Ile Maurice: Trafic de drogue - Les caïds impliquent davantage de mineurs

Depuis le début de l'année, six mineurs ont été arrêtés pour trafic. L'un d'entre eux a été pris en flagrant délit dans son collège. Le trafic de drogue en milieu scolaire est une réalité. Les mineurs seraient-ils dans le collimateur des caïds qui voient en eux des proies de choix car soumis à moins d'implications judiciaires?

Un adolescent de 15 ans a été interpellé par l'Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) dans un village du Sud, le mercredi 2 août. Il était en possession de 25 doses d'héroïne et de Rs 2 000. Le suspect, qui habite l'Ouest, avait été placé sous surveillance suite à des soupçons de trafic. Puis, le 16 août, l'ADSU a été sollicité dans une institution privée de Curepipe après qu'un enseignant ait découvert de la drogue synthétique sur un élève de 17 ans.

La situation est très inquiétante selon des travailleurs sociaux qui affirment avoir déjà tiré la sonnette d'alarme concernant le rajeunissement des consommateurs, mais aussi des trafiquants. Tout porte à croire que les barons impliqueraient davantage de mineurs au coeur du trafic car il y a moins d'implications judiciaires.

«Depuis cinq ans, je ne cesse de répéter qu'il y a un rajeunissement des vendeurs de drogue. Les jeunes sont facilement influençables ; ils se laissent tenter pour gagner de l'argent et s'acheter des vêtements de marque et des motos Pulsar, entre autres. La stratégie des caïds a évolué», confie le travailleur social Ally Lazer. «Ils savent que les mineurs sont facilement exploitables et les trafiquants se servent d'eux pour écouler leur marchandise.»

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Le travailleur social explique que ce n'est pas un phénomène nouveau, mais que les cas sont aujourd'hui médiatisés. «J'ai été témoin d'un cas dans l'Est où une trafiquante se servait de mineurs pour vendre de la drogue. Autour de sa table, une dizaine de mineurs étaient à son service et allaient livrer de la drogue contre Rs 2 000 ou Rs 3 000 comme récompense. Les caïds exploitent le fait que les mineurs sont rarement envoyés en prison, alors que si un adulte se fait surprendre, il risque une lourde peine.»

Ally Lazer cite en exemple le cas d'un jugement de la Children's Court, rendu le 7 août. Un mineur de 15 ans a été reconnu coupable de possession de cannabis et a bénéficié d'un sursis probatoire. Dans son jugement, la magistrate Renu Gowry-Bhurrut a conclu que l'emprisonnement doit être une mesure exceptionnelle, soigneusement motivée, et qu'en l'espèce, le jeune homme avait vécu une enfance difficile. Suite à un rapport social défavorable quant à l'exécution de travaux d'intérêt général, le tribunal pour mineurs lui a accordé un sursis probatoire de deux ans afin de lui donner l'opportunité de se réorienter.

«Il y a tout un travail pédagogique à faire auprès des mineurs afin qu'ils ne se retrouvent pas dans cet univers infernal. Les trafiquants profitent de la faiblesse de nombreux jeunes qui vivent dans des conditions précaires», soutient Ally Lazer.

Selon les chiffres de l'ADSU, en 2022, cinq mineurs ont été arrêtés pour «drug dealing», et depuis le début de cette année, six mineurs ont été arrêtés pour les mêmes motifs. La brigade antidrogue explique qu'elle effectue un travail de terrain, que ce soit dans les collèges ou les centres communautaires, afin de sensibiliser un maximum de mineurs pour qu'ils ne tombent pas dans le piège des trafiquants. De plus, il y a le programme de prévention Get Connected, qui vise les jeunes entre 12 et 13 ans.

«Les trafiquants profitent de la faiblesse de nombreux jeunes qui vivent dans des conditions précaires.»

Un officier nous a expliqué que c'est aussi un couteau à double tranchant pour les dealers d'utiliser des mineurs qui, au contraire, risquent de se faire avoir plus facilement. «Le mineur ne pourra pas subir la pression d'un interrogatoire et aura tendance à craquer plus facilement et à balancer le nom des individus, alors qu'il est plus difficile que certains adultes crachent le morceau et déballent tout.»

Ces cas qui ont fait grand bruit

Un adolescent intercepté sur une moto avec Rs 1 M d'héroïne

Un adolescent de 14 ans a été interpellé, dans la matinée du 1er janvier 2023, alors qu'il convoyait un colis de drogue entre Roche-Bois et Résidence Kennedy, à Quatre-Bornes. C'est au niveau de Plaine-Lauzun, vers 8 h 20, que deux motards de la «Traffic Enforcement Squad» l'ont intercepté. Ils ont trouvé de l'héroïne en sa possession, d'une valeur marchande de Rs 1 million.

Enfant mule intercepté à l'aéroport avec du Subutex

Cette affaire avait défrayé la chronique en mai 2019. Deux enfants, âgés de 9 et 6 ans, avaient été interpellés, le 11 mai 2019, à leur arrivée à Maurice à l'aéroport international SSRN. Ils avaient voyagé seuls de Paris. Suite à une vérification de leurs bagages, 2 310 plaquettes de Subutex et 178 plaquettes de Tramadol, estimées à Rs 5,5 millions, avaient été découvertes. Leur mère, venue les récupérer, avait été arrêtée.

Le protocole lorsqu'un mineur est arrêté

Dès qu'il y a une saisie de drogue sur un mineur, les parents ou «responsible parties» sont alertés. Les versions sont enregistrées en présence des adultes. Selon les dispositions de la «Children's Act», les mineurs sont relâchés sur parole. Un représentant du «Probation Office» enclenche une enquête sociale et rédige un rapport («Social Enquiry Report»), qui est envoyé au bureau du Directeur des poursuites publiques pour la marche à suivre.

Ce que dit la loi

Diksha Caussy : «Un enfant de moins de 14 ans ne peut pas pleinement comprendre ses actions et les conséquences...»

Selon Me Diksha Caussy, la loi relative aux infractions commises par les mineurs est la Children's Act 2020. «Les mineurs sont considérés comme des enfants. Cependant, la loi prévoit des dispositions spécifiques pour les mineurs. Toute personne de moins de 18 ans est considérée comme un enfant, tandis qu'un mineur est quelqu'un qui est âgé de 14 ans ou plus, mais qui a moins de 18 ans.»

Les sections 49-50 de cette loi traitent de la responsabilité pénale des enfants. «La section 49 stipule qu'un enfant de moins de 14 ans ne peut pas être poursuivi pour une infraction pénale. Un enfant de moins de 14 ans est considéré comme manquant de capacité appropriée de discernement, c'est-à-dire qu'il ne peut pas pleinement comprendre ses actions et, surtout, les conséquences de ces actions. Ainsi, la loi mauricienne n'autorise pas la poursuite des enfants de moins de 14 ans. La procédure est différente dans une situation où un enfant de moins de 14 ans a commis une infraction.»

La Children's Act prévoit des dispositions plus strictes en ce qui concerne les mineurs par rapport aux enfants de moins de 14 ans. Pour ces derniers, il n'y a aucune possibilité de poursuite tandis que dans le cas d'un délinquant mineur, la loi autorise des poursuites. Lorsque la police a des motifs raisonnables de soupçonner un mineur d'avoir commis une infraction, ce dernier est arrêté et l'agent de police est tenu d'informer immédiatement ses parents de l'arrestation. Lorsqu'un mineur a été arrêté sur des soupçons raisonnables d'avoir commis une infraction pénale, la détention est, autant que possible, imposée uniquement en dernier recours.

Selon l'avocate, la décision de poursuivre ou pas relève du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Si ce dernier est d'avis que les poursuites pénales engagées contre un mineur doivent être interrompues, le bureau du DPP demande alors à un agent de probation d'évaluer si ce serait dans l'intérêt supérieur du mineur de s'inscrire à un programme de déjudiciarisation, au lieu d'être poursuivi ou si les poursuites pénales contre lui continuent.

Si l'agent de probation estime qu'il sera dans l'intérêt supérieur du mineur de s'inscrire à un programme de déjudiciarisation, le bureau du DPP peut proposer au mineur de s'y inscrire. En revanche, si l'agent de probation évalue que l'inscription à un tel programme ne serait pas dans le meilleur intérêt de l'enfant, le DPP peut engager des poursuites pénales contre le mineur ou réengager des poursuites contre l'enfant, si des poursuites pénales ont été engagées et interrompues.

Un programme d e déjudiciarisation est un schéma de supervision et de réadaptation individualisé non résidentiel, mis en oeuvre par le ministère responsable des services de probation et d'après-soins. Ce programme a pour objectif la réadaptation des mineurs sans recourir à des poursuites pénales formelles. Le programme de déjudiciarisation est individualisé afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque mineur.

Les peines qui peuvent être infligées à un mineur en cas de condamnation comprennent : la libération absolue ou conditionnelle ; une amende ; le mineur est confié aux soins de ses parents, d'un proche parent ou d'une autre personne apte et le soignant devant garantir le bon comportement du mineur ; le mineur est confié à la garde d'un lieu de détention et de formation, ou le mineur est condamné à purger une peine d'emprisonnement. Lorsque le tribunal estime qu'il est nécessaire, pour la réhabilitation d'un mineur, qu'il suive une formation dans un établissement spécialisé, le tribunal peut ordonner que le mineur soit envoyé au centre de jeunesse correctionnel

Dans le cas des mineurs reconnus coupables d'infractions passibles d'emprisonnement, ces derniers sont envoyés dans un centre de réhabilitation.

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