Ile Maurice: Hommes armés à la Citadelle - Choc et indignation

Des enfants en pleurs, des femmes paniquées, des hommes qui se bousculent pour tenter de quitter l'enceinte de la Citadelle... Une scène avec des musiciens qui se dépêchent de ramasser les instruments de musique. En face, des hommes encagoulés, armés de sabre, qui crient et hurlent, «sorti la alé, porlwi pou nou», suivi d'insultes.

Cette scène n'est pas issue d'images internationales, mais bien ce qui s'est produit samedi en soirée lors du concert organisé par le groupe hôtelier Attitude, dans le cadre de ses 15 ans, et La Isla Social Club. La soirée musicale avait également pour objectif de collecter des fonds pour aider et soutenir des organisations non gouvernementales. Cependant, ce concert, qui devait se terminer en beauté avec une surprise à 22 heures, s'est terminé en larmes et dans le désarroi quand un groupuscule a infiltré les lieux pour semer la terreur. Il était 21 h 30 quand, sur scène, le groupe Prophecy entame la dernière chanson du Grand Konser pour laisser la place à une chanson préparée par des jeunes de Tamarin en réaction à la guerre en Palestine, un «chant à 1 000 voix pour la paix» avec la participation du public, une reprise de One day de Matisyahu (un chanteur de reggae juif américain). Sauf que les choses ne vont pas se passer comme prévu.

◗Déroulé

Une bande de 20 personnes, armés de sabres et de gourdins, a pénétré dans la Citadelle. Le public qui s'attendait à la surprise annoncée plus tôt a cru que cela faisait partie du spectacle avant que le leader de la bande ne lance l'appel. «Sorti la alé. Porlwi pou nou. Free Palestine.» En même temps, les autres hommes se sont mis à démolir les stands et à taper sur les murs pour demander à tout le monde de quitter les lieux. En moins d'une minute, la musique a laissé place à des pleurs, des cris de panique et des questions qui seront sans réponse car le groupe n'était pas là pour discuter.

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La seule grande porte de la Citadelle a été envahie. Chacun courait à gauche et à droite pour trouver un chemin de sortie. Les femmes, enfants sur les bras, ont dévalé la colline de la Citadelle pour retrouver leur voiture qui, pour certaines, étaient garées sur l'aire de stationnement du Champ-de-Mars. Sur scène, les musiciens se sont rués vers les loges, emportant les instruments de musique à bout de bras et fermant à double tour les portes des loges pour se mettre en sécurité. La police est arrivée et a demandé au groupe de quitter les lieux. «Porlwi pou nou», diront ces derniers quittant la Citadelle tout aussi remontés.

Quelques policiers, en nombre limité, se sont précipités vers la scène. Certains des hommes encagoulés portaient le drapeau palestinien. Une déposition a été faite à 3 h 40, à la station de police de Trou-Fanfaron par l'assistant surintendant Domun. Le policier explique qu'il s'est rendu à la Citadelle après avoir reçu des informations selon lesquelles un groupe d'habitants de Plaine-Verte pourrait faire du chahut durant le concert. Les policiers, par mesure de précaution, souhaitaient mettre fin au concert. Mais ils se sont vus refuser l'accès de la Citadelle par le service de sécurité privé qui assurait la surveillance.

Capture d'écran d'une vidéo montrant le groupe armé de sabres et de matraques crier «Alahu Akbar» après avoir stoppé le concert.

Selon sa déposition, presque au même moment, un groupe de personnes encagoulées a envahi la scène, endommageant du matériel et des instruments de musique, tout en criant «Allahu Akbar. Sortez d'ici. Plaine Verte, sortez d'ici.» L'ASP ajoute qu'un peu plus tard, une vingtaine de personnes les ont rejoints et ont également causé des dégâts aux décors. Il confirme qu'aucune arrestation n'a été effectuée le soir même, mais qu'il pourrait identifier certains des casseurs qui ne portaient pas de cagoule.

La police n'a pas tardé à intervenir et s'est déployée sur le terrain comme l'expliquent certaines personnes présentes, même si beaucoup se demandent pourquoi il n'y a pas eu d'arrestation le jour même. Sollicité, l'inspecteur Shiva Coothen, Police Public Relations Officer, explique : «L'enquête a déjà démarré car ce genre d'action est inadmissible. Des arrestations sont imminentes.» Ce qui a été le cas dans l'après-midi.

Témoignages

«J'y étais...»

Comment une telle chose a-t-elle pu se produire à Maurice aux yeux et à la barbe de tout le monde ? Comment a-t-on pu atteindre un tel niveau ? Certaines personnes qui y étaient n'en reviennent pas et témoignent, beaucoup gardant l'anonymat. Par peur. Toujours sous le choc. Corinna repense à ce moment où elle croyait perdre sa fille. «Mo tifi ti pé fin ti al rod chips. Bannla nek inn rentré andan barikad partou. Mo ti pé trouv mo tifi dan laké. Zot inn vinn dibout divan mwa, monn trouv zis enn sab divan mwa. Mo ti pé rod mo tifi, monn per.» Corina ne peut continuer son témoignage car submergée par les larmes.

Même son de cloche pour un photographe qui y était. «Je faisais les photos. C'est la première fois que je vois ça. Des artistes que je côtoie, de nature courageuse, là, je pouvais lire la peur dans les regards. Je me suis rué vers les loges et j'ai vu arriver les artistes avec les instruments car certains des hommes encagoulés étaient sur scène pour tout casser. J'ai vu un chanteur de nature très posée entrer dans la loge très énervé et jeter sa guitare. J'ai compris que ce que je vivais était unique et j'ai réalisé que là c'était une situation sans précédent. J'ai pensé à ma mère, à ma fille, et je me suis mis à chercher une issue pour sortir.»

Une mère de famille, qui habite le Sud, témoigne que ce concert était pour elle l'occasion rêvée de sortir tranquille avec ses enfants. «Monn trouv laper, panik, mo bann zanfan ti pé ploré, pé dir mwa 'mami nou pou mor'. Monn sarié zot dé, desann sa kolinn la, tonbé, larm dan lizié. Bann dimounn la pann aret krié, ti pé tap nou ek bâton pou fer nou sorti pli vit. Zot pa ti pé konpran laport la tipti.»

Selon un autre témoin, des hommes encagoulés, certains portant des matraques, ont envahi la scène en criant «Allahu Akbar». Tout le monde s'est précipité vers la sortie, raconte-t-il, après que ces hommes cagoulés aient crié : «Dehors, sortez tous.» Une jeune femme qui se trouvait dans la foule est toujours sous le choc. Elle y était avec une amie après avoir été invitée au concert. «Au début de la soirée, tout se passait bien ; il n'y avait personne de malveillant, il y avait des personnes de tous âges. Plus tard dans la soirée, les organisateurs ont annoncé une surprise pour la fin du concert. Lorsque la soirée touchait à sa fin, au moment où The Prophecy avait fini de jouer, un groupe de personnes a fait irruption. À un moment donné, personne ne comprenait ce qu'ils voulaient dire par 'sortez', puis ils ont commencé à crier. Il y avait environ 30 personnes, armées de matraques, de sabres et de fumigènes. Ils ont commencé à nous menacer», confie-t-elle d'une voix marquée.

Les spectateurs ont commencé à courir dans tous les sens car il n'y avait qu'une seule sortie. «Je me suis retrouvée au milieu de la foule ; je tremblais ; je pleurais. Les agresseurs criaient : 'Sortez. Qu'est-ce que vous faites ici ? Plaine-Verte pou nou, sortez d'ici.' Dans ma tête, je revois les images de gens qui couraient, tombaient, essayaient de se relever pour se protéger. C'était comme si on vivait un attentat terroriste dans un autre pays. Cela aurait pu être bien pire. La police, malgré le sous-effectif et son manque d'équipement, a fait de son mieux pour nous protéger. Ils ont formé une chaîne humaine pour nous aider à sortir.»

Une femme d'une trentaine d'années du Nord raconte qu'elle est allée au concert pour soutenir les associations et les artistes locaux. «Cela a été un super moment ! Je dirai même magique. Morisyen ena talan ek konn fer nou vibré. Bann artis inn pronn lamour. A la fin zis apré pasaz The Prophecy, monn tann ene gran tapaz, bann kri. Kan monn tourné, monn trouv bann zom ar kagoul. Pé irlé irler isi zot kot zot. Alé. Sertin ti ena bann baton, lézot pé kass dékor, palet, latab, mém sono. Tou dimounn inn présipit ver la sorti, terifié. Sertin pli kalm pou fer zanfan sorti. Mo pa koné si ena blesé mé laper ti la. Ti ena boukou zanfan ki ti pé galoupé, zoué, mont lor kanon, met zot bann ti kostim, rob til, ti kouronn ékléré lor latet. Bann paran inn prand zot ek nounn less zot pasé avan pou sorti.»

Tristesse des artistes

Pour les artistes, cette situation est invraisemblable. À l'heure où le monde événementiel connaît des moments sombres avec les concerts qui doivent se terminer à minuit, des difficultés pour avoir les permis, notamment pour la vente d'alcool qui contribue grandement aux revenus d'une soirée, il y a maintenant des attaques lors d'un concert. Certains organisateurs craignent pour l'avenir de l'événementiel.

Percy Yip Tong: «Zamé monn trouv sa violans la avan»

L'activiste Percy Yip Tong n'a pas hésité au péril de sa vie à donner de la voix et à faire barrage face au groupuscule. «Nou dan enn demokrasi isi. Kouma enn ti group kapav fer 1500 dimounn sové», peut-on l'entendre dire face aux hommes armés, dans une vidéo en circulation sur les réseaux. Il témoigne. «Je croyais que c'était des gens mécontents car la musique était trop forte ou qu'il se faisait tard. On avait prévu de terminer à 22 heures et il était 21 h 40. Il n'y avait pas d'alcool en vente. J'ai vu des hommes en noir débarquer et nous demander de partir. J'ai été à des concerts en Europe ; je n'ai jamais vu ça. On a quitté la Citadelle en panique comme dans un lantonwar parski laport la tipti. J'ai dit à un des hommes, le leader, 'Less nou alé. Nou pé fer samem la. Laport la tipti. Aret violan'. Linn tap nou avek matrak lor nou zepol ek lor nou deréry dir alé, alé, pa rekoz ek mwa ankor.» Le calvaire ne va pas s'arrêter là car, à sa sortie, une autre scène s'est produite.

«Alors que je venais de quitter la Citadelle, certaines personnes étaient au volant de leur voiture, révoltées. J'ai vu un autre groupe sortir plus loin pour venir secouer ces voitures. Donc, c'était prémédité. On devait chanter une chanson pour la paix. Une reprise en créole de la chanson One Day de Matisyahu. Avec une jeune fille de Tamarin. Le public allait reprendre les paroles avec nous pour dire oui à la paix face à ce qui se passe dans le monde. Je suis choqué de voir ça. Je n'ai jamais vu une telle chose ; un concert cool, pas d'alcool, pour la solidarité, prendre une telle tournure. Je ne souhaite pas revoir cela. Jamais.»

Depuis peu, les paroles de la chanson One Day traduites en créole étaient sur les réseaux et le public étant invité à les mémoriser pour les chanter ensemble samedi.

Le groupe Attitude ne s'attendait pas à cela

«Nou dir enn gran MERSI a tou bann Morisien ek tou dimounn, tou fami, tou zenerasion, tou artis, pou zot prezans zordi pou nou konser solider. Ti enn gran fet morisien. Nou espere ki tou dimounn finn ariv an sekirite kot li. Nou pa ti atann ki nou zoli fet ti pou fini koumsa. Nou bien sagrin.» Tel est le message posté par le groupe hôtelier sur sa page Facebook hier. Sollicitée, la direction nous a dit travailler par priorité en assurant qu'il n'y avait pas de blessés parmi le public. Il s'occupait des artistes et des employés. Un communiqué officiel était en préparation mais il n'était pas encore tombé à l'heure ou nous mettions sous presse.

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