Afrique de l'Ouest: Sanctions économiques de la CEDEAO contre le Niger - La junte pourra-t-elle s'en sortir ?

Le ministre des affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf
analyse

Au lendemain du coup d'Etat contre Mohamed Bazoum, la Communauté économique des Etats de l'Ouest (CEDEAO) ne s'est pas fait prier pour faire tomber une avalanche de sanctions sur le Niger.

En plus des représailles politiques coutumières qui consistent à suspendre de toutes les instances de l'organisation sous-régionale, le pays qui s'est mis en marge de la légalité constitutionnelle, une batterie de mesures économiques a été prise pour contraindre les putschistes à lâcher prise.

Des sanctions qui vont de la suspension des transactions financières et commerciales avec le Niger, au gel des avoirs des militaires responsables du coup d'Etat, en passant par une interdiction de voyager des officiers militaires impliqués dans le coup de force.

Dans les banques centrales de la CEDEAO, les avoirs de la République du Niger ont été gelés. En plus du blocus économique imposé par la CEDEAO, plusieurs pays et organisations internationales ont remis en question leur aide financière. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cet embargo économique fait mal.

Il faut craindre que ces sanctions ne finissent par développer auprès des populations, une certaine résilience

Pour preuve, le régime militaire parle de sanctions « illégales, inhumaines et humiliantes » et conditionne même la libération du président déchu, Mohamed Bazoum, par la levée du blocus. L'on peut d'autant plus comprendre le courroux des nouveaux tenants du pouvoir que ces sanctions « vont jusqu'à priver le pays de produits pharmaceutiques, de denrées alimentaires » et de « fourniture en courant électrique ».

Sans être rompu aux questions économiques, l'on sait que ces sanctions sont lourdes de conséquences. Et le général Tchiani a, dans son allocution, prévenu les populations : « Les semaines et les mois à venir seront difficiles pour notre pays ».

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Et si ce n'est pas, pour l'instant, l'apocalypse redouté, le moins que l'on puisse dire, c'est que les Nigériens sont déjà pris à la gorge. En effet, l'on note déjà une certaine inflation des prix de certains produits de grande consommation.

Des menaces planent même sur la capacité de l'Etat à faire face aux charges salariales des agents publics même si, pour l'instant, le gouvernement se veut rassurant sur cette question. Dans ce pays structurellement aux prises avec la pauvreté dans ses manifestations les plus inhumaines comme la faim, d'aucuns ont vite franchi le pas en affirmant que la CEDEAO a décidé de la mort par asphyxie des Nigériens.

Et de ce point de vue, elle prête le flanc aux critiques qui estiment qu'elle est plus préoccupée par le sort des chefs d'Etat que par le bien-être des populations. Cela dit, il faut craindre que ces sanctions ne finissent par développer auprès des populations, une certaine résilience comme on l'a vu au Mali voisin, même si comparaison n'est pas forcément raison.

Pendant qu'il feint d'ignorer le coup d'Etat électoral en téléchargement au Gabon, Macron s'arc-boute sur le cas nigérien

En effet, les sanctions peuvent développer un patriotisme économique qui permettra aux Nigériens, tout en souffrant le martyre dans leur peau, de tenir la dragée haute aux autres membres de la CEDEAO et cela est d'autant plus probable que deux de ses voisins immédiats, ont décidé de ne pas respecter les mesures prises par les chefs d'Etat de l'espace sous- régional. Même si cela est plus dans la symbolique, le Burkina Faso a déjà convoyé, par solidarité, plusieurs dizaines de camions chargés de vivres au Niger.

Mais ce qui pourrait être la véritable bouffée d'oxygène pour le Niger, c'est le développement d'un marché noir comme cela a toujours été le cas dans les pays sous embargo. Cela est d'autant plus probable que le Niger est traditionnellement le pays d'un trafic organisé à travers le désert sur les pistes caravanières. Et il ne faut pas oublier que le grand voisin algérien n'est pas partie prenante de la guerre économique déclarée par la CEDEAO au Niger.

Ce serait donc l'occasion, pour l'Algérie qui aspire à une posture hégémonique dans la bande sahélo-saharienne, de saisir la perche économique des sanctions contre le Niger. Et plus loin des frontières nigériennes, la crise aiguise les appétits des puissances émergentes qui cherchent à prendre pied sur le continent africain. C'est le cas de la Russie, de la Chine, de la Turquie, de l'Inde ou encore de l'Iran qui n'ont rien à cirer avec les conditionnalités politiques que posent souvent les Occidentaux pour faire du business avec les Etats africains. C'est donc dire que si l'étreinte de la CEDEAO est potentiellement mortelle pour le Niger, il faut, comme le rappelle La Fontaine, « se garder de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué ».

Donc, il est probable de voir déchanter Emmanuel Macron qui, dans sa récente sortie, a tenté de présenter la junte militaire au pouvoir comme l'ennemi des Nigériens, du fait des sanctions économiques très pesantes. Au contraire, il faut s'attendre à ce que l'arrogance et l'incohérence de ce discours travaillent à renforcer la posture des militaires tout en exacerbant le sentiment anti-français. Les résultats escomptés par la France ne peuvent plus être obtenus par le discours de fermeté dont se prévaut Macron.

En effet, pendant qu'il feint d'ignorer le coup d'Etat électoral en téléchargement au Gabon, il s'arc-boute sur le cas nigérien ; toute chose qui pue le deux poids deux mesures. Et il faut craindre, dans ce cas, que la France en vienne à perdre définitivement l'Afrique car la jeunesse est très éveillée et ne compte pas se laisser faire.

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