Afrique: Entretien avec Mattar M'Boge - « La CAN 2023 sera la plus relevée de l'histoire. Le derby avec le Sénégal sera historique pour le football gambien »

Mattar M'Boge est un entraîneur gambien. Le technicien de 43 ans qui a fait sa formation d'entraîneur en Angleterre, a eu à diriger les sélections gambiennes des U-23 et U-20.

Il a aussi occupé le rôle d'entraîneur adjoint dans la sélection A de la Gambie.

Dans un entretien accordé à Africatopsports, l'entraîneur des équipes américaines de Loundoun United et DC United, nous parle de sa carrière aux USA, évalue les chances de son pays à la CAN, non sans oublier de faire une analyse large des équipes qui seront présentes en Côte d'Ivoire.

ATS : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

MM : Je m'appelle Mattar M'Boge et je suis un entraîneur gambien qui travaille actuellement aux États-Unis en tant qu'entraîneur adjoint de Loudoun United, qui participe au championnat USL (2e division américaine), et entraîneur principal des moins de 19 ans de DC United.
Jetais  auparavant l'entraîneur principal des équipes nationales U-23 et U-20 de Gambie jusqu'en juillet 2022, date à laquelle j'ai pris mes fonctions.

Né en Gambie, j'ai déménagé avec ma famille en Arabie Saoudite à l'âge de 4 ans avant d'étudier au Royaume-Uni à 17 ans. J'ai commencé à entraîner à l'âge de 24 ans dans la meilleure université sportive du Royaume-Uni, Loughborough, et j'ai ensuite occupé des postes dans diverses académies avant de décider de voir comment je pouvais aider mon pays d'origine.

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J'ai commencé comme bénévole auprès de l'équipe nationale des moins de 20 ans en 2014 avant d'être nommé dans un grand club, où j'ai remporté le championnat, puis d'être nommé à plein temps entraîneur principal de l'équipe nationale des moins de 17 ans.

J'ai travaillé dans toutes les catégories, y compris l'équipe nationale senior, et j'ai assisté trois entraîneurs principaux différents, avant d'être promu aux postes d'entraîneur des moins de 20 ans et des moins de 23 ans, après avoir remporté plusieurs tournois et récompenses, ainsi qu'une médaille de bronze à l'AFCON des moins de 20 ans en 2021.

ATS : Comment jugez-vous le tirage au sort de la CAN 2023 ?

MM : Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un tirage très difficile, mais le point positif est que chaque match n'a pas besoin d'un grand discours de l'entraîneur, car les joueurs auront toute la motivation nécessaire lorsqu'ils verront le palmares des équipes qu'ils affrontent et relèveront le défi de déjouer les pronostics en tant qu'outsiders.

ATS : Quelles sont les chances de la Gambie ?

MM : Sur le papier, c'est très peu, mais le jeu ne se joue pas sur le papier. Au coup de sifflet de chaque match, c'est l'équipe qui sera la plus performante pendant les 90 minutes et le temps additionnel qui sortira vainqueur.

Les matches seront également intenses et il faudra donc gérer intelligemment la charge de travail entre les matches pour que les joueurs puissent récupérer mentalement et physiquement, car chaque match représentera un énorme défi.

Mattar M'Boge sur le banc de l'équipe nationale gambienne U-20

ATS : La Gambie est-elle capable de réitérer l'exploit de 2022 ?

MM : Ce sera extrêmement difficile, mais je connais l'équipe et je sais qu'elle a la mentalité de toujours donner tout ce qu'elle a dans les matchs.

C'est une équipe et un entraîneur qui ne cessent de pousser, c'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il s'agissait d'une équipe performante pendant les 90 minutes et le temps additionnel.

L’équipe  a montré à maintes reprises que c'est en fin de match qu'elle est la plus efficace, et il y a un plan de jeu clair pour cela.

La dernière fois, lors des premières qualifications, les adversaires ont peut-être pris l'équipe à la légère, mais ce sera complètement différent maintenant et nous verrons des équipes changer leur formation et leur tactique afin de s'assurer que la Gambie ne puisse pas leur prendre quoi que ce soit.

ATS : Quel est l'adversaire le plus redoutable à surveiller dans le groupe C ?

MM : Le Sénégal est le choix évident en tant que champion en titre, il sera intéressant de voir comment certaines de ses vedettes gèreront l'énorme poids de l'attente et de la pression qui pèsera sur elles.

Il est toujours difficile de défendre un titre, surtout au niveau international, mais le Sénégal, sous la houlette d'Aliou Cissé, a fait preuve de constance lors des deux dernières éditions, atteignant la finale à chaque fois.

Il sera intéressant de voir comment ils géreront la pression.

ATS : Que pensez-vous du derby historique avec le Sénégal CAN?

MM : Ce sera l'un des plus grands matches de l'histoire du football gambien, mais il est important de se rappeler que je m'attends à ce que ce soit le premier d'une longue série.

La Gambie n'a jamais eu l'occasion de jouer à ce stade au niveau senior, mais nous devrions commencer à nous habituer à affronter le Sénégal, les enjeux sont toujours élevés, même s'il s'agit d'un match à 11.

Plus le match restera à 0-0, plus la pression sera forte sur les Sénégalais.

Il est donc important de jouer intelligemment, de fermer les espaces, de minimiser les distances entre les lignes pour qu'ils n'aient pas l'espace dont ils ont besoin pour agir.

A plus long terme, une finale sénégambienne, comme ce fut le cas pour les moins de 20 ans, serait la bienvenue !

ATS : Avec la Guinée ce sera encore un autre derby ouest-africain ?

MM : Vous avez tout à fait raison, il s'agira d'un autre derby qui sera passionné et qui a un passé, compte tenu de ce qui s'est déroulé lors de la dernière édition. Serhou Guirassy est dans la forme de sa vie et sera une menace évidente pour la Guinée.

Les deux entraîneurs se connaissent très bien, mais une fois encore, il s'agira de savoir qui sera le plus performant le jour J, car les derbys sont toujours tendus, quelle que soit la préparation .

ATS : La Gambie va-t-elle prendre sa revanche sur le Cameroun après son élimination en 2022 à la CAN?

MM : Le mot « revanche » est trop fort, car la revanche s'applique généralement lorsqu'il y a eu une injustice.

Le Cameroun méritait de gagner la dernière fois qu'ils se sont affrontés. Je pense donc qu'il s'agit plutôt d'offrir une performance qui représente le meilleur des Gambiens, à savoir jouer sans peur et en toute liberté.

La Gambie rencontrera le Cameroun lors du dernier match, et j'espère que la qualification sera déjà acquise à ce moment-là, car on ne veut pas avoir à battre le Cameroun pour se qualifier avec l'effervescent Vincent Aboubakar à la baguette.

Le Cameroun a gagné les trois dernières fois qu'ils se sont affrontés, mais bien sûr, les rôles peuvent être inversés.

ATS : Comment évaluez-vous l'équipe actuelle de Gambie ?

MM : Il s'agit sans aucun doute du groupe de joueurs le plus fort que le pays ait jamais eu.

En termes de profondeur, les options offensives sont nombreuses, ce qui pose des problèmes aux adversaires, car il y a de la vitesse et de l'explosivité dans tous les compartiments.

La plupart des joueurs ont servi l'équipe nationale pendant près de dix ans et ont même joué au niveau junior, ils comprennent donc ce que cela signifie de jouer pour le pays.

Ils ont l'air d'un groupe qui joue pour une cause plus importante que la leur, ils laissent leur ego de côté et font tout ce qui est nécessaire pour gagner des matches et obtenir des résultats positifs.

La mentalité dont j'ai parlé, qui consiste à ne jamais abandonner, est la marque de fabrique de cette équipe, ce que j'ai moi-même constaté en travaillant avec elle auparavant.

Je suis très fier de voir comment ils représentent leur pays avec fierté et énergie, et tout le mérite revient à l'entraîneur principal, aux joueurs et à l'équipe pour avoir mis sur pied une équipe formidable.

Tout le monde sait que la Gambie possède une bonne équipe de football.

Ils ont également été très bien soutenus par la Fédération et le gouvernement, ce qui rassemble tout le monde pour une cause commune, celle de représenter le drapeau de la meilleure façon possible sur la scène internationale.

ATS : Vous avez entraîné des équipes nationales inférieures dans le passé,comment voyez-vous l'ascension du football gambien ?

MM : Je ressens une immense fierté lorsque je vois des joueurs que j'ai déjà entraînés évoluer au plus haut niveau et représenter leur pays sur la scène internationale.

Il est difficile de décrire ce que l'on ressent lorsqu'on voit ces garçons récompenser toutes les années de dévouement et de volonté qu'ils ont consacrées à leur carrière.

Ils sont d'une part des pionniers et d'autre part de pures sources d'inspiration, car les jeunes joueurs du pays les admirent et espèrent les imiter un jour.

Chaque page qu'ils écrivent dans l'histoire du football gambien n'est qu'une partie de la grande histoire et je suis très fier de pouvoir en être le témoin.

ATS : Envisagez-vous de reprendre un jour les rênes de l'équipe nationale gambienne ?

MM : Il y a tellement de gens qui me le disent, mais je n'ai pas l'intention de penser à ce rôle, peut-être après 15 ans, quand j'aurai accumulé autant de matchs et de trophées que possible au niveau du club.

Pour l'instant, j'aime relever les défis quotidiens en tant qu'entraîneur et c'est donc ce qui me préoccupe le plus pour l'instant.

Pour être franc, ces opportunités doivent être offertes, il ne s'agit pas de les planifier et d'y accéder soudainement.

Les gens doivent croire en vous pour vous donner cette opportunité et s'ils décident autre chose, vous ne pouvez pas vous asseoir, vous croiser les bras et attendre en tant qu'entraîneur, vous devez continuer à vous dépasser en relevant des défis différents chaque jour et si quelqu'un décide de vous confier cette responsabilité, alors c'est le moment d'y réfléchir.

En réalité, je n'y pense même pas, car j'apprécie les défis quotidiens de l'entraînement en club.

Il y a des séances d'entraînement à planifier et à exécuter tous les jours et des matches à jouer toutes les semaines.

Si je termine ma carrière d'entraîneur sans jamais avoir entraîné l'équipe nationale senior, je pourrai m'en accommoder, d'autres verront peut-être les choses différemment, mais moi, je m'en sortirai.

Mattar M'Boge remportant le trophée UFOA avec la Gambie

ATS : Selon vous, qui sont les favoris pour la CAN de cette année ?

MM : Pour moi, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Maroc.

Le Sénégal et le Maroc ont tous deux des entraîneurs tactiques astucieux qui sont suffisamment flexibles pour trouver les solutions que leurs adversaires leur présenteront.

Le Sénégal devra utiliser sa largeur pour battre l'adversaire, ainsi que la vitesse de ses ailiers et de ses avant-centres, les défenseurs centraux seront également essentiels et il faut s'attendre à les voir souvent sur le ballon.

Le Maroc pourrait trouver le défi plus difficile à relever que lors de la Coupe du monde, car les équipes s'assiéront plus profondément dans un bloc bas et n'auront donc pas d'espaces à exploiter en contre-attaque.

Ils  auront besoin de leurs milieux offensifs pour trouver les poches d'espace, mais tant qu'ils briseront les lignes et ne garderont pas la possession pour le plaisir, ils pourront faire mal aux équipes.

La profondeur du milieu de terrain de la Côte d'Ivoire est effrayante et elle possède un buteur en la personne de Sebastien Haller.

Le soutien qu'il recevra dans ces zones offensives sera essentiel car les équipes élaboreront des plans de jeu pour le faire taire.

Le Nigeria sera une menace en raison du talent offensif dont il dispose, mais il trouve toujours le moyen d'imploser.

Je ne suis pas sûr qu'avec l'éventail de talents offensifs dont ils disposent, ces joueurs seront heureux d'être sur le banc de touche, même pour une minute.

Ce sera la CAN la plus difficile à ce jour et nous nous attendons à voir de nombreux matchs serrés et des séances de tirs au but lorsque la phase d'élimination directe commencera.

ATS : Vous avez récemment été nommé entraîneur du DC United U19, comment se passe votre expérience américaine ?

MM : Je me plais beaucoup ici. Ils sont très réceptifs aux entraîneurs internationaux et aux idées venues de l'étranger, car le jeu se développe ici.

Il y a des aspects culturels auxquels il faut s'adapter et il n'y a pas de choix à faire dans ce domaine, mais dans l'ensemble, la culture est ouverte aux idées nouvelles et à la perspective internationale.

Mes 19 ans ont très bien joué, avec d'excellents résultats, et je suis ravi de voir leurs progrès. Je m'attends à ce que certains d'entre eux finissent par monter en grade.

C'est l'objectif principal, la victoire est le bonus que nous obtenons grâce à nos bonnes performances.

Mattar M'Boge avec son club Loundoun United (USA)

ATS : Pourquoi avez-vous choisi les USA après avoir quitté la Gambie ?

MM : Comme il s'agit du prochain pays organisateur de la Coupe du monde, je m'attendais à ce qu'il fasse l'objet d'une attention similaire à celle qui avait été accordée au Qatar avant qu'il n'accueille la dernière Coupe du monde.

C'est un pays immense et j'ai effectué un voyage d'étude au début de l'année 2022, au cours duquel j'ai rendu visite à quelques clubs de la MLS et à leurs entraîneurs.

Les installations sont les meilleures que l'on puisse trouver dans le monde, c'est tout simplement incroyable.

Il y a donc déjà une base en place et je pense maintenant que je peux essayer d'apporter l'attention aux détails et l'obsession pour le jeu dont ils ont besoin pour continuer à se développer.

ATS : La ligue nord-américaine connaît un essor médiatique avec l'arrivée de nombreuses stars mondiales, mais le niveau de jeu est-il à la hauteur ?

MM : Il y a toujours un doute sur le niveau de jeu, j'avais même ce sentiment avant d'arriver, mais je peux dire avec certitude que le niveau de jeu est très élevé.

Chaque équipe est si bien préparée que les matches ne peuvent qu'être d'une intensité et d'une concentration maximales.

Il y a juste un léger manque de tranchant vers la fin des matchs parce que les points peuvent être gagnés et perdus tout au long de la saison sans qu'il y ait de réel danger en termes de relégation.

De plus, si une équipe se déplace à l'extérieur, les longues heures de travail ont invariablement un effet sur le plan de jeu et le résultat, car ce sont des êtres humains après tout.

Mais si vous regardez les matchs de rivalité, où les distances sont plus courtes, vous pouvez voir que l'intensité et la qualité sont à un niveau très élevé.

ATS : Les clubs nord-américains peuvent-ils rivaliser avec des équipes européennes ou même saoudiennes

MM : Oui, bien sûr, pourquoi pas ? Quand on voit le niveau de préparation de chaque équipe, allié à l'amélioration de la qualité des effectifs, on se dit qu'ils sont tout à fait capables de rivaliser.

Ce qui manque aux clubs nord-américains, c'est le cran et l'angoisse que chaque match ait une importance en termes de promotion ou de relégation.

Ils n'ont pas l'habitude de jouer sous pression jusqu'à la fin de la saison, alors que les équipes étrangères jouent sous pression du premier au dernier match de la saison.

ATS : Comment évaluez-vous les Africains évoluant en MLS ?

MM : Certains des meilleurs joueurs africains évoluent en MLS, mais ils n'ont tout simplement pas la reconnaissance qu'ils méritent. Nous avons joué contre Columbus Crew et nous nous souvenons que Yaw Yeboah était tout simplement incroyable, avec sa vitesse de déplacement, ses courses dans le dos et sa finition dévastatrice.

Il a été l'un des meilleurs joueurs de la CAN U-23 en 2019 et mérite probablement un rôle plus important avec l'équipe nationale du Ghana, mais je me demande s'il n'est pas pénalisé pour avoir joué en MLS et si la ligue n'est pas ignorée par les autres.

Le Gabonais Denis Bouanga est lui aussi l'un des meilleurs joueurs de la MLS, mais là encore, il arrive que ces joueurs ne reçoivent pas l'attention ou le crédit qu'ils méritent en raison d'idées préconçues sur le niveau de la ligue.

Mattar M'Boge entraîneur de de l'équipe U-19 de DC United (USA)

ATS : Quel est votre pronostic pour le futur vainqueur de la CAN ?

MM : Je pense vraiment que le Sénégal a tous les atouts pour continuer à dominer la scène continentale.

Il fut un temps où ils avaient du mal dans les séances de tirs au but, par exemple, mais aujourd'hui, il semble qu'ils aient confiance en eux quoi qu'il arrive.
Si  vous voulez les presser, ils peuvent exploiter les espaces derrière, si vous voulez rester en profondeur, ils sont assez explosifs pour trouver les failles, si vous voulez jouer sur les transitions offensives, ils ont la vitesse de couverture et le positionnement pour réduire à néant toute menace.

Même si vous parvenez à franchir leur ligne défensive, ils disposent d'un gardien de classe mondiale pour protéger leur but.

Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que le vainqueur final aura vraiment mérité son titre, car il s'agira de la prochaine CAN la plus difficile et la plus relevée à ce jour.

ATS : Quel est ton dernier mot ?

MM : Je souhaite à toute l'Afrique ce qu'il y a de mieux et je n'oublie jamais que le monde nous regarde.

Nous sommes toujours en train de nous battre et de travailler très dur pour montrer que les Africains ont de la valeur et pour prouver notre valeur. Si nous continuons à organiser d'excellents tournois, davantage de clubs seront attirés par les joueurs, ce qui ne peut que profiter au football africain à long terme. Je pense également que si les Africains commencent à se soutenir mutuellement, les progrès seront bien plus importants et nous verrons davantage d'équipes africaines dominer la scène mondiale, au niveau des clubs et au niveau international.

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