Afrique Centrale: Ces 'peaux crocodiles' qui jonchent les rues des villes camerounaises

20 Septembre 2023

Le phénomène n'est pas nouveau mais il a pris une telle ampleur ces dernières années qu'il devient chaque jour, un peu plus, un problème de société. De nombreuses jeunes femmes mais aussi hommes, pour des raisons diverses, se livrent à la pratique de la dépigmentation de la peau. Phénomène inquiétant à travers le pays et même au-delà, en Occident en particulier.

Tenues vestimentaires provocatrices, rouges à lèvres débordants leur surface d'appoint, dépigmentation de la peau à outrance, etc. La liste ne saurait être exhaustive. Tout y passe désormais. L'Afrique des valeurs traditionnelles, du respect de la personne humaine, de la dignité est en passe de devenir un dépotoir culturel où toutes les idées que la morale récuse, parfois venues d'ailleurs, élisent domicile sans que personne ne s'en offusque. .

Pratiquée à l'origine par les prostituées, la dépigmentation de la peau a pris une ampleur inquiétante au Cameroun.

On estime que 2 Camerounaises sur 6 font recours à cette pratique. Evidemment, c'est la santé qui est menacée.

Animées par un fort désir de paraitre belle, certaines Camerounaises s'adonnent à la pratique de l'éclaircissement de la peau. Selon ces dernières, cette pratique est un autre critère de beauté, malgré les méfaits qu'elle cause sur la santé tels que : les brûlures de la peau, l'acné, les vergetures, etc.

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Les pratiques de la dépigmentation volontaire de la peau engendrent à court, moyen et long terme, chez les femmes qui la pratiquent, des complications de la santé.

Les produits utilisés sont sous plusieurs formes : crèmes, savons, laits, gels, se vendent comme des petits pains mais avec des composantes dangereuses (plomb, sel de mercure, cortisone, eau de javel, hydroquinone etc...)

Une pratique encouragée par certains hommes

L'idée selon laquelle la peau claire serait un critère de beauté est profondément ancrée dans les mentalités des certains Camerounais. Nkonkep, professeur de français à Douala, est formel : «L'écrasante majorité des Camerounais préfèrent avoir une femme de teint clair. A mon avis, c'est la principale raison qui explique le phénomène de la dépigmentation de la peau». Lui-même n'est «pas contre, à 100%, la dépigmentation, si c'est la seule manière pour la femme de s'en sortir, c'est-à-dire d'être belle et d'attirer le regard des hommes et si le produit utilisé est de qualité».

Bien dotée par la nature (elle est de teint naturellement clair), Mballa, étudiante, n'a pas besoin de recourir aux produits éclaircissants, mais elle condamne la pratique. «Sans parler des problèmes de santé, la Bible est contre la dépigmentation, et je pense que c'est une sorte d'aliénation mentale de la femme noire», dit-elle.

Ghomsi E., quant à elle, a eu à utiliser des produits «éclaircissants» par le passé. Son visage en garde encore les stigmates. Elle pointe les conséquences irréversibles de la dépigmentation : «une fois que vous y touchez, cela dénature à jamais votre peau». Malgré ce risque, Ghomsi E., sage-femme, reste convaincue que la dépigmentation de la peau rend la femme «plus belle». Preuve que ce ne sont pas uniquement les analphabètes qui la pratiquent.

2 Camerounaises sur 6 pratiquent la dépigmentation de la peau

Selon les chiffres de l'Association internationale Union Solidaire, la dépigmentation artificielle par les corticoïdes a une prévalence de l'ordre de 42% au Cameroun. «Pour se faire belle», deux femmes sur six sont prêtes à «s'empoisonner», c'est-à-dire recourir aux produits éclaircissants.

Du reste, ces produits sont très faciles à trouver sur le marché, à des prix accessibles à toutes les bourses (à partir de 500 FCFA).

Une autre étude, datant de 2018, estimait que 5 Camerounaises sur 10, soit 50% des femmes, pratiquent la dépigmentation dès l'âge de 14 ans. Ce qui ferait du Cameroun, le sixième pays en Afrique à se «blanchir», derrière la République démocratique du Congo, dont 54% de la population se livre à cette pratique. Cette étude fait même état de taux de prévalence de 55% (de femmes pratiquant la dépigmentation) dans certains quartiers populaires de Douala.

Des préparations « maison » risquées

Les produits utilisés sont généralement des dermocorticoïdes, contenant de l'hydroquinone (dont la concentration dépasse largement les 2% légalement autorisés) mais également des médicaments kératolytiques telle que la vaseline salicylée à différente concentrations allant de 5 à 30%. Des procédés artisanaux, à base de produits comme l'eau oxygénée, étaient utilisés jusqu'à une époque très récente par la couche la plus défavorisée.

Cette dépigmentation artificielle cutanée peut intéresser tout ou une partie de la surface cutanée. Ainsi, elle peut être partielle, généralement le visage, ou totale touchant alors tout le corps. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas une recrudescence de la dépigmentation -le phénomène existe depuis les années 1970- mais les produits dépigmentant sont devenus plus accessibles sur le marché, bien qu'ils soient interdits de vente par les autorités camerounaises.

Un effet dramatique sur la santé

Face à l'ampleur du phénomène de la dépigmentation, les dermatologues ne cessent d'alerter sur les complications médicales, qu'elles soient dermatologiques, notamment parasitoses cutanées, taches, brûlures, vergetures hypertrophiées, mycoses, complications bactériennes, ou générales comme l'hypertension artérielle, le diabète, les complications obstétricales liées à la dépigmentation artificielle de la peau. Visiblement, le mal ne touche pas que le corps. Il touche aussi les mentalités.

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