Afrique: En Afrique, «les Chinois et les Russes ne travaillent pas de la même manière»

interview

Les responsables de la défense d'une cinquantaine de pays du Sud sont réunis à Pékin jusqu'à samedi dans le cadre du 3ème Forum Chine-Afrique sur la sécurité, alors que la Chine compte étendre sa présence sur le continent. Jean-Pierre Cabestan, professeur émérite à l'Université Baptiste de Hong-Kong (HKBU) qui suit les relations Chine-Afrique, éclaire les enjeux de ce rendez-vous.

RFI : Quel est l'objectif pour Pékin en organisant ce forum de sécurité Chine-Afrique ?

Jean-Pierre Cabestan : Dans le contexte de rivalité avec les Etats-Unis, la Chine se présente comme un partenaire incontournable, voir comme le leader des pays du Sud. Il s'agit pour Pékin d'afficher ses ambitions en matière de sécurité, de dire qu'elle joue un rôle aussi important en matière de coopération militaire qu'en matière de développement économique. Ce forum fait d'ailleurs suite aux initiatives qu'a lancées Xi Jinping en 2021 et 2022 concernant le développement global et la sécurité globale. Cela va plus loin que l'initiative Ceinture et Routes, en apportant un volet sécurité aux Routes de la soie et, surtout, cela propulse la Chine comme fournisseur de sécurité aux pays du Sud en général, et aux pays africains en particulier. C'est en tout cas le message que veut envoyer le président chinois au monde : les pays développés, dit Pékin, notamment les États-Unis, ne sont plus capables de vous apporter une sécurité. La Chine va contribuer à votre sécurité dans un contexte de contestation du leadership américain, mais aussi de la remise en cause de la présence militaire française au Sahel.

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Est-ce que le fait que la France recule en Afrique libère un marché en termes d'armements pour la Chine ?

Oui, le fait que la France soit contestée par certains pays africains, notamment le Mali, le Burkina Faso et maintenant le Niger ouvre une porte aux Chinois en matière de sécurité. Pékin saisi l'opportunité pour proposer un autre type d'assistance militaire. Les Chinois et les Russes ne travaillent pas de la même manière, la Chine ne va donc pas envoyer de mercenaires. Elle ne va pas envoyer non plus de contingents. Pour sécuriser ses intérêts, celui de ses ressortissants et de ses entreprises, la Chine utilise en général les compagnies de sécurité privées. Après c'est du langage diplomatique, car encore une fois, les Chinois n'ont pas l'intention de contribuer à la sécurisation par l'envoi de forces armées, comme par exemple avec l'opération française Barkhane.

En revanche, Pékin fournit aux régimes africains, et notamment aux régimes qui sont en difficultés avec la France, je pense aussi à la Centrafrique, une aide à la fois en matériels, en formation et puis en équipements de sécurité telles que les caméras, ainsi que des systèmes cyber et de télécommunications. La Chine a une véritable expertise dans ces domaines. Ces équipements et armements sont moins attractifs que les armements russes ou occidentaux. Ils ne sont pas toujours très efficaces. Mais la diplomatie militaire chinoise vise pour le moment surtout à assurer sa présence et à développer des relations avec les forces armées locales. Elle participe également à la modernisation des centres de commandement et joue en cela un rôle complémentaire à celui de la Russie.

La grande inconnue maintenant, c'est la relation entre les Chinois et les groupes Wagner qui dépendent directement de Poutine et de la sécurité militaire russe. Que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Centre Afrique, c'est une relation très opaque.

« La Chine souhaite injecter plus de certitude, de stabilité et d'énergie positive dans un monde turbulent », a déclaré le ministre chinois de la Défense. En même temps, la diplomatie chinoise répète qu'elle s'oppose à toute ingérence, n'est-ce pas contradictoire ?

La Chine se présente comme une puissance de stabilisation et de paix, mais c'est encore une fois d'abord une question d'affichage. La Chine apporte deux choses essentiellement aux pays africains : une aide matérielle qui se traduit sur le plan de la défense, par la construction d'infrastructures - baraquements, QG - et l'envoi d'équipements militaires et de communication pour les forces armées africaines. Et puis, la Chine apporte des formations militaires qui ne sont pas toujours très prisées par les officiers des pays du Sud, mais qui lui permettent d'étendre son influence et de nouer des liens avec de nombreuses capitales.

Après, la Chine opère surtout sous la bannière de l'ONU, via ses engagements multilatéraux et ceux de l'armée populaire de libération dans le cadre des missions de maintien de la paix des Nations unies, hier au Mali et encore aujourd'hui au Sud-Soudan. La Chine contribue de manière substantielle au budget de l'ONU pour les opérations de maintien de la paix. Elle est deuxième derrière les États-Unis et devant le Japon. La diplomatie chinoise met également en avant la sécurité par le développement. C'est aussi l'idée de l'initiative de sécurité globale (GSI) de Xi Jinping, même si cela reste assez vague.

Quelle est la position de Pékin sur le Niger ?

On ne voit pas très bien en réalité ce que Pékin entend vraiment sur la question du Niger. La Chine est embarrassée : ce que Pékin exclue c'est une intervention du Nord et notamment de la France, mais pour le reste, elle ne sait pas quelle position adoptée. Elle ne veut pas se mettre à dos les Africains, or les Africains sont divisés sur la question. Maintenant en termes d'ingérence, les Chinois affirment qu'ils font tout en fonction de la volonté des gouvernements en place. Donc pas question d'ingérence pour Pékin. Le problème, c'est que faire quand il n'y a pas de gouvernement en place, ou quand ce gouvernement n'est pas légitime ? La réponse de la Chine n'est pas évidente, c'est là la limite de sa contribution en matière de sécurité. La Chine défend beaucoup le statu quo et les régimes en place. Elle n'aime pas les bouleversements et quand ces derniers surviennent, elle s'adapte. La diplomatie chinoise est très pragmatique, mais elle prend rarement en compte les oppositions et la société civile ce qui lui donne une vision à court terme de la sécurité des pays du Sud.

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