Tunisie: Il faut mettre fin au harcèlement judiciaire du président de l'Association des magistrats tunisiens

communiqué de presse

Le 21 août, le juge Anas Hmedi, président de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), comparaissait devant un juge d'instruction au tribunal de première instance du Kef, pour répondre de l'accusation d' « incitation à cesser le travail », en lien avec une grève des magistrats en 2022, ont déclaré aujourd'hui sept organisations de défense des droits humains.

Les organisations signataires appellent les autorités tunisiennes à abandonner les chefs d'accusation retenus contre Anas Hmedi et à mettre fin à toute forme de harcèlement contre les juges qui exercent leurs droits aux libertés d'expression, de réunion et d'association de façon pacifique.

Ces poursuites au motif politique et le ciblage constant du président de l'AMT constituent des actes de représailles, après la prise de position de l'association en opposition à l'offensive menée contre l'indépendance de la justice et ingérences systématiques de l'exécutif tunisien dans le système judiciaire du pays ; deux phénomènes qui ont accompagné la confiscation des pouvoir opérée par le chef de l'État depuis son coup de force du 25 juillet 2021, ont affirmé les sept organisations.

Depuis juillet 2021, Hmedi, qui siège à la Cour d'appel de Monastir, a d'abord été visé, avec d'autres juges, par ce qui semble être une campagne de diffamation, puis a fait l'objet de procédures disciplinaires arbitraires et de poursuites pénales. Les autorités ont intensifié leur harcèlement à l'encontre de Hmedi après qu'il eut co-organisé, en tant que président de l'AMT, une grève des magistrats en juin 2022 pour protester contre la révocation arbitraire de 57 magistrats par le président Kais Saied. En particulier, l'Inspection générale du ministère de la Justice l'a convoqué à plusieurs reprises pour l'interroger sur ses activités associatives.

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En juillet 2022, le bureau du procureur au tribunal de première instance de Monastir a requis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) temporaire CSMT, mis en place par le président Saied, la levée de l'immunité judiciaire de Hmedi, afin de permettre d'engager des poursuites contre lui sur la base des chefs d'accusation criminels liés à sesprétendues « entrave au travail » et « incitation » à la grève d'autres juges du tribunal de Monastir.

Cette requête fait suite à la plainte d'un avocat au sujet de faits datantdu 13 juin 2022, lorsque Hmedi était intervenu pacifiquement lors d'une audience au tribunal de Monastir, pour demander à un juge de suspendre l'audience et de se joindre à la grève, demande à laquelle le magistrat avait répondu positivement, selon l'un des avocats de Hmedi, Faouzi Maalouli. La grève des magistrats a duré quatre semaines entre juin et juillet 2022.

Le 20 septembre 2022, le CSM temporairea levé l'immunité judiciaire de Hmedi. Par la suite, en octobre 2022, l'adjoint au procureur du tribunal de première instance de Monastir a ouvert une enquête criminelle à l'encontre de Hmedi, en vertu de l'article 136 du code pénal tunisien pour « inciter[un juge] par violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses à une cessation individuelle ou collective de travail », offense passible de trois ans d'emprisonnement et d'une amende.

En août 2022, le CSM temporaire avait déjà ouvert une procédure disciplinaire à l'encontre de Hmedi sur la base de ces mêmes allégations. En mars 2023, le CSM temporaire a convoqué Hmedi pour une audience disciplinaire dont la date a été initialement fixée au 16 mai, avant d'être reportée au 26 septembre 2023.

Hmedi est ciblé pour sa défense légitime et pacifique de l'indépendance de la justice. Il s'agit, pour les autorités, de de signifier explicitement qu'aucune contestatiton du contrôle exercé par l'exécutif sur le système judiciaire ne sera toléré, ont affirmé les sept organisations.

Les actions de Hmedi et le travail de l'AMT sont protégés par le droit international en matière de droits humains, notamment par les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) sur les droits aux libertés d'expression, de réunion pacifique et d'association, respectivement. Les Principes fondamentaux de l'ONU relatifs à l'indépendance de la Justice stipulent que « les juges sont libres de constituer des associations de juges ou d'autres organisations, et de s'y affilier pour défendre leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger l'indépendance de la magistrature ».

Contexte

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges et des avocats et le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association ont exprimé leur préoccupation au sujet du ciblage de Hmedi, dans une communication adressée au gouvernement tunisien le 22 août 2022.

Le CSM temporaire a levé l'immunité judiciaire d'Anas Hmedi mais s'est abstenu -selon ce dernier- de l'en informer officiellement par écrit, comme l'exige la loi. Sans une notification officielle écrite de la décision, Hmedi s'est trouvé dans l'impossibilité de contester immédiatement la levée de son immunité devant le tribunal administratif, ce qui représente une violation de son droit à un recours. Ce n'est que lorsqu'il a eu accès à une copie de son dossier auprès du tribunal de première instance de Monastir, en décembre 2022, qu'il a pu obtenir une copie de la décision du CSM temporaire, dont il aurait eu besoin pour faire appel.

En décembre 2022, Hmedi a contesté, devant le tribunal administratif, et demandé la suspension immédiate de la décision du CSM temporaire de lever son immunité judiciaire. Selon la loi tunisienne, les demandes de suspension de décisions administratives doivent être traitées en procédure d'urgence et, en pratique, elles sont examinées en quelques mois, selon des avocats. Cependant, la requête de Hmedi est toujours en cours de traitement.

En février 2023, le Procureur général de la Cour d'appel de Tunis a décidé de transférer le dossier de Hmedi du tribunal de Monastir au tribunal de première instance du Kef.

Le 1er juin 2022, le président Saied a émis le décret-loi 2022-35, qui lui confère l'autorité de révoquer sommairement des magistrats sans respect des procédures régulières. Le même jour, il a également révoqué 57 juges et procureurs par décret, les accusant de corruption.

La loi tunisienne garantit le droit de grève. L'article 36 de la Constitution de 2014, en vigueur lorsque s'est déroulée la grève de juin-juillet 2022, assurait à chaque citoyen le droit de se syndiquer, à l'exception des personnes employées dans l'armée, des membres des forces de sécurité et des agents des douanes. La Constitution de 2022, qui est entrée en vigueur en août, prive, elle, les magistrats du droit de grève.

Signataires

Commission internationale des juristes (International Commission of Jurists, ICJ)

Association internationale des magistrats (AIM)

Human Rights Watch (HRW)

Euromed Droits

Avocats sans frontières (ASF)

Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient (Tahrir Institute for Middle East Policy, TIMEP)

Organisation mondiale contre la torture (OMCT)

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