Afrique: Agroalimentaire et innovation - Au coeur d'un enjeu stratégique

Miser sur l'innovation pour doper les systèmes agroalimentaires du pays, c'est le challenge lancé par les autorités et les partenaires au développement. Et selon les observateurs, l'enjeu lié à ce domaine est stratégique car il s'agit de l'avenir de notre économie, mais aussi de notre capacité à mieux nourrir la population.

Un atelier de restitution de la Stratégie digitale de l'agriculture malgache, dans le cadre du projet d'Appui à l'innovation et la digitalisation des systèmes agroalimentaires, organisée conjointement avec le ministère de l'Agriculture et de l'élevage (Minae), le ministère du Développement numérique, de la transformation digitale, des postes et des télécommunications (MDNDPT) et la FAO, s'est tenu, le 22 août à Antananarivo.

Une occasion qui a permis de situer les progrès réalisés par Madagascar dans ce domaine, mais aussi les perspectives. L'objectif de la stratégie d'innovation des systèmes agroalimentaires et de la transformation digitale de l'agriculture malgache est d'identifier les axes stratégiques et les interventions clés à mettre en oeuvre à court, moyen et long terme qui permettront à Madagascar, grâce aux technologies numériques, de transformer son secteur agricole, d'améliorer sa sécurité alimentaire, d'améliorer les revenus des agriculteurs et agricultrices les plus défavorisés, et de développer son économie grâce aux exportations et à la valorisation du potentiel agricole du pays. C'est ce qu'a partagé dernièrement le ministère de l'Agriculture.

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La vision dans ce domaine pourrait se définir ainsi : « Transformer l'agriculture traditionnelle malgache grâce aux nouvelles technologies inclusives avancées pour optimiser les rendements, favoriser l'accès au marché, préserver l'environnement, s'adapter au changement climatique et accroître la sécurité alimentaire dans un contexte agricole numérique en évolution rapide. » La finalisation de cette stratégie est prévue pour le mois de septembre. En mars 2022, l'État a signé avec la FAO une convention de partenariat pour l'appui à l'innovation et à la digitalisation des systèmes agroalimentaires.

À cette occasion, il a été souligné que cette collaboration vise à rendre la filière agroalimentaire et les services agricoles plus accessibles, plus interactifs et plus performants, tant au niveau des producteurs qu'aux différents maillons de la chaîne de valeurs agricole pour leur permettre de tirer profit des nombreuses opportunités et de faire face aux différentes menaces.

Les signataires de la convention ont ajouté que l'innovation se concentrera notamment sur l'efficacité et l'efficience en matière de conseil et de formation agricole, d'intermédiation et de partenariat, puis de diffusion d'informations cruciales, notamment en matière commerciale, météorologique, sanitaire, réglementaire, etc.

Une initiative qui contribuera, à terme, à accélérer la transformation positive des systèmes alimentaires et les rendre plus durables, résilients et inclusifs. « Le Minae, avec l'appui des partenaires techniques et financiers, et le MDNDPT sont déjà à pied d'oeuvre dans cette réforme technologique du secteur agricole. Cela, à travers la mise en place, prochainement, d'un système de collecte, de gestion et d'exploitation de données géoréférencées sur les producteurs, les filières exploitées et l'historique des interventions de l'État à leur endroit », fait-on savoir.

Concernant les réalisations déjà faites, il a été rapporté notamment que les premières cartes digitalisées de producteurs ont été distribuées au mois de novembre 2021, dont les intérêts sont de valoriser le métier paysan à Madagascar, d'apporter aux producteurs des appuis mieux cadrés à leurs besoins et de leur permettre d'avoir l'opportunité de bénéficier de différentes offres de services, dont la possibilité de souscrire plus tard, à l'assurance-retraite pour les producteurs.

Le ministre de l'Agriculture et de l'élevage, Harifidy Ramilison, a mis en exergue que l'implication et l'engagement de toutes les parties prenantes dans ce processus d'innovation des systèmes agroalimentaires est nécessaire. Un point de vue partagé par les partenaires techniques et financiers qui rappellent souvent que des ressources importantes sont fournies par les bailleurs de fonds pour que la Grande Ile puisse moderniser son économie agricole et instaurer un système plus efficace en faveur de la sécurité alimentaire.

Un profil pays déjà élaboré

Madagascar dispose, depuis 2021, des résultats d'une étude sur son profil agroalimentaire. Selon ses auteurs, cette étude est très utile, car elle permet de mieux cerner la situation et d'identifier les actions à réaliser pour rendre les systèmes agroalimentaires plus efficaces grâce à l'introduction d'innovations. « Il s'agit d'activer la transformation durable et inclusive de nos systèmes agricoles et alimentaires », souligne-t-on également. Les techniciens à l'origine de l'étude notent qu' impulser un nouveau contour aux systèmes agroalimentaires demandera bien plus que des initiatives agronomiques. Les efforts entrepris en faveur de la production ont, certes, contribué à accroître la disponibilité alimentaire, mais trouvent rapidement leur limite dans la paupérisation des ménages ruraux, les carences des régimes alimentaires, l'enclavement de nombreuses zones productrices, l'insécurité rurale et la dégradation des ressources naturelles.

Le défi de vouloir améliorer les systèmes nationaux dépend à la fois des efforts du secteur agricole pour la disponibilité en quantité et qualité d'aliments diversifiés, des travaux publics pour le désenclavement des zones de production, de l'éducation pour que les consommateurs d'aujourd'hui aient les comportements nutritionnels adaptés, et des forces de sécurité. Mais il dépend aussi du secteur du commerce pour l'approvisionnement et la distribution ainsi que du secteur de l'environnement pour la préservation et la durabilité des ressources naturelles. Au niveau des constats faits, il est remarqué notamment que la capacité d'investissement dans la production et l'innovation est limitée par les très fortes contraintes financières des ménages agricoles.

La quantité et la qualité consommées sont limitées par un pouvoir d'achat très faible. Les ressources humaines et pécuniaires faibles allouées au secteur, généralement gérées au niveau central, limitent les initiatives locales. Les modèles économiques de chaînes de valeur incitent les producteurs à vendre leurs produits, au détriment de leur propre consommation alimentaire. L'enclavement pénalise aussi les producteurs, y compris dans des bassins de production majeurs, en les privant d'accès aux services, en limitant leur accès aux marchés et en favorisant l'insécurité. Il limite la valorisation de nouveaux espaces. L'instabilité croissante du climat (retard des pluies, sécheresse, cyclones) accentue l'instabilité de la production et contribue à dégrader les infrastructures. Elle induit une pression croissante sur les ressources forestières, pour compenser les baisses de rendement.

L'insécurité contraint la production à rester au niveau « subsistance », en induisant des stratégies anti-risques. Elle freine la valorisation de vastes zones faiblement peuplées. De ces remarques, il est suggéré que les acteurs du monde agroalimentaire, majoritairement des ruraux, doivent bénéficier de nouveaux outils, surtout numériques, pour améliorer leur gestion de leurs activités et gagner en rendement. Il n'est pas inutile de rappeler que la production agricole malgache est très diversifiée (produits amylacés, viande et produits animaux, fruits et légumes...) et elle est orientée à plus de 90% vers le marché domestique. Le riz occupe la première place en volume, mais en valeur, l'élevage tient une place encore plus importante (lait, viande bovine, porcine et volaille). Malgré une augmentation de la production agricole, sa progression n'arrive pas à suivre la croissance démographique soutenue de 2 à 3% par an. Pour les productions végétales, une embellie passagère est observée pour le riz, le maïs, le manioc au début des années 2000, mais la production est en chute depuis 2013.

Pour les produits de la pêche et de l'aquaculture, après une stagnation de la production entre 2008 et 2013, la production augmente progressivement, mais un besoin d'augmentation de la production est estimé nécessaire (environ 10 000 tonnes depuis 2016) dans une hypothèse de maintien du niveau de consommation par habitant et de la croissance démographique. Quant à la production animale, seuls les oeufs et la volaille ont suivi la croissance démographique, jusqu'au début des années 2000. La production de viande de boeuf comme de lait stagnent. Le porc a été durement affecté par la peste porcine, à la fin des années 90 et la production chute à nouveau depuis 2019. L'insuffisance de la production résulte de divers facteurs, allant de la faible productivité à l'hectare, corrélée avec un faible accès des producteurs aux services et une faible fertilité des sols, à la faible superficie cultivée en raison de la fragmentation des exploitations (63% des agriculteurs exploitent moins de 1,5 ha) ou par manque d'accessibilité des superficies cultivables. Des chocs récurrents (cyclones, invasions acridiennes, sécheresses, inondations...) aggravent ces difficultés structurelles.

En conséquence, la dépendance aux importations est très prenante. Elle est particulièrement marquée pour les céréales, le sucre et les corps gras. Il arrive que le pays importe plus de 500 000 tonnes de riz pendant un an et plus de 300 000 tonnes de blé. Des chiffres qui justifient, selon le ministère de l'Industrialisation, du commerce et de la consommation (MICC), les efforts consentis pour développer les tissus productifs locaux à travers notamment les programmes Odof (One District One Factory) et Zones pépinières industrielles. Ce département fait aussi remarquer que le projet de création du Fonds national pour le développement industriel (FNDI) vise également à booster le secteur agroalimentaire du pays.

DIGITALISATION - Une démarche incontournable

Divers secteurs de l'économie malgache, qualifiés de stratégiques, se tournent vers les nouvelles technologies. Les autorités du secteur agricole ont aussi pris conscience de la nécessité de transformer leur mode opératoire pour gagner les défis posés en matière de modernisation du secteur agroalimentaire. Le ministre malgache de l'Agriculture et son homologue du Développement numérique ont réitéré cette nécessité, le samedi 20 mai, lors de la signature de la convention de partenariat avec l'Association Agritech Madagascar pour accélérer l'utilisation des TIC dans le secteur agricole. L'objectif est aujourd'hui de mettre en commun les ressources, les compétences et les expériences pour accélérer la modernisation du monde rural et faciliter l'accès des exploitants agricoles aux informations et aux moyens pour développer leurs activités. « Les acteurs du secteur agricole sont unanimes sur la nécessité de la digitalisation des services agricoles. La digitalisation constitue également un élément important pour la transformation et l'amélioration de l'agriculture de Madagascar », fait-on remarquer. De son côté, le gouvernement malgache dit accorder une attention particulière à la mise en place d'un écosystème agricole moderne dans le pays. « De nombreuses actions ont été menées ces dernières années pour stimuler l'efficacité du secteur », rappelle-t-on, avant d'ajouter que, selon la Banque Mondiale, le secteur agroalimentaire reste « l'épine dorsale » de l'économie malgache. Il représente 70% de l'emploi total avec une part de 29% du PIB. Lors des Assises de la Transformation digitale en Afrique, qui se sont tenues à Madagascar, il y a trois mois, il a été annoncé qu'aux projets déjà en cours, notamment la distribution des cartes digitalisées aux agriculteurs, de nouveaux projets vont s'ajouter comme la mise en place d'un système de traçabilité et d'identification par boucle infalsifiable à lecture électronique, et l'élaboration de la stratégie nationale de digitalisation des services agricoles.

L'agroalimentaire en chiffres

VERBATIM

Damiana Rasoavinjanahary, directeur général de l'entreprise sociale Sahanala

« Madagascar doit innover et élargir ses ambitions dans le domaine agroalimentaire. L'installation d'un complexe industriel pour la transformation de maïs, de riz, d'huile alimentaire et de provendes à l'ouest de Madagascar s'inscrit dans ce cadre. Les produits transformés seront destinés au marché local. La Banque européenne d'investissement (BEI) a accordé un prêt de 20 millions d'euros à l'entreprise sociale Sahanala pour mettre en oeuvre ce projet tout en procédant à la mécanisation de l'agriculture. Les capacités de production de chaque usine s'élèvent respectivement à 40 000 tonnes de maïs, à 15 000 tonnes de riz et à 150 tonnes d'huile alimentaire ».

Hassim Amiraly, ancien président du Syndicat des industries de Madagascar

« Le développement de l'industrie dépend du progrès du secteur agroalimentaire à Madagascar. Les entreprises de transformation ont l'opportunité d'offrir des produits de qualité nutritionnelle importante pour la population malgache. L'agroalimentaire, en général, est un secteur qui permet aussi aux industriels de déployer des initiatives sociales et environnementales concrètes. Les sociétés qui y oeuvrent, sont en contact direct avec les tissus ruraux et agricoles. »

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