Ile Maurice: Projet hôtelier, habitants indignés

Détruira, détruira pas ? L'inquiétude s'est installée parmi les habitants de la localité mais aussi ceux qui fréquentent la paisible plage d'Anse-la-Raie. La raison ? Le lieu pourrait bien ne plus être accessible au public. D'autant plus qu'une «letter of reservation» a été émise en faveur de Luxury Suites Ltd, qui aurait déjà obtenu 25 arpents pied dans l'eau pour le développement d'un «5-star luxury, sustainable and eco-friendly resort». Le mouvement #PasKokinAnseLaRaie organise d'ailleurs aujourd'hui, à 11 heures, une réunion à Calodyne, dans l'espoir de faire entendre leur voix face au désarroi.

Vacances scolaires et saison estivale obligent, la plage grouille de monde en ce mercredi. Sur place, enfants, parents et personnes âgées, profitent du soleil et nagent dans des eaux calmes, parmi les va-et-vient des marchands de glaces et des marsan konfi, alors que les pêcheurs attendent les poissons. Mais déjà, les jeunes mobilisent d'autres personnes, les invitant à participer à la réunion explicative qui se tiendra dimanche. «Je suis en colère. Nous ne savions même pas que ce terrain allait être utilisé pour des projets hôteliers privés, jusqu'à ce que nous venions ici le jour de la célébration de Ganesh Chaturthi», confie l'un d'eux. Une partie de cette plage offre un bel espace où les dévots se recueillent à l'occasion des fêtes religieuses telles que Ganesh Chaturthi et Ganga Asnan. Ceux de foi musulmane profitent également de la tranquillité de la plage pour méditer et prier ici pendant le mois islamique de Safar.

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(Anse-la-Raie victime d'érosion par endroits...)

«Lors de Ganesh Chaturthi, celaa été la seule fois où nous avons vu le panneau d'affichage 'plage publique'. Ensuite, ils l'ont enlevé. Tou létan zot fer sa. S'ils nous retirent notre plage, où irons-nous» se demande notre interlocuteur. D'ailleurs, nous constatons que l'endroit où le panneau d'affichage avait été placé auparavant est maintenant 'vacant'. D'autres habitants nous disent qu'ils profitent de la plage autant dès qu'ils le peuvent. «Pa koné si apré pou kapav vini.»

À côté de la plage, se trouve le Youth Centre du village, qui tombe sous la responsabilité du ministère de l'Autonomisation de la jeunesse et des sports. Bien que la structure ait des airs de bâtiment fantôme, l'accès est bien surveillé par un personnel de sécurité. À l'heure actuelle, les habitants sont toujours dans le flou quant au fait si ce centre de jeunesse restera ou sera déplacé. D'autant plus que le 17 octobre au Parlement, le ministre Deepak Balgobin avait parlé d'un nouveau Regional Outdoor Education and Recreation Centre qui sera construit près de la plage publique. Il répondait à une question posée par le député Osman Mahomed, qui répondait à la place du ministre de l'Aménagement du territoire qui était absent du pays.

(Seenarain Ramjuttun, dit «Bhai», témoigne de la riche histoire de la Maison du gouverneur.)

En attendant d'y voir plus clair, en ce mercredi, les enfants se consacrent à la construction de châteaux de sable, tandis que les parents se détendent. Plus loin, le lieu est cependant presque inaccessible - feuilles mortes, buissons sauvages et arbres tapissent les sentiers, attendant d'être emportés par les vagues. L'endroit est dévoré par l'érosion. «Malgré les demandes adressées à de nombreuses autorités, rien n'a été fait, car chacun se renvoie la balle. Aujourd'hui, nous ne savons pas si cet endroit sera réhabilité, protégé», affirment les habitants.

Par ailleurs, le terrain abrite également la Maison du gouverneur, datant de la période précédant l'Indépendance. Seenarain Ramjuttun, travailleur social, plus connu sous le nom de «Bhai» est intarissable sur le sujet. «Mon père était le gardien du lieu et nous vivions dans une petite maison sur ce même terrain. Je suis né ici, j'ai passé mon enfance à aller et venir et à jouer dans la Maison du gouverneur. Nous avons vu le pays prendre sa liberté, et plus tard, lorsque j'ai grandi, nous avons déménagé à proximité. Cet endroit a une riche histoire et me tient à coeur», confiet-il avec émotion. Malheureusement, l'accès à cet endroit est périlleux, forçant le marcheur à emprunter de hauts buissons et des terrains rocailleux. Le temps a eu raison de la maison, désormais en ruines : morceaux de bois pourris, murs en béton brisés, le tout au milieu d'arbres touffus. Le bâtiment est à l'abandon, mais propose tout de même une vue sublime sur la mer. «Beaucoup de jeunes j'en suis sûr, ne connaissent même pas son existence. Sa dernière rénovation remonte aux années 1990 et aurait coûté environ 30 millions. Depuis, il a été laissé à l'abandon. Pourquoi ne pas l'avoir, par exemple, entretenu et en avoir fait un site touristique pour préserver notre patrimoine ?» lâche Bhai, indigné.

Entre dilemmes, émotions mitigées et sentiment d'appartenance à cette plage et ses alentours, les habitants sont contraints de se mobiliser et d'organiser des réunions pour faire part de leurs préoccupations. «Nous avons des souvenirs ici. Lorsqu'ils réaliseront des projets hôteliers privés, personne n'y aura accès. Cette plage est également le lieu de travail de nombreuses personnes - vendeurs de nourriture, pêcheurs, etc. Vous voyez de ce côté ?» nous dit un habitant, en nous montrant les quelques rochers qui séparent la mer des hôtels voisins. «Zot in pran tou pou zot. On ne peut même pas marcher pour y aller à moins d'être prêt à se jeter à l'eau littéralement car c'est maintenant privé. Allez sur d'autres plages dans les environs et voyez la foule, vous n'avez même pas d'espace pour accéder à l'endroit. De plus, avec le changement climatique, vous voulez couper les arbres et accaparer les terrains qui restent pour construire (...) S'ils nous enlèvent nos plages, que restera-t-il pour nous, nos enfants et le public ? Des rochers sur lesquels les vagues s'écrasent ? La plage est pour nous tous. Qu'est-ce que les Mauriciens ont d'autre», s'insurgent les habitants. Le mouvement #PasKokinAnseLaRaie s'active, dans l'espoir que leurs inquiétudes soient prises en compte aujourd'hui. Et si ce n'est pas le cas ? «Nous allons agir, nous allons protester...»

(Cette plage est le coin préféré des habitants, en quête de sérénité.)

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