Sénégal: Ancien village coopératif pilote - Il était une fois...Savoigne, terre promise des pionniers

28 Août 2023

À une trentaine de kilomètres de la ville de Saint-Louis se trouve Savoigne, village assez spécial connu pour son usine de tomate, la culture du riz paddy et son centre de fabrication de statues.

Mais, Savoigne renferme une belle histoire. Celle des pionniers recrutés dans le cadre du développement national et du service civique, projet politique du Président Senghor au lendemain de l'indépendance. Un chantier-école alliant agriculture et formation intellectuelle et militaire y était installé dans l'optique de créer des citoyens modèles, capables d'assurer leur destin individuel. De sa création jusqu'aux années 1969, le village a connu une vie suivant le modèle militaire.

Cases en banco qui flirtent avec le s habitations modernes, paroisse Saint-Prosper, sanctuaire marial, mosquée, centre de fabrique et de décoration de statues, champs, rizières... Ainsi se présente le décor de Savoigne, village calme et verdoyant perché sur des dunes et cerné de prosopis. Dans le découpage administratif, il fait partie de la commune de Diama, département de Dagana. Et pourtant, Savoigne est beaucoup plus proche de la ville de Saint-Louis.

En cette matinée du mardi 22 août, nous découvrons cette localité qui a marqué l'histoire à sa manière. Les arbres touffus offrent leur ombrage aux habitations et servent de poteaux aux clôtures en bambou. Pas beaucoup de monde à Savoigne Biffèche. La majorité de la population a rejoint le village de Mont-Rolland, dans le département de Tivaouane (région de Thiès), pour les besoins de la célébration de l'Assomption (15 août). Leurs grands-parents, des Sérères Ndut, sont issus de cette localité et se sont implantés à Savoigne vers fin 1969. Il a plu la veille ; la terre est encore humide. L'air frais titille les narines et le gazouillement des oiseaux nous transporte au royaume d'enfance. Le Savoigne des pionniers de Senghor, nous y voilà. Il se présente comme un havre de paix pour un artiste ou encore un écrivain en quête d'inspiration. Son histoire nous est contée par Abdoulaye Sy, coordonnateur et porte-parole de l'Association des pionniers de cette localité.

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Savoigne est le seul village au Sénégal créé par l'Armée sénégalaise. Pour matérialiser la politique de développement national et d'animation rurale du Président Léopold Sédar Senghor, le Général Jean Alfred Diallo, Chef d'État-major des Armées à l'époque, propose, en 1964, de changer le camp des jeunes en chantier-école sous la direction militaire. Le camp avait été mis en place en 1960 pour lutter contre l'exode rural et promouvoir l'agriculture. Entouré de nombreux marigots et disposant de terres cultivables ne souffrant pas de la salinité, Savoigne offrait un endroit idéal pour cultiver plusieurs spéculations.

Ce projet novateur était prometteur. Mais, après seulement quatre ans de manoeuvre, il bat de l'aile. C'est ainsi que le camp des jeunes fut dissous en même temps que l'Organisation agricole du Delta (Oad). Un chantier-école est installé en lieu et place d'une direction militaire sous l'impulsion du Commandant de l'Armée, le Général Jean Alfred Diallo. Et l'Oad est devenue la Société d'aménagement et d'exploitation du Delta du fleuve Sénégal (Saed).

Premiers essais de fabrication de concentré de tomate

Abdoulaye Sy n'était qu'un tout petit enfant à l'époque, mais il avait cheminé avec les pionniers à Savoigne. Aujourd'hui, il est coordonnateur et porte-parole de l'Association de ces pionniers. C'est lui qui nous conte le Savoigne des pionniers. Selon Abdoulaye, le chantier-école avait pour principal objectif d'offrir à une centaine de jeunes pionniers une triple formation : agricole, intellectuelle et militaire. Ainsi, des jeunes venus de toutes les contrées du Sénégal furent recrutés à la suite d'un appel publié, au mois d'octobre 1964, dans le journal « Dakar Matin », avec le slogan « Devenir un citoyen utile capable d'assurer son destin individuel ». Pour mener à bien ce projet citoyen, 500 hectares de terrains avaient été octroyés aux 150 jeunes appelés pionniers. De même, 11 km de digues avaient été érigés pour préparer les terres à toutes sortes de cultures.

Les recrues sont âgées entre 16 et 25 ans. Ils s'engagent à cultiver la terre et la faire prospérer, le tout accompagné d'une formation intellectuelle et suivant le modèle militaire. « Ils avaient tout ce dont disposait une armée, sauf une arme. À la place, ils avaient des houes et des hilaires », explique Abdoulaye Sy. Il révèle que les premiers essais de fabrication de la tomate industrielle ont été effectués dans ce chantier-école. « En 1964, sous la direction d'un ingénieur italien du nom de Souti, un hectare de terrain a été exploité pour cultiver de la tomate à transformer en tomate industrielle. À la récolte, la tomate a été transportée aux grands moulins Sentenac pour en faire de la tomate concentrée, mais il n'y avait pas d'étiquetage », renseigne-t-il. Plusieurs ingénieurs ont été cooptés pour accompagner le projet de chantier-école. Parmi eux Christian Vidal, Donald Barron, Dandino, Lomen, Souti... Tous des Européens.

Discipline et rigueur

Le camp des jeunes porte désormais le nom de « Camp des pionniers ». Ses pensionnaires cultivent de la tomate, de la pomme de terre, de l'ananas, de la banane, du riz paddy. Ils avaient un véhicule octroyé par la Saed, dirigée alors par un Français du nom de Paul Berger, et des tracteurs octroyés par l'Armée. Après leur formation, les pionniers devaient faire de Savoigne une zone autonome où ils vivraient avec leurs familles. « La loi faisant de Savoigne une zone militaire autonome a été votée à l'Assemblée nationale en janvier 1965 et publiée au journal Dakar Matin », nous raconte Abdoulaye Sy. « Les pionniers ont, eux-mêmes, construit le village de Savoigne. Ils se sont mariés, ont bâti leurs maisons, des douches publiques, un hangar, en plus d'un dispensaire et d'une école. Tout ça avec les fonds générés par l'agriculture, et l'État leur a affecté du personnel », nous apprend encore le coordonnateur de l'Association des pionniers du Sénégal. Le projet continue ainsi, les pionniers y trouvent leur bonheur, surtout ceux qui avaient quitté Podor qui était confrontée à la sécheresse. L'Armée leur avait versé une caution à la Saed avec qui ils collaboraient. Et cette dernière finançait leurs productions.

Le camp des pionniers était bien organisé. La discipline militaire était de rigueur. La compagnie des pionniers était commandée par un Lieutenant de l'Armée sénégalaise appuyé par deux Adjudants-chefs. Le chantier-école était divisé en trois groupements de 50 pionniers chacun. Chaque groupement était dirigé par un Adjudant-chef. « Le réveil était fixé à 6 h, dès le premier retentissement du clairon. C'était pour l'arrosage des cultures, puis le sport à 7 h (ils allaient courir). Et à 8 h, ils se rassemblaient sur la place centrale du camp pour la levée des couleurs », indique Abdoulaye Sy.

La fin d'un rêve

Le chantier-école était encadré et supervisé par l'Armée. Les journées des pionniers étaient rythmées par la culture, les travaux manuels et publics, l'intendance et l'alphabétisation. Les week-ends, c'était le repos. Ils quittaient les uniformes militaires pour aller en ville, à Saint-Louis précisément. L'une des plus grandes réalisations des pionniers de Savoigne reste le pont qui enjambe la rivière Lampsar. Cette infrastructure, réalisée en juillet 1965, était destinée à supporter une charge de plus de 15 tonnes. L'ouvrage, nous dit-on, a été inauguré en grande pompe, la même année, par le Président Senghor. Aujourd'hui, le pont a cédé sous le poids des grosses cargaisons, accentuant ainsi l'enclavement du village.

En 1966, année qui devait marquer la fin du contrat, le rêve des jeunes pionniers se brise. Après deux années d'activité, ils devaient être libérés pour leur permettre de prendre leur destin en main. Malheureusement, après deux années d'expérience, le Gouvernement avait jugé le passage de témoin prématuré parce que, pensait-on, les pionniers étaient encore jeunes, que les habitations n'étaient pas encore achevées. La formation également.

L'État avait alors décidé de prolonger d'une année le commandement de l'Armée. C'était la désillusion chez les pionniers qui s'attendaient à recevoir des terres pour se sédentariser dans leur village. La date du 7 novembre 1966 est marquée par une fronde. La majorité des pionniers avaient refusé de travailler. Des cultures avaient été saccagées et plusieurs pensionnaires, se déclarant hostiles à cette mesure, avaient quitté le camp le lendemain. Seule une soixantaine était restée. Les choses ne marchaient plus et des problèmes avec la Saed n'étaient pas pour arranger la situation. « La Saed avaient pris les tracteurs et les avait envoyés à Guédé, dans le Fouta, sans payer la location. Ils avaient donc refusé de rembourser le financement à la structure. Le contentieux est passé du chef d'arrondissement à la gouvernance. Et l'État-major avait envoyé un commandant de division du nom de Soya pour récupérer les tracteurs », nous conte toujours Abdoulaye Sy. Le 11 octobre 1967, le même Général Jean Alfred Diallo écrit une lettre (courrier numéro 295) qu'il envoie au Ministère de l'Intérieur, avec ampliation pour les Ministères des Forces armées et de la Jeunesse et des Sports, pour faire de Savoigne un village autonome à la place d'un camp militaire. Mais, beaucoup avaient déjà quitté les lieux.

Un village autonome sans la majorité de ses pionniers

Pour qu'il n'y ait pas de vide, Paul Berger a suggéré que le village soit ouvert à d'autres. D'abord, des anciens combattants -10 pères de familles arrivés en juillet 1968. Ensuite, en 1969, sont arrivés ceux de Biffèche venus de Mboubène (entre Dakhar-Bango et Ndiawdoune), où le sol était devenu trop salé pour la culture. Douze pères de famille tous originaires du village de Mont-Rolland, à quelques km de Thiès. Ils sont dirigés, à l'époque, par Pierre Claver Faye. Albert Ciss est arrivé à Savoigne en 1970. Il nous explique que leur venue dans ce village a été facilitée par les prêtres missionnaires. « Quand nous sommes arrivés, nous avons occupé des terres que certains pionniers avaient abandonnées. On nous a laissé garder nos propres coutumes. Et notre chef de village à Mboubène, il s'appelait Pierre Claver Faye. Nous cultivions de notre côté et les pionniers étaient restés de leur côté. Les prêtres missionnaires, les pères Géraldo, Jean Var et Pochon venaient souvent s'enquérir de notre situation et nous apportaient des dons qui étaient partagés avec les habitants de Savoigne pionniers », narre Albert Ciss. Ces missionnaires, dans le but d'évangéliser, avaient construit une église à Savoigne où étaient célébrées les messes du dimanche. Un travail poursuivi par leurs successeurs prêtres à Saint-Louis. Aujourd'hui, Savoigne dispose de la plus belle église à Saint-Louis.

Belle mosaïque culturelle

Savoigne est, aujourd'hui, un terroir divisé en deux. D'une part, Savoigne pionniers, habité à majorité par les Peuls et musulman, avec près de 1500 habitants et, d'autre part, Savoigne Biffèche, occupé par les Sérères Ndut catholiques au nombre de 450. Chaque entité a son propre chef de village, même s'il n'y a pas de démarcation particulière en dehors de la grande place au milieu des deux zones. Sur cette place se trouve le marché qu'elles partagent, en plus d'avoir la même école, le même centre de santé, bref, les mêmes structures présentes dans la localité. Le village est riche de sa belle diversité culturelle du fait de sa belle mosaïque ethnique. Le dialogue islamo-chrétien y est une réalité. Les deux communautés, musulmans et chrétiens, vivent en parfaite harmonie. Une parfaite cohésion magnifiée par les populations. « Nous cohabitons harmonieusement et faisons tout ensemble. Nous partageons nos fêtes religieuses. Catholiques et musulmans sont frères et soeurs à Savoigne », nous assurent nos interlocuteurs.

Les populations de Savoigne vivent encore de l'agriculture et de l'élevage. Les champs de riz paddy s'étendent à perte de vue. C'était juste la fin de la récolte lors de notre passage. Les projets d'agrobusiness se multiplient dans la localité, en plus de l'usine de tomate (Socas) implantée depuis 1969.

Savoigne est, aujourd'hui, connue pour son école de fabrique et de décoration de statues qui a débuté ses activités en février 1996. Saint Blaise Statues est spécialisée dans la réalisation de statues religieuses, profanes, historiques et mythiques. Élèves comme corps professoral étaient en vacances lors de notre passage. Cependant, le directeur Augustin Nango, présentement en Italie, nous a promis une visite guidée dès son retour. Il est à l'origine de plusieurs coopérations et de jumelage entre Savoigne et d'autres localités européennes.

Contrairement à beaucoup de villages, Savoigne est à l'abri du casse-tête de l'émigration clandestine. « Ici, un jeune qui n'est pas paresseux peut facilement subvenir à ses besoins. Il y a des terres cultivables, de l'eau et du soleil. Les entreprises d'agrobusiness se sont multipliées et emploient les jeunes. L'usine aussi. D'ailleurs, les gens quittent leurs localités pour venir chercher du travail à Savoigne », assure Marcelin Faye, actuel chef de village de Savoigne Biffèche.

Enclavement

Malgré tous ses atouts, Savoigne souffre de son enclavement. Arrivé au croisement, sur la route de Ross Béthio, il faut prendre une charrette ou une moto Jakarta pour rallier le village. Durant l'hivernage, la route cahoteuse devient complètement impraticable. Pour convoyer leurs clients, les « jakartamen » (conducteurs de moto Jakarta) doivent utiliser une charpente un peu élevée et dangereuse. Les femmes enceintes devant accoucher vivent le calvaire. Les malades à évacuer également. Les charrettes restent la seule alternative pour leur évacuation vers les centres de santé en ville.

À Savoigne, il ne reste du passage des pionniers que trois petits édifices aux couleurs du pays. Ils sont au centre du village. Sur l'une flotte le drapeau du Sénégal. Au milieu des habitations de Savoigne Biffèche trône un monument bleu blanc à l'effigie d'Edward I, Roi de Biffèche, une île en Islande jumelée au village de Savoigne. Les populations de Savoigne sont déterminées à perpétuer le travail des pionniers à travers l'agriculture. Le village a fêté, le 11 novembre 2015, ses 50 ans. Un retour aux sources pour les pionniers dispersés à travers le Sénégal, mais qui gardent les liens à travers leur association : celle des pionniers de Savoigne.

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