Afrique: Daouda Sembène, économiste, céo d'Africatalyst - « L'architecture financière internationale actuelle contribue à perpétuer le cercle vicieux de la dette »

Le fardeau de la dette pour l'Afrique
4 Octobre 2023
interview

Dans ce deuxième et dernier volet de notre entretien, Daouda Sembène, Ceo d'AfriCatalyst, aborde la réforme de l'architecture financière internationale qui, dans sa forme actuelle, pénalise l'Afrique et perpétue le « cercle vicieux de la dette ». Comme membre du Bureau d'évaluation indépendante du Fmi, il a eu à travailler, aux côtés d'autres experts, sur comment renforcer l'efficacité des interventions du Fonds monétaire international (Fmi).

Durant sa carrière, Daouda Sembène a eu à occuper des fonctions importantes dans les institutions de Bretton Woods. Il fut notamment Directeur exécutif du Fmi entre 2016 et 2018 où il représentait 23 pays africains au Conseil d'administration. Au cours de son mandat, il a présidé le Comité statutaire du Conseil d'administration chargé de renforcer la collaboration entre le Fmi et d'autres institutions internationales, notamment le Groupe de la Banque mondiale, les Nations unies et l'Omc. Une position qui lui a permis d'observer de l'intérieur le fonctionnement du système multilatéral.

Aujourd'hui, de plus en plus de voix s'élèvent en Afrique pour demander une réforme de l'architecture financière internationale. Daouda Sembène est disposé à mettre son expérience au profit de cette cause. « J'ai eu la chance de représenter une vingtaine de pays africains au Conseil d'administration du Fmi ; ce qui m'a donné une expérience que j'aimerais partager avec ces États qui m'ont fait l'honneur et la confiance de les représenter. Cette expérience m'a également permis de comprendre comment on pouvait appuyer les pays africains, à commencer par le Sénégal, à comprendre la nature de l'architecture financière internationale et surtout comment elle pourrait être réformée pour prendre en compte nos priorités », dit-il.

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Au Conseil d'administration du Fmi, M. Sembène a eu à participer à plusieurs discussions importantes sur cette réforme, les obstacles et les défis auxquels les Gouvernements et les acteurs du développement sont confrontés en Afrique. Ceci l'a motivé à fonder AfriCatalyst, un cabinet qui conseille les pays africains dans leurs efforts pour atteindre leurs objectifs de développement. « En mettant en place AfriCatalyst, nous avons l'avantage de participer à la réflexion et de connaître ce que divers acteurs pensent de cette réforme et ainsi faciliter les partenariats stratégiques pour façonner la position commune africaine », précise-t-il.

Financement de l'action climatique

Pour l'Afrique, l'enjeu de cette réforme de l'architecture financière internationale est de pouvoir mobiliser des ressources à des conditions favorables pour faire face aux défis comme le changement climatique. « Il est important que le financement de l'action climatique en Afrique soit également supporté par la communauté internationale pour éviter qu'il vienne alourdir l'endettement des pays africains. Donc, il est important d'avoir une architecture financière internationale tenant compte de cet impératif », analyse Daouda Sembène.

L'autre priorité, c'est comment mobiliser les ressources pour l'atteinte des objectifs de développement que se sont fixés les Gouvernements africains. « Malheureusement, à l'état actuel, l'architecture financière internationale ne permet pas à l'Afrique de mobiliser suffisamment de ressources à bon marché à cet effet ; ce qui contribue à perpétuer un cercle vicieux de la dette ».

En effet, selon M. Sembène, tant que les pays africains n'auront pas accès à des financements à bon marché, ils seront toujours obligés de s'endetter à des taux prohibitifs. Et l'expérience a montré que les taux auxquels ils s'endettent ne sont pas toujours justifiés par la santé de leurs économies. Une exagération du risque africain qui contribue à la hausse du service de la dette. Le rôle des agences de notation financière est régulièrement pointé du doigt par certains dirigeants africains, dont le Président Macky Sall.

Un constat que partage M. Sembène : « Des études ont montré qu'il y a parfois des considérations subjectives dans certaines notations, telles que la culture ou la langue de l'analyste ; ce qui constitue un biais et a un coût puisqu'à chaque fois qu'un pays est noté de façon indue, il est obligé de payer une prime d'intérêt qui contribue à augmenter le service de la dette ». Sur ce, il plaide pour plus de transparence dans la méthodologie des agences de crédit.

Une agence de notations panafricaine ?

Une agence de notation panafricaine, projet agité par l'Union africaine (Ua), serait-elle la solution ? « C'est une solution qui pourrait aider certainement si elle permet de mettre à la disposition des investisseurs plus d'informations sur le risque en matière d'investissement en Afrique. Toutefois, il ne faudrait pas penser que c'est une panacée », tempère-t-il. Encore faudrait-il que cette agence soit indépendante. « Si on met en place une agence qui n'est pas perçue comme étant indépendante, son impact ne serait pas à la hauteur des attentes », renchérit l'expert. Cependant, l'avantage d'une agence basée en Afrique serait de permettre une diversification de l'information financière pour les investisseurs avec une meilleure connaissance des réalités africaines. Quelle que soit la solution, Daouda Sembène juge indispensable d'introduire plus de transparence dans le travail de ces agences, qu'elles soient internationales ou panafricaines.

Une réforme de l'architecture financière internationale devrait également inclure le renforcement de la place de l'Afrique dans la gouvernance des institutions multilatérales. Par exemple, l'Afrique qui ne détient que 5 % des quotes-parts du Fmi n'a pu recevoir que des miettes (33 milliards sur les 650 milliards de dollars), lors de la dernière émission des Droits de tirage spéciaux du Fmi en 2021 pour faire face aux effets de la Covid-19. M. Sembène qui a eu à travailler dans le Bureau d'évaluation indépendante du Fmi, dont l'objectif était de voir comment renforcer l'efficacité des interventions du Fonds, estime que malgré les leçons tirées de la période des ajustements structurels, « il reste beaucoup à faire pour que les pays en développement aient plus de quotes-parts afin de mieux participer au processus de décision ».

Il pense que la récente décision du G20 d'allouer un siège à l'Ua est une opportunité pour l'Afrique de mieux pousser dans le sens de la réforme de l'architecture financière internationale, mais également du Fmi et de la Banque mondiale d'une certaine manière. Cependant, conclut l'expert, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. « Nos pays sont membres de ces institutions (de Bretton Woods) et quand il y a des distorsions, il faut pousser pour qu'il y ait des réformes », préconise-t-il.

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