Congo-Kinshasa: Fatih Birol, directeur de l'AIE - «Diversifier les accès aux matériaux critiques pour réaliser la transition énergétique»

interview

Jeudi 28 septembre, à Paris, les représentants de 47 pays consommateurs et producteurs se sont réunis sous l'égide de l'Agence internationale de l'Énergie (AIE) pour le premier sommet mondial consacré aux « métaux critiques » : le lithium, le cobalt ou encore le nickel. Des matériaux essentiels pour la transition énergétique, par exemple pour fabriquer les batteries automobiles. À cette occasion, Fatih Birol, le directeur de l'AIE a accordé une interview à RFI.

RFI : Pourquoi ce sommet ?

L'énergie propre bouge et bouge très vite. Il y a quelques années, le solaire, l'éolien et les voitures électriques, c'était de la romance. Aujourd'hui, c'est l'idée qui prédomine. Par exemple, cette année, plus de 80% des centrales électriques qui ont été construites dans le monde fonctionnent aux énergies renouvelables. En ce qui concerne les voitures électriques, il y a deux ans, une voiture vendue sur 25 dans le monde était électrique, et cette année, une voiture vendue sur cinq est électrique. La croissance est donc très forte. Ce sont de bonnes nouvelles pour le climat, pour la sécurité énergétique, mais pour fabriquer les panneaux solaires et les voitures électriques, il faut des minéraux critiques tels que le lithium, le cobalt, le magnésium, le graffite. Mais tous ces minéraux critiques sont concentrés dans un petit nombre de pays. Et ils sont principalement raffinés dans un grand pays : la Chine.

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Nous avons donc jugé important de réunir tous les pays autour de la table et toutes les grandes sociétés minières, la société civile, le monde universitaire, pour discuter de la façon dont nous pouvons nous assurer que les minéraux critiques soient disponibles pour l'expansion de l'énergie propre et pour voir quelles sont les mesures que nous pouvons prendre tous ensemble.

Précisément, la Chine n'était pas représentée. Pourquoi ? Et pensez-vous pouvoir la convaincre de partager le gâteau, de laisser des parts de marché de ces matériaux critiques ?

L'invitation a été lancée à tous les pays qui émergent dans ce marché et qui commencent à en consommer. Mais tous ceux qui voulaient venir à notre réunion sont venus. Cela dit, nous travaillons en étroite collaboration avec la Chine. La Chine dispose déjà d'une grande part de marché des minéraux critiques, surtout en termes de raffinage. La question est de savoir si d'autres pays peuvent ou non avoir une part dans le raffinage, parce qu'il est important de diversifier leur mix énergétique, leurs sources d'importation dans le secteur énergétique. Si vous vous fiez à une seule entreprise, un seul pays, il y a toujours un risque et pas seulement pour des raisons géopolitiques. Cela peut être un tremblement de terre, un incendie industriel.

Il est donc préférable d'avoir une diversification des sources d'approvisionnement et souhaitable que les autres pays apportent également une contribution dans le secteur des minéraux critiques. La question, ce n'est pas la Chine ou d'autres pays. Ce qui est important, c'est que nous ayons suffisamment de minéraux critiques à un prix abordable pour que la fabrication de voitures électriques, de panneaux solaires ne ralentisse pas.

Comment fait-on ? Comment on parvient à cette diversification ?

Je pense que les gouvernements doivent prévoir des incitations pour les entreprises, les investisseurs qui veulent construire des raffineries, qui veulent chercher des minéraux critiques et les produire. C'est ce dont nous discutons avec beaucoup de gouvernements. Et ils commencent à se rendre compte que sans minéraux critiques, vous ne pouvez pas construire des voitures électriques à n'en plus finir, des panneaux solaires ou des éoliennes. Donc les gouvernements doivent être parties prenantes bien sûr, en collaboration avec les sociétés minières. Presque toutes les principales sociétés minières clés étaient à notre réunion et nous avons eu une discussion très intéressante.

Cela dit, il est très important que ces matériaux soient exploités de manière durable. Et lorsque vous extrayez des minéraux critiques, les communautés locales devraient en bénéficier. On ne peut pas exploiter et s'en aller. Le processus d'extraction génère beaucoup d'impacts. Tout d'abord, nous voulons que ces impacts soient limités. Et puis, il est important que les communautés qui sont touchées soient indemnisées.

Est-ce que vous ne craignez pas qu'en allant vite, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, les impacts sociaux et environnementaux des mines soient plus importants ? Qu'est-ce que vous préconisez à ce sujet-là ?

Nous devons nous assurer qu'à chaque étape, toutes les mesures prises respectent les normes environnementales et sociales. Dans le passé, et encore aujourd'hui dans certains pays, les minéraux critiques sont très liés à des problèmes de gouvernance. Il faut donc s'assurer que les règles de bonne gouvernance soient respectées.

Se tient également le 28 et 29 septembre un sommet pour une feuille de route pour le nouveau nucléaire, le sommet organisé par la France et l'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE. Le gouvernement français considère l'énergie nucléaire comme indispensable pour limiter le réchauffement climatique, pour limiter les émissions. Est-ce que, selon vous, c'est une bonne route à prendre ?

Je crois que l'énergie nucléaire fait partie intégrante de notre mix énergétique. Nous le constatons depuis près de 20 ans. De nombreux gouvernements ont changé d'idée ici et là, mais nous avons toujours pensé qu'une utilisation sûre de l'énergie nucléaire est très importante pour lutter contre le changement climatique, pour la sécurité énergétique et pour la compétitivité économique des pays. L'énergie nucléaire fait son grand retour au niveau mondial et pas seulement en France. Je suis très heureux de voir que le président Macron considère que le nucléaire doit jouer un rôle central dans le mix énergétique français et au-delà.

Le scénario net zéro émission de l'AIE est clair, il n'y a pas la place pour de nouveaux projets d'extraction d'hydrocarbures si on veut respecter l'accord de Paris. Pendant ce temps, des pays comme le Sénégal revendiquent leur droit à utiliser leurs ressources au nom de leur développement. Quelle est votre position à ce sujet ?

Tout d'abord, si le monde veut atteindre les objectifs climatiques de Paris, si nous voulons le faire, alors nous devons réduire l'utilisation des combustibles fossiles. Il n'y a pas d'autre moyen. Et si nous réduisons l'utilisation du pétrole et du gaz, alors les champs de pétrole et de gaz existants sont suffisants pour répondre à la demande qui baisse. Mais il peut y avoir des exceptions, dont l'Afrique.

La part de l'Afrique entière, c'est environ 20% de la population mondiale. La part de l'Afrique dans toutes les émissions mondiales est d'environ 3%. Et si l'on parle du gaz naturel en Afrique par exemple. Il ne va pas être utilisé pour la production d'électricité, parce que la production d'électricité proviendra principalement des énergies renouvelables, en particulier le solaire. Mais vous avez besoin d'autres sources d'énergie, sinon, comment allez-vous faire pour l'industrie alimentaire ? Comment allez-vous construire une industrie du ciment ? Aujourd'hui, on ne peut pas le faire avec les seules énergies renouvelables, et l'Afrique en a besoin. Donc l'Afrique peut utiliser ses ressources de gaz naturel. Et nous avons fait des calculs. Si l'Afrique utilisait les champs de gaz naturel actuellement connus et les exploitait tous, ce qui est impossible, cette part de 3% de l'Afrique dans les émissions mondiales passerait à 3,4%. Ce n'est rien. Nous ne devrions pas avoir une position dogmatique. En ce qui concerne l'Afrique, nous devrions être très prudents.

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