Afrique: «Il faut une organisation panafricaine de la mode» pour «transformer la puissance créative» en Afrique

interview

Dans un récent rapport, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) pointe la croissance exponentielle de l'industrie de la mode en Afrique. Pour comprendre les raisons de cette montée en puissance et les défis qui restent à relever, RFI a interrogé Laureen Kouassi-Olsson, fondatrice et PDG de Birimiam Holding, une société d'investissement dédiée aux marques de luxe du continent.

RFI : Laureen Kouassi-Olsson, le rapport de l'Unesco parle d'une industrie de la mode africaine en pleine croissance. Est-ce une dynamique que vous observez ?

Laureen Kouassi-Olsson : Bien sûr ! L'Afrique est le continent le plus jeune au monde, avec 70 % de la population qui a moins de 30 ans. Le potentiel de consommateurs qu'il va offrir à la scène internationale est donc très important. C'est aussi un continent qui est connecté et sophistiqué, avec une population qui a envie de s'approprier son héritage et de le réinventer selon des codes modernes. La nouvelle génération de créateurs que nous voyons aujourd'hui s'affranchit des diktats de la scène internationale, prend le pouvoir et le contrôle sur cet héritage qui est très riche et réinvente des savoir-faire séculaires.

La scène créative africaine dans toute sa diversité est aussi une formidable source d'inspiration à l'international. Aux Fashion Weeks de Paris, Milan, Londres ou New York, les créateurs africains sont de plus en plus représentés. Nous l'avons encore vu en septembre dernier à Paris, en présentant un showroom avec une dizaine d'entre eux. Il y a eu énormément d'intérêt de la part d'acheteurs, de distributeurs et aussi de créateurs internationaux.

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Comment expliquer cette montée en puissance ?

Je pense que c'est en lien avec la montée en puissance des industries créatives africaines en général. Aujourd'hui, on assiste à un phénomène de convergence culturelle, que ce soit dans la musique, dans le cinéma, dans le gaming, dans les arts visuels... Les pays africains ont compris la puissance de la culture comme « soft power » pour changer l'image que le continent doit véhiculer à l'international. Elle passe par ce que nous avons de plus important : le vêtement.

Aujourd'hui, l'enjeu est de savoir comment soutenir ce phénomène. Car nous ne pouvons plus nous contenter d'inspirer et de montrer que nous savons faire : l'enjeu est de transformer cette puissance créative en puissance économique.

Le rapport de l'Unesco pointe l'absence de stratégie commune en matière d'industries de la mode sur le continent. Comment remédier à cela ?

En Afrique, à chaque fois qu'il y a eu des problématiques de développement d'un secteur en particulier, il y a eu une unité au niveau des pouvoirs publics des pays africains pour adresser les solutions. Aujourd'hui, l'enjeu pour nous, acteurs de la scène créative africaine, c'est la création d'une organisation panafricaine de la mode. Lorsque vous avez 54 pays, ils ne peuvent pas tous dialoguer d'une seule voix avec une Fashion Week parisienne, new-yorkaise, londonienne... Créer une organisation panafricaine sur le même modèle que l'Union africaine, Africa Fifty [plateforme d'investissements créée par des gouvernements africains et la Banque africaine de développement, NDLR] ou la Banque africaine de développement permettrait de soutenir les créateurs, de renforcer leurs financements, de parler de la transmission des savoir-faire.

Il y a aussi la question des investissements publics et privés dans la mode africaine qui, selon le rapport, sont insuffisants. Comment mieux attirer les investisseurs ?

Il faut leur dire que l'Afrique est l'une des sources de retour sur investissement dans la création les plus importantes. Nous sommes au coeur de la création, l'inspiration est chez nous. Nous détenons aussi la matière première avec la production de coton. Nous avons aussi des personnes capables de travailler dans des usines, sur la création, et de développer des marques de dimension internationale. L'intérêt que les créateurs suscitent aujourd'hui en est la preuve.

On le sait, les créateurs africains sont souvent copiés et imités. Comment assurer la protection de leur propriété intellectuelle ?

C'est le sujet central. Il n'est pas uniquement le propre de la création africaine : par exemple, une marque comme Louis Vuitton est l'une des plus copiées au monde. Mais la différence entre Louis Vuitton et nos créateurs, ce sont les moyens financiers. Encore une fois, pour pouvoir garantir la protection de leur propriété intellectuelle, il faut créer une organisation panafricaine de la mode. Ce levier permettra de mettre suffisamment de moyens derrière les besoins des créateurs. Il faut que les créateurs puissent enregistrer leur marque, leur logo, parfois certaines de leurs techniques de production. Nos territoires, nos pays, nos cultures sont riches d'une diversité de savoir-faire qui aujourd'hui se perdent donc avant de les copier, il faut surtout les protéger.

Comment offrir plus d'opportunités de formation et d'éducation aux métiers de la mode aux créateurs africains ?

Je pense que l'important, c'est de créer des ponts. Notre chance, c'est qu'il y a des institutions qui sont des références en matière de de formation. Il y a par exemple l'Institut français de la mode, avec qui nous avons créé un programme d'accélération, qui est aujourd'hui un modèle, tout comme Parsons [une célèbre école de design, NDLR] à New York. Il faut pouvoir créer des ponts et des dialogues entre ces institutions et la création, permettre aux créateurs d'aller s'y former. Au niveau local, il faut aussi que l'accès à la formation soit subventionné. Aujourd'hui, il y a des institutions comme l'Agence française du développement (AFD) ou la Société financière internationale qui peuvent avoir un rôle fondamental. Sans modes de financements adaptés au secteur de la mode, nous ne pourrons pas débloquer le potentiel de l'industrie.

La mode africaine doit-elle s'inscrire dans une démarche environnementale ?

C'est une problématique centrale. Dans cette révolution créative africaine, il est important que nous ne répliquions pas les travers de l'industrie de la mode à l'international, l'une des plus polluantes au monde. L'enjeu est de faire en sorte que nos collections ne finissent pas dans des décharges à travers le monde et encore moins dans nos propres décharges. La responsabilité environnementale est cruciale dans la conception de la création africaine. Ça doit être une mode responsable qui respecte les termes de la slow fashion [un mouvement en faveur d'une industrie de la mode plus responsable, durable et transparente, NDLR], avec des collections en petite quantité respectueuses de l'environnement, avec des techniques et des savoir-faire qui le sont tout autant.

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