Centrafrique: Comment les juges d'appel de la CPS ont innové et proposé un modèle

Le premier jugement définitif de la Cour pénale spéciale en République centrafricaine a été rendu fin juillet. Il corrige le jugement de première instance sur plusieurs points, notamment concernant la condamnation d'Issa Sallet Adoum. Et propose un « jugement type » qui représente un outil pratique très utile pour les futurs procès, explique le magistrat Ghislain Poissonnier.

Le 20 juillet 2023, la chambre d'appel de la Cour pénale spéciale (CPS) en République centrafricaine a rendu son premier arrêt au fond. Ce jugement est passé largement inaperçu. Pourtant, il offre une réelle double plus-value : contrôler le travail de la chambre de première instance et guider les juges dans leur tâche future.

La chambre d'appel devait se prononcer sur le premier jugement en première instance rendu par la CPS, le 31 octobre 2022. Issa Sallet Adoum, Yaouba Ousman et Mahamat Tahir avaient été déclarés coupables de crimes contre l'humanité pour meurtres et autres actes inhumains et de crimes de guerre pour meurtres et atteintes à la dignité de la personne, notamment des traitements humiliants et dégradants. En outre, Issa Sallet Adoum était reconnu coupable en tant que supérieur hiérarchique de viols commis par ses subordonnés, constitutifs de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Les trois accusés sont d'anciens membres du groupe armé dit des « 3R » (Retour, Réclamation, Réhabilitation), dirigé par Sidiki Abass (décédé en 2021). Ce groupe armé avait été officiellement fondé pour protéger la minorité peule des exactions des milices d'autodéfense « anti-balaka ». Les faits qui leur étaient imputés ont été perpétrés dans les villages de Lemouna et Koundjili, au nord-ouest de la Centrafrique, en mai 2019. Au moins 32 personnes auraient péri dans cette attaque. Au terme du jugement, Issa Sallet Adoum a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité et ses deux coaccusés à une peine de 20 ans d'emprisonnement. Les trois accusés avaient fait appel.

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La chambre d'appel corrige d'elle-même

Dans son arrêt du 20 juillet, la chambre d'appel constate que le jugement de première instance comprenait un certain nombre d'erreurs ou de manquements, tant sur la forme que sur le fond. Elle acquitte ainsi Issa Sallet Adoum du crime contre l'humanité pour autres actes inhumains et du crime de guerre pour atteintes à la dignité des personnes en ce qui concerne les événements survenus à Koundjili.

Elle estime en effet que la chambre de première instance n'a pas mis en évidence la commission d'actes d'atteintes à la dignité avant la commission des meurtres des civils imputés à l'accusé. Mais au lieu de renvoyer l'affaire devant la section d'assises pour qu'elle soit rejugée comme elle aurait pu le faire, la chambre d'appel a décidé de statuer directement, en corrigeant elle-même les erreurs relevées.

Elle condamne donc Issa Sallet Adoum pour les autres crimes contre l'humanité et crimes de guerre à une peine d'emprisonnement de 30 ans. Elle confirme également que Yaouba Ousman et Mahamat Tahir sont coupables des faits qui leur étaient reprochés et les condamne à une peine de vingt ans d'emprisonnement.

L'arrêt considère aussi que le jugement du 31 octobre 2022 ne satisfait pas aux exigences du droit national et international en ce qui concerne tant la motivation de ses conclusions factuelles qui fondent le verdict de culpabilité et que celle des peines prononcées.

Les insuffisances relevées concernent l'analyse d'un conflit armé non international auquel le groupe armé 3R a pris part, la caractérisation de l'existence d'une attaque systématique et généralisée, la qualification des conclusions factuelles, la description des différents modes de responsabilité pénale applicables, et enfin l'individualisation des peines.

Sur ces points encore, la chambre d'appel estime que la suite la plus appropriée à donner à ces insuffisances de motivation est, par souci d'une bonne administration de la justice, de ne pas renvoyer l'affaire devant la chambre de première instance. Mais bien de déterminer elle-même les points-clés en question.

Plan du jugement type

Il s'agit de la première décision définitive prononcée par la CPS, une juridiction internationalisée et temporaire créée en juin 2015 pour enquêter, instruire et juger les violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République centrafricaine (RCA) depuis le 1er janvier 2003. Cela constitue en soi une avancée pour la lutte contre l'impunité des auteurs d'atrocités en RCA.

Véritablement opérationnelle depuis 2018, la CPS tardait à rendre ses premières décisions au point que l'on pouvait commencer à douter de sa capacité à répondre aux attentes de la population locale et de la communauté internationale quant à la répression des atrocités commises par les seigneurs de guerre. Ce premier pas, tardif, va incontestablement dans la bonne direction.

L'arrêt du 20 juillet 2023 fait preuve de toute la rigueur nécessaire pour respecter les standards de la justice internationale. Solidement motivé, il s'appuie sur le droit national et le droit international. Il se réfère aux décisions de la Cour pénale internationale, des chambres africaines extraordinaires, des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, des chambres spécialisées pour le Kosovo et des tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie, le Rwanda et la Sierra Leone.

Le caractère majoritairement international de la composition de la chambre d'appel - qui comprend un juge allemand et un juge français - a contribué à apporter logique, rigueur et richesse intellectuelle à l'arrêt rendu.

Mais l'arrêt ne se contente pas de motiver ce qui doit l'être et de rappeler la nécessité, pour la chambre de première instance, de rendre des décisions suffisamment motivées (une exigence juridique mais également historique, mentionne-t-il). De manière pédagogique, il propose un plan-type de jugement en sept parties comprenant un rappel de la procédure, des renseignements concernant l'accusé (informations personnelles, niveau d'éducation, état civil, occupation...), des conclusions factuelles pertinentes établies, une analyse des éléments de preuve, une analyse juridique, la détermination de la peine (les différents facteurs qui ont amené la section d'assises à choisir la peine spécifiée dans le dispositif, y compris les circonstances atténuantes et aggravantes), et le dispositif.

Or, ce plan-type constitue un outil pratique qui sera très utile pour les sections d'assises lors des futurs procès. Le canevas proposé leur permettra, au-delà de la variété des faits et des situations qui leur sont soumis, de suivre une approche cohérente, d'harmoniser leurs raisonnements et de limiter les risques d'infirmation de leurs jugements. Une démarche originale et particulièrement bienvenue pour une juridiction internationalisée qui doit placer l'efficacité et la célérité au coeur de son action.

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GUISLAIN POISSONNIER

Ghislain Poissonnier est un magistrat français. Il a été juge et vice-procureur à Béthune, Lille et Paris. Il a travaillé comme juriste au Kosovo, en Palestine, en République démocratique du Congo, en Thaïlande, en Afghanistan, en Guinée et en Côte d'Ivoire.

Il suit les questions de justice internationale et droit international humanitaire depuis une vingtaine d'années et est l'auteur de nombreuses contributions sur cette thématique, publiées dans différentes revues juridiques.

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