des éléments de preuve, notamment par les techniques médico-légales, tout en atténuant les risques d'ajouter encore au traumatisme qu'elles ont subi. Ceci implique de ne pas soumettre les victimes à d'inutiles répétitions d'examens physiques ou entretiens au sujet des incidents ou à des examens par des personnes dénuées d'expérience dans le domaine de la réponse aux violences sexuelles et à la collecte de preuves. Cela implique également d'assurer aux victimes un accès à des services médicaux, psychologiques, juridiques et socioéconomiques.

L'Union européenne et les autres gouvernements qui se préoccupent de cette situation, y compris les États-Unis, devraient d'urgence imposer des sanctions ciblées à l'encontre des dirigeants des RSF, des Forces armées soudanaises et des groupes armés responsables de graves abus à l'égard des civils.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.