Sénégal: Thieytou (Bambey) - Le souvenir de Cheikh Anta Diop toujours vivace

2 Octobre 2023

Près de quarante ans après la disparition de Cheikh Anta Diop, Thieytou, son village natal, refuse de se laisser ensevelir dans les méandres de l'oubli. Cette localité, située au centre-ouest du Sénégal, semble bénéficier même des grâces du célèbre anthropologue qu'il a vu naître le 29 décembre 1923. La réhabilitation du mausolée érigé dans son royaume d'enfance est en train de changer le cours des choses.

Thieytou, village situé à 29 km au nord du département de Bambey, dans la région de Diourbel, semble bénéficier des grâces du professeur Cheikh Anta Diop dont le centenaire de la naissance sera célébré cette année, au mois de décembre. L'homme est présenté, en Afrique et un peu partout dans le monde, comme un géant de l'histoire. Il s'est battu toute sa vie pour montrer que le continent noir est le berceau de l'humanité, que l'Égypte avait des origines purement africaines. Il a été également sur d'autres fronts sous sa casquette d'écrivain, d'anthropologue, d'homme politique, de chercheur et d'universitaire.

Près de quatre décennies après son décès, son village natal, Thieytou, polarise les attentions. Ce fief de 1.400 habitants, avec 76 carrés, est sorti de l'anonymat depuis le 7 février 1986. Et attire des pèlerins venus de différents coins du monde.

Un air de renouveau y plane, même si la localité garde encore les vestiges du passé. Des bâtiments dont les toitures sont en zinc et des cases en paille servent encore d'habitation. Mais le bitumage de l'axe routier Bambey-Thieytou apporte un nouveau souffle et ouvre une fenêtre sur cette localité située au centre-ouest du Sénégal.

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Village d'histoire et de culture, Thieytou avait du mal à arpenter la voie du développement. Il manquait de tout. « Notre village était inaccessible. Quand on voyageait, on avait toutes les peines pour rentrer. Les automobilistes refusaient de nous ramener à cause de la mauvaise qualité de nos routes. Il nous arrivait de passer des nuits dans des localités environnantes faute de moyens de transport. La zone était sablonneuse. Mais le bitumage de l'axe routier Bambey-Gawane-Thieytou et la réhabilitation du mausolée par le Chef de l'État Macky Sall ont redonné vie à notre village », indique le vieux Thieudome Diop, le chef de village.

Allongé sous un arbre, l'homme d'un âge avancé espère que cela va déclencher un cycle de renouveau. Le plaidoyer des visiteurs venus de plusieurs régions du monde a porté ses fruits, selon ses explications.

L'égyptologue, qui a voulu, de son vivant, éclairer l'humanité, semble avoir braqué les lumières, à sa disparition, sur son village natal. Et pourtant, sa présence dans cette localité n'était pas remarquée tout le long de sa carrière. « Quand on lui reprochait sa relation distante avec Thieytou, il rassurait toujours en disant : « Ne vous en faites pas, je vous reviendrai », raconte le vieux Thieucoumba Diop. Ses prédictions ont fini par se réaliser.

Aujourd'hui, le mausolée, érigé en son honneur, en 2008, sur initiative de Me Abdoulaye Wade, est comme un phare dans la localité. Mais c'est sous Macky Sall que le site a été réhabilité, dans le cadre du programme de développement du tourisme au niveau des différents pôles. Il a été inauguré par le ministre Alioune Sarr, le 23 décembre 2021. Il accueille, chaque année, un nombre important de touristes, d'étudiants, d'intellectuels et d'hommes politiques. Certains y viennent pour célébrer l'anniversaire de son décès, d'autres sa naissance.

Une fraîcheur d'oasis au mausolée

L'espace est sacré et resplendissant, avec des plantes qui dégagent de la fraîcheur et un air de sérénité. Le professeur Cheikh Anta Diop y repose, selon sa volonté, à côté de son grand-père maternel, Massamba Sassoum, fondateur du village.

Il ressort des témoignages qu'il y avait une forte connexion entre les deux hommes. Le grand-père était réputé pour sa dimension spirituelle exceptionnelle et son dévouement à la religion musulmane. « C'était un « Waliyou » (un saint). Quand le village était frappé par la sécheresse, on sollicitait ses prières pour déclencher la pluie. On pouvait s'attendre à un hivernage abondant, ses prières étaient toujours exaucées », raconte le chef de village.

Aux alentours du mausolée où viennent se recueillir les habitants de Thieytou, pousse un jujubier plusieurs fois déraciné. « On a tout fait pour le couper, mais l'arbre reste tenace. Il pousse à chaque fois. Selon les anciens, cet arbre a toujours cohabité avec le grand-père du professeur Cheikh Anta Diop. « Mame Massamba Sassoum « foumou messeu deuk deem sahe fa » (partout où il a habité, un jujubier y a poussé) », nous confie le gardien du temple, Alla Ndiaye.

Un hommage est aussi rendu à l'ancienne ministre de la Femme, Aïda Mbodj, ancienne mairesse de Bambey, qui a milité pour la rénovation du mausolée. Le site a ressuscité l'âme de Thieytou.

Dans la grande cour est aménagé un espace où repose Marie Louise Diop, la veuve du grand penseur. Elle est décédée, en France, le 4 mars 2016, 30 ans après son défunt mari, des suites d'une longue maladie. Elle a tenu à rester fidèle au célèbre panafricaniste jusqu'à sa mort. Selon des témoignages recueillis sur place, elle n'a jamais voulu se remarier après le décès du père de ses quatre garçons.

Thieytou » ou Seytou en l'honneur de la Reine Ngoné Deuguène Codou

Thieytou qui vient du mot wolof « Seytou » (porter haut ou mettre sur un piédestal), en hommage à la reine Ngoné Deuguène Codou, garde ses spécificités.

Le village s'appelait « Khayma diokoul » et reposait sur un système matriarcal. Les populations vouaient de la considération et de l'affection à la reine, qui est, par ailleurs, l'ancêtre du professeur Cheikh Anta Diop. Ngoné Deuguène Codou est devenue, par la suite, l'épouse du Damel de Cayor-Baol, Amary Ngoné Ndella. « Il régnait aussi bien sur le Baol que sur le Cayor. Chaque fois qu'il se rendait à l'un de ses deux royaumes, il passait chez son épouse, la reine Ngoné Deuguène Codou. En rentrant, il demandait à ce qu'on prenne soin d'elle en disant « seytoul mako » », raconte le vieux Thiécoumba Diop. Cette invite a fini par s'inscrire dans la postérité et a inspiré un changement de dénomination. « Khayma diokoul » devient ainsi Thieytou. La reine marque l'histoire du village.

« Cheikh Anta Diop appartient à cette lignée. Il est aussi le cousin germain de Serigne Moustapha Thieytou, fils de Serigne Gawane. Leurs mères sont les deux seules filles de Mame Massamba Sassoum. C'est une famille d'aristocrates qui a imprimé son empreinte à l'histoire de ce village », ajoute notre interlocuteur.

Fils de Sokhna Maguette Diop et de Massamba Sassoum Diop, par ailleurs homonyme de son grand-père maternel, le professeur Cheikh Anta Diop a grandi dans un environnement marqué par une forte érudition. Son homonyme, Cheikh Anta Mbacké, son oncle par alliance, est le frère du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba.

Très jeune, Cheikh Anta perd son père, Massamba Sassoum Diop. Quelques années après, sa mère, Maguette Diop, se remarie avec le saint homme Mame Cheikh Ibra Fall. Elle s'était bâtie une bonne réputation à Dakar où elle a habité un moment. Selon le vieux Thieudome Diop, elle s'est distinguée par sa prodigalité et sa propension à offrir des repas aux démunis.

« Après le décès de son homonyme qu'il a éduqué, le vieux Massamba Sassoum a donné la main de sa fille Sokhna Maguette Diop à Mame Cheikh Ibra Fall. Cela a permis de raffermir ses liens avec le fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba », ajoute Thieudome Diop.

Après une bonne maîtrise du Coran, le professeur Cheikh Anta Diop quitte Thieytou pour s'installer avec sa maman à Diourbel, selon les témoignages recueillis sur place. Il démarre par l'apprentissage du Coran avant d'intégrer l'école régionale de Diourbel.

Le savant avait raconté que c'est grâce à Serigne Touba qu'il a pu s'inscrire à l'école sous l'autorité coloniale. « Avant de débuter les cours, Serigne Touba avait réuni tous ceux qui avaient été retenus, pour prier pour eux. J'étais devant, il avait déposé sa main sur ma tête pendant toute la durée de la prière ». Ce témoignage, repris sur la toile, renseigne sur l'univers dans lequel il a grandi.

À l'âge de 23 ans, Cheikh Anta Diop part en France pour étudier la physique et la chimie avant de changer d'orientation. Il fait la connaissance de son épouse, Louise Marie Diop, professeur certifiée d'histoire et géographie honoraire. Ils se sont rencontrés lors des études du savant à la Sorbonne. Il la ramène au Sénégal pour la convertir à l'islam. Ils ont eu quatre garçons : Cheikh Mbacké Diop, Jomo Kenyetta Diop, Samory Diop, Mame Massamba Sassoum Diop.

Dans le village, le visage du dernier fils de Cheikh Anta Diop y est familier. Il porte le nom de son arrière-grand-père maternel. Mame Massamba Sassoum semble sensible au sort des habitants de la localité. Il pose des actes salués par tous. « Il est en train de construire un bâtiment pour héberger les étrangers qui effectuent, chaque année, un pèlerinage au niveau du mausolée. Il n'y a pas de réceptif hôtelier dans la zone. Nous lui témoignons reconnaissance, car il est en train de tout faire pour venir en appui aux populations. Nous avions un dispensaire et il nous a offert une ambulance. Il a aussi trouvé un logement aux étudiants de l'Ucad originaires de Thieytou », témoigne Thieudome Diop, le chef de village.

À la disparition de leur père, ses frères et lui ont ramené son corps à Thieytou, respectant ainsi sa dernière volonté. « Le président de la République de l'époque, Abdou Diouf, voulait qu'on l'enterre dans la ville sainte de Touba. Son cousin Moustapha Thieytou avait proposé Darou Salam. Le lieu avait été retenu et on l'avait même annoncé à la radio. Mais ses enfants venus de France ont montré une lettre de leur papa, qui avait notifié, 13 ans auparavant, son désir de reposer auprès de son grand-père maternel. Le chef de l'État a, par la suite, envoyé une forte délégation conduite par le ministre de l'Éducation », explique notre interlocuteur, Thieudome Diop.

Cheikh Anta Diop n'a que de vagues souvenirs de Thieytou. Il n'en demeure pas moins qu'il a permis à son royaume d'enfance de ne pas se laisser ensevelir dans les méandres de l'oubli.

Aujourd'hui, Thieytou n'a pas de collège et souffre de ce manque. Les enfants sont tenus de décrocher de l'école juste après la classe de Cm2. Pour autant, la maison natale de l'un des plus grands penseurs africains, qui est en train d'être rénovée, donne à la localité des airs de modernité.

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